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Le poids des mots, le choc des images

Bruxelles
La Monnaie
02/26/2008 -  28, 29 février, 2*, 4, 6, 7, 9, 11, 12 mars 2008
Alban Berg : Wozzeck
Dietrich Henschel*/Werner Van Mechelen (Wozzeck), Claudia Barainsky/Solveig Kringelborn* (Marie), Douglas Nasrawi (Hauptmann), Jan-Hendrik Rootering*/Friedemann Röhlig (Doktor), Tom Randle (Tambourmajor), Marcel Reijans (Andres), Sara Fulgoni (Margret), Kurt Gysen (Erster Handwerksbursch), Paul McNamara (Zweiter Handwerksbursch), Joshua Ellicott (Der Narr), Rosa Brandao (Eine Frau), Paul Mernier/Matthis Perreaux* (Mariens Knabe)
Chœur d’hommes et Chœur d’enfants de la Monnaie, Piers Maxim, Denis Menier (chefs de chœur), Orchestre Symphonique de la Monnaie, Mark Wigglesworth (direction)
David Freeman (mise en scène), Michael Simon (scénographie, éclairages), Anna Eiermann (costumes)



La Monnaie avait marqué les esprits avec le légendaire Wozzeck du metteur en scène Hans Neugebauer, créé en 1981 et repris en 1989 par Mortier puis de nouveau en 1995 par Foccroulle. Celui de David Freeman actuellement à l’affiche restera certainement aussi dans les mémoires.


Ce spectacle fait l’économie d’un décor : recouvert de terre et d’eau – Wozzeck se noiera littéralement –, le plateau, baigné dans le noir, ne présente que les personnages, éclairés avec une rare efficacité. Plus réaliste qu’expressionniste, le jeu d’acteur demandé par le metteur en scène australien, qui effectue ses débuts à la Monnaie, bénéficie de cette nudité scénique. La portée du drame n’en est que plus grande. Ce qui participe à la force visuelle de ce Wozzeck tient à la conciliation totalement réussie de deux éléments : un dépouillement psychologique poussé n’excluant pas le naturel. C’est précisément cette dernière qualité qui s’avère payante. L’implacable logique théâtrale de Wozzeck, qui trouve écho dans une construction musicale savante bien qu’imperceptible, s’en trouve magnifiée au point que le meurtre de Marie constitue un aboutissement qui a force d’évidence, si tragique soit-il. Et l’on se prend finalement de compassion pour ce pauvre soldat.


Le poids des mots, le choc des images, voilà ce qui caractérise également cette nouvelle production. Dans cet univers malsain et suintant la médiocrité, le texte de Georg Büchner prend un relief saisissant – le mérite en revient surtout à une distribution qui fait pleinement honneur à ce chef d’œuvre du XXe siècle. Quant aux images, dures, crues mais également poignantes, elles imprègnent la rétine et éveillent une foule de sentiments contrastés, depuis la haine contre les petits esprits qui se croient importants (le tambour-major) jusqu’à la tristesse en passant par la pitié (le docteur). Marie se donnant au tambour-major sous les yeux de son fils, la brimade de Wozzeck par son rival et, consécutivement, la vengeance qui s’insinue dans son esprit, l’ultime scène, quand les enfants se confrontent, avec détachement, à la mort de Marie : autant d’instants rendus avec cette acuité qui fait les grands spectacles.


Dietrich Henschel est un des grands Wozzeck du moment, au point qu’il est difficile de concevoir une incarnation plus réussie. Bien que le baryton allemand porte en grande partie le spectacle sur ses épaules, rude épreuve s’il en est, le reste de la distribution s’avère également remarquable de caractérisation et d’engagement, à commencer par Solveig Kringelborn, qui, ne s’épargnant pas sur scène, possède la sensibilité de Marie. Le temps n’a pas trop élimé la voix de basse de Jan-Hendrik Rootering, docteur imposant. Quant à Douglas Nasrawi en capitaine mesquin, Tom Randle en tambour-major imbu et suffisant et Marcel Reijans en Andres, ils ne sont pas en reste. Et dans des rôles secondaires, de nombreux chanteurs font des débuts remarqués à la Monnaie, comme Joshua Ellicott dans celui du Fou.


Mark Wigglesworth était attendu au tournant. Le successeur de Kazushi Ono avait peu convaincu dans Mitridate en octobre dernier pour sa première prestation dans la fosse. La Seconde Ecole de Vienne et le postromantisme flamboyant semblent lui convenir davantage, comme en témoignent les Gurre-Lieder qui ouvrirent la saison, ainsi que ce Wozzeck. L’Orchestre Symphonique de la Monnaie empoigne la géniale partition de Berg pour en révéler toutes les subtiles beautés, la force d’évocation et l’impact. Les pupitres subjuguent par leur ponctualité, leur intensité et leur engagement. Certains regretteront ici et là une débauche de décibels – au point de devoir se boucher les oreilles dans l’interlude entre les deuxième et troisième scènes de l’acte III – mais cette musique l’appelle pourtant tout naturellement, et d’autant plus que l’orchestre, qui peut au demeurant se montrer chambriste, n’atteint jamais le seuil de saturation.


Une des toutes grandes réussites de ces dernières années à la Monnaie, ce Wozzeck captivant n’est à rater sous aucun prétexte.





Sébastien Foucart

 

 

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