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Emerveillement

Paris
Palais Garnier
11/05/1998 -  et 8, 11, 14, 18, 20, 23, 25 novembre 1998

Alexander von Zemlinsky : Der Zwerg (Le Nain)
David Kuebler (Le Nain), Christine Schäfer (Infante d'Espagne), Susan Anthony (Ghita), Andrew Shore (Don Estoban), Anna-Maria Panzarella, Isabelle Cals, Delphine Haidan (trois caméristes)
Maurice Ravel : L'Enfant et les sortilèges
Gaële Le Roi (L'Enfant), Hélène Perraguin (Maman, La Tasse chinoise, La Libellule), Anna-Maria Panzarella (La Bergère, La Chauve-souris), Nathalie Karl (Le Feu, Le Rossignol), Mireille Delunsch (La Princesse), Isabelle Cals (La Chatte, L'Ecureuil), Delphine Haidan (La Chouette, Un Pâtre), Désirée Rancatore (Une Pastourelle), Laurent Naouri (Le Fauteuil, Un Arbre), Franck Leguérinel (L'Horloge comtoise, Le Chat), Georges Gautier (La Théière, La Rainette, Le Petit vieillard)
Orchestre et Choeurs de l'Opéra national de Paris, James Conlon (direction)
Richard Jones, Anthony McDonald (mise en scène)

L'histoire dira si cette production restera comme l'une des plus emblématiques de l'ère Hugues Gall/James Conlon, mais tout concourt à en faire un moment marquant des mandats du directeur général et du directeur musical de l'Opéra de Paris, ainsi qu'un témoignage de la vigueur d'une maison et de son adéquation avec son public. L'audace calculée de programmer un ouvrage quasiment inconnu (Le Nain fait son entrée au répertoire de l'Opéra de Paris), d'en confier les rôles à un plateau de chanteurs ne comportant pas de "stars" et de faire venir pour la première fois en France une équipe de metteurs en scène anglais à la réputation sulfureuse (un Ring très discuté à Covent Garden), se sera révélée payante sur tous les tableaux, l'afflux du public comme la réussite artistique étant au rendez-vous.

Défenseur encore très isolé de l'oeuvre de Zemlinsky (1871-1942), James Conlon tenait à monter Le Nain (1922), l'un des huit opéras du compositeur autrichien, dont il avait déjà assuré le premier enregistrement mondial chez EMI. Tiré de L'Anniversaire de l'Infante d'Oscar Wilde, le livret raconte l'histoire d'un nain difforme ignorant tout de son apparence, mais à l'âme profondément humaine, qui sera offert en cadeau à la belle et capricieuse Infante d'Espagne. Celle-ci s'en amusera, s'en lassera, puis demandera qu'on le mette face à un miroir. Ne supportant pas l'atroce vérité de son identité monstrueuse, le Nain mourra aux pieds de l'Infante, seulement déçue d'avoir perdu un jouet. Les dimensions biographique (Zemlinsky, lui même disgracieux, était amoureux d'Alma Schindler qui épousera plus tard Gustav Mahler), psychanalytique (le "stade du miroir") et philosophique (il faut renverser l'impératif socratique et ne pas forcément chercher à se connaître soi-même) confèrent à l'ouvrage des résonances multiples et captivantes. La musique fascinante de Zemlinsky (proche du Strauss de Salomé par l'enchevêtrement des lignes mélodiques et la tension continue mais en plus symphonique, plus concentré et moins fantaisiste - pas d'orientalismes -, un Janacek viennois ?) illustre parfaitement toute la cruauté de la situation et tient en haleine l'auditeur pendant les 80 minutes de l'opéra. Peu de rôles de ténor sont aussi écrasants, vocalement et dramatiquement, que celui du Nain, David Kuebler le chante admirablement et participe pour beaucoup à la réussite de cette première, aux côtés de Christine Schäfer et de Susan Anthony, deux voix superbes, sans oublier les trois excellentes caméristes. Evoluant dans un univers factice et grotesque (une véranda en Formica donnant sur un jardin planté d'asperges géantes !), l'Infante et sa cours abandonnent toute humanité et tuent, par jeu, le Nain, simple marionnette tenue par le chanteur lui-même qui personnifie ainsi son âme si humaine et si généreuse. Richard Jones et Anthony Mc Donald savent être incisifs et touchants à la fois.

Second volet du thème de l'enfance cruelle et capricieuse, mais qui ici sera rachetée, L'Enfant et les sortilèges oppose au Nain sa distance ironique, sa dimension onirique et son orchestration pointilliste. Et la juxtaposition de ces deux chefs d'oeuvre fonctionnent parfaitement. Exploitant toute la truculence du livret, les deux metteurs en scène anglais font preuve d'une inventivité et d'une virtuosité rarement atteintes, chaque changement de tableau est une fête pour l'oeil et un appel à l'enfant qui sommeille en nous : de la Théière représentée par un boxeur ("I punch, Sir, I punch your nose") aux pâtres et aux pastourelles tombés des tentures et pleurant leurs paysages perdus, de la Princesse du livre déchiré dont le haut du corps marche à côté des jambes à la chauve-souris promenant ses petits dans un landau, des rainettes habillées en spéléologues à l'Ecureuil en tenue d'aviateur… La chorégraphie à la fois mécanique et subtile d'Amir Hosseinpour règle magnifiquement ces tableaux vivants. La distribution met à l'honneur la jeune génération du chant français avec notamment Gaële Le Roi, qui donne sa voix légère et mutine à l'Enfant, Hélène Perraguin, les trois caméristes du Nain, très convaincantes également ici, ou encore Mireille Delunsch, touchante princesse. Une seule réserve pour Natalie Karl (le Feu) dont la prononciation est quelque peu déficiente.

Au pupitre d'un excellent Orchestre de l'Opéra (l'un des meilleurs orchestres de fosse d'Europe, il faut le dire et le répéter), James Conlon déploie un geste ample et volontaire (Zemlinsky) ou précis et contenu (Ravel) et contribue, avec les autres forces de l'Opéra, à faire de cette soirée un véritable émerveillement.



Philippe Herlin

 

 

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