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Entre Werther et Lenski

Paris
Opéra-Comique
12/10/2009 -  et 12, 14, 16, 18, 20 décembre 2009
André Messager : Fortunio
Joseph Kaiser (Fortunio), Virginie Pochon (Jacqueline), Jean-Marie Frémeau (Maître André), Jean-Sébastien Bou (Clavaroche), Jean-François Lapointe (Landry), Philippe Talbot (Lieutenant d’Azincourt), Jean Teitgen (Lieutenant de Verbois), Sarah Jouffroy (Madelon), Jérôme Varnier (Maître Subtil), Eric Martin-Bonnet (Guillaume), Clémentine Margaine (Gertrude)
Chœur de chambre Les Eléments, Orchestre de Paris, Louis Langrée (direction)
Denis Podalydès (mise en scène)




On ne réduira donc pas Messager à Véronique, vue il y a deux ans au Châtelet (lire ici). Et c’est tant mieux : le premier à diriger en France aussi bien l’intégralité de Così fan tutte que la Tétralogie, le créateur de Pelléas et Mélisande ne fut pas seulement un chef ouvert à la nouveauté, il composa des œuvres qui font de ce disciple de Massenet l’un des maîtres de l’école française. Sa mise en musique de l’adaptation du Chandelier de Musset par les boulevardiers Flers et Caillavet – célèbres auteurs de L’Habit vert - retrouve heureusement le chemin de l’Opéra-Comique qui l’accueillit en 1907, confirmant le salutaire retour à l’esprit du genre et de la maison amorcé par Jérôme Deschamps. On n’avait pas, sauf erreur, vu Fortunio en France depuis que John-Eliot Gardiner l’avait dirigé à Lyon en 1987 – un CD existe, chez Erato. Espérons que la présente production amorcera un retour de Messager au cours des prochaines saisons…



Denis Podalydès, qui signe sa première mise en scène d’opéra, a bien conscience que toute l’ironie, voire la cruauté de la pièce de Musset n’ont pas passé dans la « comédie-lyrique ». Ainsi signe-t-il une production sans outrance, mais non sans finesse, essayant de réinsuffler dans la partition de Messager l’esprit du romantisme ambigu de l’écrivain, à travers d’abord ce Fortunio à la fois innocent et sauvage, embrasé et inhibé, névrosé assoiffé d’absolu. Jacqueline n’est pas non plus seulement une coquette, usant et abusant du « chandelier » censé servir de paravent à ses amours avec un militaire avantageux, le metteur en scène la veut troublée, ambiguë. Pas d’outrance, de même, dans le traitement des scènes relevant du boulevard ou du vaudeville – l’amant se cache évidemment dans le placard de la chambre. Si certains souhaitaient plus d’audace, on ne peut nier que la musique de Messager, toute d’équilibre et de subtilité, trouve là un équivalent scénique pertinent, dans de jolis costumes de Christian Lacroix et au milieu de décors d’un sobre réalisme d’Eric Ruf, compère de Podalydès au Français.


Louis Langrée, lui, laisse une impression mitigée, à la tête d’un Orchestre de Paris, très moyen, sinon médiocre. Le chef français, un des meilleurs de sa génération, qui a débuté sa carrière de chef d’opéra avec Fortunio, imprime à sa direction un irrésistible élan, évitant de conduire la partition du bout de la baguette comme une petite opérette. Rien ne lui échappe des raffinements de l’écriture de Messager, tantôt flamboyante, tantôt légère, sans doute non exempte de clins d’œil. Mais il ne parvient pas vraiment à les doser, se laissant trop souvent emporter, piégé surtout par l’acoustique sonore de la salle Favart, bref trop bruyant dans les passages passionnés – l’Introduction du quatrième acte ressemble, pour rester français, à celle du troisième d’Esclarmonde. Les chanteurs, du coup, se trouvent parfois à la peine, alors qu’ils appellent souvent des éloges. Virginie Pochon, qu’on a connue à l’Opéra Studio lyonnais, séduit par la parfaite clarté de l’articulation, la justesse de la composition, malheureusement toujours un peu handicapée par un timbre qui, s’il est moins citronné, reste trop pointu. Sa Jacqueline cocufie allègrement un Jean-Marie Frémeau exemplaire malgré l’usure des années – les notes les plus aiguës du rôle lui échappent – en vieux mari jaloux, dont il ne force jamais les traits. Au Landry de Jean-François Lapointe, qui tend les aigus de sa belle voix riche en harmoniques comme s’il chantait un grand opéra, on préfère le Clavaroche de Jean-Sébastien Bou, au timbre plus métallique, pas moins flatté par la nature, mais plus souple d’émission. Les seconds rôles, comme le chœur, confirment la bonne santé de l’école française. Fortunio, pourtant, vient du Canada ; s’agissant de Joseph Kaiser, on ne s’en plaindra pas. Absent de la générale pour cause d’extinction de voix, il aborde la première avec des moyens quasi intacts, maîtrisant ses mots et son style, ni trop léger ni trop puissant, d’une élégance suprême dans la conduite de la ligne. Il impressionne aussi par la profondeur de l’incarnation du chandelier souffrant et jouissant, égaré dans la vilenie du monde, donnant à Fortunio des accents à la Lenski – à Salzbourg, en 2008, le sien nous avait conquis – ou à la Werther – le « Il est son amant ! », à la fin du troisième acte, pourrait faire écho au « Un autre ! son époux ! » à la fin du premier de l’opéra de Massenet. Bref, il a tout compris.



Didier van Moere

 

 

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