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Qu'elle est comique ! Qu'elle est belle…

Paris
Palais Garnier
04/28/1999 -  et 29, 30 avril, 2, 3, 4, 6, 7, 9, 10 mai 1999
Jean-Philippe Rameau : Platée
Jean-Paul Fouchécourt / Tracey Welborn (les 29, 2, 4, 7, 10) (Platée), Annick Massis / Mireille Delunsch (les 29, 2, 4, 7, 10) (Folie - Thalie), Nora Gubisch (Junon), Cassandre Berthon (Amour - Clarine), Laurent Naouri ( Cithéron - Satyre), Yann Beuron (Mercure), Vincent Le Texier (Jupiter), Franck Leguérinel (Momus), Paul Agnew (Thespis).
Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Chantal Thomas (décors), Joël Adam (lumières), Laura Scozzi (chorégraphie)
Orchestres et Choeurs Les Musiciens du Louvre - Grenoble, Marc Minkowski (direction)

Retour du tandem Pelly - Minkowski à la parodie mythologique, après cet Orphée aux Enfers déjanté présenté à Lyon, Grenoble et Genève. Rameau bien sûr exige une profondeur, des zones d'ombre que le jeune Offenbach ignore encore. Nous les avons. La première qualité de ce spectacle est de refuser l'intellectualisme pédant comme la préciosité esthétique pour assumer un rire franc dont naîtra spontanément l'émotion, au besoin le malaise. Veut-on un seul exemple ? Prenez la chaconne de l'acte nuptial, dont la sublime inspiration s'harmonise étonnamment avec le ballet burlesque, à l'imagerie sexuelle appuyée. La chorégraphie de Laura Scozzi, épinglant avec une virtuosité redoutable certaine vacuité de la danse contemporaine comme des clichés classiques, contribue puissamment à la réussite d'une production qui restitue à l'oeuvre ses jeux de décalages entre le discours noble et la culture populaire. Puisque le théâtre de foire n'est plus dans nos rues, c'est dans l'univers du cartoon, voire de Chantal Goya que Pelly et sa décoratrice vont chercher l'indispensable farce, déclinée de la naïveté attendrissante (cette grenouille qui sautille dans la fosse d'orchestre) à la plus extrême élégance (le pas de deux du street-dancer tenu en laisse et de sa hautaine maîtresse). Exigeant beaucoup des choristes et des chanteurs, Pelly en obtient dans la tenue de scène (les mains en particulier, avec ces gants de batracien hilarants) et dans les mimiques une réceptivité rare, et construit avec eux une progression implacable du rire au déchirement, à laquelle le spectateur s'identifie profondément. Nous nous trouvons tous, tour à tour, dans la situation de Platée et de ses bourreaux, victimes de la concupiscence, de l'humiliation, de la détresse.

Marc Minkowski, qui mûrit l'oeuvre depuis plus de dix ans, est évidemment pour beaucoup dans l'approfondissement de sa dimension dramatique. Ses Musiciens du Louvre prônent le même engagement virtuose, les mêmes articulations incisives, mais le tempo respire avec davantage d'ampleur, les plans sonores se superposent avec une netteté qui est à la fois source de plaisir en soi et illustration théâtrale (plus que les bruits de la nature, son atmosphère : quels pupitres d'harmonie, quels frémissements du continuo, quels tourbillons des cordes !). Là encore, l'émotion naît aussi bien de la perfection formelle - les danses, vigoureuses et aériennes - que de la violence des accents, proprement terrifiants dans la scène finale. Minkowski s'est entouré des chanteurs qu'il affectionne, s'offrant même le luxe d'un Naouri qui peut se permettre aujourd'hui des emplois plus gratifiants que celui de Cithéron. Yann Beuron prouve encore une fois ses immenses qualités (cette plénitude du timbre et du soutien dans la déclamation de l'annonce faite à Platée !), on aime le couple infernal Gubisch - Le Texier et le numéro de Franck Leguérinel. Annick Massis, qui peine toujours à se libérer complètement, est une Folie ravissante et mutine, au timbre admirablement fin et coloré, à la diction savoureuse, au phrasé délié sinon toujours très précis rythmiquement, jouant avec esprit des cocottes et des grands éclats dans l'air de Daphné - mais il faudra voir, aussi, la flamme d'une Mireille Delunsch. Et puis il y a Fouchécourt, hallucinante Platée, d'une féminité plus touchante que grotesque dans les scènes de coquetterie, d'une drôlerie à la fois rayonnante et fragile. La voix n'a pas tout à fait l'ampleur que demande la scène finale, mais la lumière ambiguë du timbre (extraordinaire intégration du registre de tête), la subtilité de la dynamique, la précision des ornements et la musicalité inscrite dans les mots eux-mêmes en font l'un des plus formidables interprètes du rôle-titre jamais entendus. On en reprendrait bien une cuisse...



La Folie prend le pouvoir

Vendredi 7 mai
(2e distribution)

Changements de tête pour le Platée de Pelly et Minkowski chaleureusement accueilli par le public du Palais Garnier. En total contraste avec Jean-Paul Fouchécourt, Tracey Wellborn prête au rôle titre une stature physique et vocale héroïque - avouons que son apparition évoque un petit peu Priscilla folle du marécage. Sans l'ambiguïté du timbre, la facilité dans la voix mixte (d'où un aigu fixe et souvent bas), la finesse d'ornementation et la parfaite diction de son collègue, il peine dans la coquetterie comme dans la tendresse, mais livre un dernier acte bouleversant par l'intensité dramatique, la vigueur des accents portés par un souffle inépuisable. Delunsch est au delà de ce qu'on espérait ; évidemment moins fière de suraigu (d'ailleurs absent de la partition) et moins déliée de phrasé que Massis, mais ample d'émission et de dynamique, riche en couleurs jusque dans l'extrême grave, rythmiquement sûre, formidablement concernée scéniquement et musicalement. Il faut la voir toiser l'orchestre, regard perdu et sourire malsain au lèvres, avant d'attaquer les couplets de Daphné d'une voix arrogante (et avec une diction aussi claire que savoureuse, contrairement à ses prestations antérieures), la main fourrageant haineusement dans les partitions de sa robe, la vocalise hululant à plaisir, pour comprendre que les meilleures incarnations comiques se nourrissent souvent de la fibre de tragédienne. Adéquation parfaite avec l'esprit d'un spectacle qui bondira dans les mois à venir de Caen (19 et 20 mai) à Genève, faisant au passage quelques écarts sur Grenoble et Salzbourg (en version concert, fin mai), Anvers, Montpellier et Bordeaux.


Vincent Agrech

 

 

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