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De trop gentils enfants

Paris
Théâtre du Châtelet
11/18/1997 -  et 20, 22, 28, 30 novembre et 1er décembre 1997
Engelbert Humperdinck : Hänsel und Gretel
Franz-Josef Kapellmann (Peter, le père), Gwyneth Jones (Gertrude, la mère), Randi Stene (Hänsel), Ruth Ziesak (Gretel), Graham Clark*/Georges Gautier (La Sorcière), Jaël Azzaretti (Le Marchand de sable), Katherina Müller (La Fée rosée)
Maîtrise des Hauts de Seine, Chœur du Théâtre du Châtelet, Philharmonia Orchestra, Christoph von Dohnányi (direction)
Yannis Kokkos (mise en scène)

La rencontre de Richard Wagner fut déterminante pour Engelbert Humperdinck (1854-1921), qui avait suivi une formation musicale plutôt académique. Il sollicita une entrevue avec le maître en 1880 et devint son assistant à Bayreuth en 1881 pour la création de Parsifal. La découverte de la musique de Wagner était celle d'une modernité naissante, d'une émancipation de la musique qui devait se faire pour partie par le biais de la scène lyrique, lieu d'une liberté formelle que, paradoxalement, la musique instrumentale ne parvenait alors pas encore à trouver. En 1890, la sœur de Engelbert Humperdinck, Adelheid, qui écrivait un Singspiel d'après le conte des frères Grimm Hansel et Gretel à l'intention de ses enfants, demanda à son frère d'en assurer la mise en musique. L'ouvrage prit la forme d'un opéra en 1891, il fut créé par un Richard Strauss enthousiaste à Weimar le 23 décembre 1893.

Le synopsis en est le suivant : dans le premier tableau, nous apprenons que les parents de Hänsel et de Gretel, sans argent, ne parviennent plus à les nourrir. Ceux-ci sont pourtant insouciants, d'ailleurs, la voisine a donné un pot de lait avec lequel maman fera du riz au lait le soir. Ils cessent donc de travailler, et dansent et chantent. Leur mère, qui rentre à la maison épuisée par sa journée de travail, les surprend en flagrant délit de bonheur et se met en colère. Dans la tourmente, le pot de lait est renversé. Elle envoie les deux paresseux chercher des fraises dans la forêt. Le père rentre alors. Il est un peu ivre, la journée a été bonne, il ramène beaucoup de nourriture à la maison... et demande où sont les enfants. Il se saisit d'un balai, et mime l'horrible danger qui guette les deux petits dans la forêt : la Sorcière, qui transforme les enfants en pains d'épices pour les manger. Les parents volent au secours des enfants. Le second tableau nous montre les deux petits monstres dans la forêt. Ils ont cueilli des fraises qu'ils mangent. Ils ont oublié l'heure, la nuit tombe, ils sont perdus, ils ont peur. Des créatures de contes de fées leur rendent visite : l'écho, qui répond à leurs cris, le Marchand de Sable, qui les endort, enfin des anges. Au troisième tableau, les enfants sont réveillés par la Fée Rosée. Ils aperçoivent une maison de pain d'épices qu'ils entreprennent de grignoter. " Grignotis, grignotons, qui grignote ma maison ? ", et c'est la sorcière qui sort de l'ombre. Elle immobilise Hänsel grâce à une formule magique, afin de l'engraisser, choisissant Gretel, dodue, pour première victime. Gretel libère son frère grâce à la formule magique qu'elle a mémorisée - tous deux jettent la sorcière dans son four. Les autres enfants victimes de la sorcière apparaissent, Hänsel et Gretel les libèrent du sort qui les emprisonne. Parents et enfants se réunissent, et chantent le fin mot de l'histoire : " Quand la détresse nous étreint, le Seigneur nous tend la main ! " - les oeuvres du mal ne durent pas.

Le travail de la soeur du compositeur a fait disparaître le versant subversif du conte des frères Grimm : dans sa version originale, c'était la mère, plus mégère que la sorcière elle-même, qui décidait de perdre les enfants dans la forêt pour se débarrasser de ces deux bouches à nourrir. Utilisant la technique du Petit Poucet, Hänsel semait des cailloux blancs pour retrouver le chemin de la maison. C'est la seconde tentative d'abandon de la mère, pour laquelle Hänsel n'avait trouvé que des morceaux de pain à semer, bien entendu dévorés par les oiseaux, qui aboutit. Dans l'opéra de Engelbert Humperdinck, les personnages sont gentils. Les enfants sont un peu turbulents et gentiment capricieux, plus gourmands qu'affamés. Fille et garçon sont déjà moulés dans leur rôle social (Gretel est coquette et Hänsel n'a pas peur) - davantage petits adultes que pervers polymorphes. Les parents sont justes et sages : ils ne se mettent en colère que lorsque les enfants font des bêtises, et regrettent bien vite les dangers qu'ils leur font courir.

L'ascendant de Richard Wagner, ainsi qu'une prédilection partagée pour le folklore allemand pouvait laisser attendre un opéra wagnérien sur un livret tiré d'un conte de fées. Pourtant Engelbert Humperdinck n'écrit pas du Wagner de seconde main : il n'écrit pas de Wagner du tout. Il est vrai que des clins d'oeil appuyés sont adressés à Wagner dans l'oeuvre - au second tableau, celui où les enfants se perdent dans la forêt, on reconnaîtra les Murmures de la Forêt de Siegfried, et les enfants ont parfois, notamment dans le premier tableau, le rire des Filles du Rhin - mais ces clins d'oeil demeurent citation, et non plagiat. Si le propos de Humperdinck peut être rapproché de celui de Wagner, c'est dans la recherche d'une convergence des moyens musicaux avec le texte. La réussite d'une telle tentative a ici son revers de médaille : Wagner écrit, en 1879, dans " De l'application de la musique au drame " (1), que le drame seul doit justifier l'écriture musicale. Les livrets de Wagner sont subversifs, violents. Ce sont eux qui mènent sa musique aux extrêmes qui en font une porte ouverte sur le XXe siècle - la différence qualitative qui sépare le deuxième acte de Lohengrin des premier et troisième actes est à cet égard significative. Le livret de Hänsel und Gretel souffre d'un excès de gentillesse - la musique qui l'accompagne également, qui s'inspire de comptines populaires allemandes, réelles ou composées pour l'occasion. Ici le livret, sans véritable enjeu, donne naissance à une musique légère qui ne connaît pas l'urgence. L'orchestre est parfois puissant, la sonorité est très sensuelle, mais le traitement du matériau musical demeure classique. Les mélodies, simples sous couvert d'une harmonisation riche, réapparaissent sans avoir subi aucun dommage. Elles sont utilisées comme des leitmotivs qui ne se laisseraient pas infléchir par le temps qui passe, que la montée de l'angoisse ne marquerait pas. Les scènes, nettement caractérisées musicalement, se succèdent comme autant d'épisodes charmants et sans conséquences sur la suite du récit musical. L'œuvre est pourtant agréable, vive et dynamique, elle connaît de beaux moments. Il est regrettable qu'elle ne soit pas jouée plus régulièrement.


C'est la mise en scène qui lui rend ici toute sa saveur. Yannis Kokkos est parvenu à une vision simple, concrète et théâtrale à la fois, une féerie qui ne cache pas ses trucages. Des anges volent au bout de câbles bien visibles; les enfants, joués par des adultes, paraissent petits au milieu d'un mobilier trop grand (premier tableau)... jusqu'à ce que la mère entre en scène. La forêt est traversée d'animaux déguisés en humains, le toit de la maison de pain d'épices est la projection d'une image de pâtisseries, laquelle se vide au fur et à mesure que les enfants la dévorent. Le jeu des acteurs est juste et drôle. La Sorcière (Graham Clark), qui change continuellement de déguisement, est extraordinaire en savant fou clonant à l'identique des enfants de pains d'épices entre son four, son fauteuil de dentiste et ses éprouvettes - elle est le seul personnage qui dépasse le cadre de l'oeuvre pour en révéler un enjeu politique. La morale du conte la voit réapparaître dans un coin de la scène, ricanant de l'artificialité d'une fin heureuse qui n'est qu'un instant de répit avant l'apparition d'une nouvelle sorcière dans un prochain conte.


L'œuvre est remarquablement bien dirigée. L'orchestre est chatoyant et coloré, il est présent sans jamais étouffer les voix. La distribution est brillante. Ruth Ziesak charme par son jeu de petite fille un peu trop marqué, qui participe à merveille du décalage - mélange de réalisme et de fiction - que la mise en scène impose à l'oeuvre. Son chant est clair, léger mais présent. Randi Stene, très belle voix de mezzo, forme avec elle un couple d'enfants agaçants et aimables. Dame Gwyneth Jones, en mère désespérée, colérique et maternelle, est une interprète idéale. Des éclairs de jeunesse et d'enthousiasme l'illuminent par instants : le désespoir ne peut être, dans cette féerie, qu'un mauvais moment à passer. En père débonnaire et ivre, Franz-Joseph Kapellmann est drôle et touchant - la scène où il mime la sorcière sur son balai, à mi-chemin entre le grotesque et le grivois, soutenu par les expressions de frayeur de sa femme, est un moment hilarant. Les seconds rôles sont à la hauteur de cette très belle distribution.

La question posée par Hänsel und Gretel pourrait être formulée ainsi : est-il possible de tirer d'un livret qui s'adresse aux enfants un opéra pour adultes ? C'est probablement cette question que la mise en scène entend, et élude d'une certaine manière, en représentant une oeuvre en décalage avec elle-même. Des enfants agaçants, une sorcière qui ne fait plus réellement peur, autant de personnages qui parlent davantage aux adultes qu'aux enfants. La mise en scène réalise elle-même le travail de distanciation qui permet la maîtrise de l'angoisse, travail qui dans le conte doit être fait par l'enfant lecteur ou auditeur. Le conte est devenu sans danger pour celui auquel il s'adresse. C'est alors dans cette distance au représenté, dans cette fiction qui s'avoue comme telle, que le spectateur trouve sa place. L'œuvre redevient, dans ce processus, artistique, multiple dans ses sens. La question met en jeu le statut même de la musique : peut-elle supporter une telle mise à distance, la mise en scène ne travaille-t-elle pas ici à l'encontre du récit musical ? La musique d'Engelbert Humperdinck n'est-elle pas, héritière du Romantisme et de son amour de la Vérité, irrémédiablement sérieuse et étrangère au déguisement ? Ne croit-elle pas nécessairement en l'histoire qui nous est contée - n'est-elle pas trop infantile pour supporter une mise en scène adulte ?


(1) Œuvres en Prose, XII, Les Introuvables, Editions d'aujourd'hui, retirage de l'édition Delagrave de 1928 (traduction Prod'homme).


Gaëlle Plasseraud

 

 

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