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A Montpellier, le Festival de Radio France ressuscite Il Duca d'Alba

Montpellier
Opéra Berlioz - Le Corum
07/16/2007 -  
Gaetano Donizetti : Il Duca d'Alba
Inva Mula (Amelia d’Egmont), Franck Ferrari (Il Duca d’Alba), Arturo Chacón-Cruz (Marcello di Bruges), Francesco Ellero d’Artegna (Sandoval), Mauro Corna (Daniele), Nikola Todorovitch (Carlo), Karlis Rutentals (Un tavernier)
Chœur de la Radio lettone, Sigvards Klava (direction), Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon, Enrique Mazzola (direction)

Du Duc d’Albe, destiné à conforter sa position à Paris, Donizetti n’acheva que les deux premiers actes, commencés en 1839 : la maîtresse du nouveau directeur de l’Opéra, la cantatrice Rosine Stolz, ne trouvait pas en Hélène d’Egmont un rôle adapté à sa voix de mezzo – il l’avait conçu pour la soprano Julie Dorus-Gras. La Stolz, qu’il fallait contenter si l’on voulait franchir les portes de l’Académie royale de musique, brilla donc dans deux autres opéras français du maître italien : La Favorite et Dom Sébastien. On dut attendre ensuite la fin du siècle pour qu’un quarteron de compositeurs achevât la partition à partir d’une traduction italienne. Parmi eux, un disciple de Donizetti, Matteo Salvi, à qui l’on attribua un peu vite l’ensemble de la révision, mais aussi Ponchielli, le compositeur de La Gioconda. Le Duc d’Albe devint ainsi Il Duco d’Alba. S’il est, à en croire les spécialistes, difficile de dire exactement qui a fait quoi, l’air le plus célèbre de l’œuvre, « Angelo casto e bel », chanté et enregistré par les plus grands ténors, de Caruso à Villazon en passant par Alvarez et Pavarotti, est bel est bien de Salvi – alors qu’il passe la plupart du temps pour être de Donizetti. Comme l’a dit Richard Martet dans sa conférence introductive, l’œuvre est finalement « un produit de plusieurs mains à prendre comme tel ». Mieux vaut donc l’opéra ainsi, comme en 1882 à Rome, avec ses mélodies typiques de Donizetti soutenues par un orchestre sentant sa fin de siècle, plutôt que de tenter, à l’instar du chef d’orchestre Thomas Schippers à Spolète en 1959, une seconde révision tendant à retrouver une très problématique authenticité donizettienne.


Aucun directeur d’opéra ne semblant s’intéresser à une partition que, à Spolète, mit en scène un certain Luchino Visconti, on ne peut que remercier René Koering d’avoir ressuscité ce qui reste, malgré son titre italien, un grand opéra à la française, où ne manquent ni les chœurs de patriotes et d’occupants, ni les défilés et les cortèges. L’ensemble, en effet, ne manque pas d’allure et peut rivaliser avec les Halévy ou les Meyerbeer. La comparaison la plus intéressante se fera toutefois avec Les Vêpres siciliennes de Verdi : Scribe, sachant la cause de son Duc d’Albe définitivement perdue, surtout après la mort de Donizetti, accommoda les restes, comme on dit : il transféra l’action des Flandres annexées par l’Espagne dans la Sicile occupée par les Français, développant pour l’occasion le rôle du patriote Daniel, qui devient le terrible Procida. Seule la fin est différente : alors qu’Hélène/Amelia s’apprête à tuer le duc d’Albe pour venger son père, Henri/Marcello s’interpose et reçoit le coup fatal. Pas de massacre général comme dans les Vêpres : le Duc regagne sa patrie, maudissant ces Flandres qui lui ont pris son fils. Mais la comparaison est dangereuse, quasi perverse : qui connaît bien l’œuvre de Verdi ne peut s’empêcher de la superposer, de l’entendre parallèlement à celle de Donizetti et de ses « réviseurs ».


L’impression la plus forte, à Montpellier, est laissée par le chef, un Enrique Mazzola survolté mais dominant la partition jusqu’à la dernière note, électrisant les musiciens de l’orchestre languedocien, qui semblaient ne demander que cela – et le superbe chœur letton, habitué du festival. Un vrai chef de théâtre, très narratif aussi, faisant passer tout le drame dans sa direction, donnant à voir autant qu’à entendre, de quoi relancer la polémique sur la légitimité des mises en scène – surtout peut-être dans ce genre de répertoire, où la convention peut sembler difficile à dépasser, sinon à transcender. Les finales, notamment, ont révélé toute leur puissance, à commencer par celui du deuxième acte, une des grandes réussites de Donizetti. La distribution s’avère beaucoup plus contestable. Inva Mula la domine, qui sait comment on chante l’opéra italien – même si les ouvrages de la seconde moitié du siècle, moins belcantistes, lui conviennent mieux. Passons sur une voix un peu légère pour l’emploi, surtout dans le médium : la tenue, la caractérisation sont là, avec un très bel « Ombra paterna, a me perdona » au deuxième acte. Côté clés de fa, si Francesco Ellero d’Artagna convainc dans le fanatique Sandoval, Franck Ferrari a peu à voir avec le Duc : cette émission en arrière, cette ligne sans noblesse, ce manque de legato, cette composition sommaire ne conviennent guère à Donizetti, le « Nei miei superbi gaudi », au troisième acte, se voyant gâché par des effets véristes incongrus. On a beau sentir le chanteur sincère, cela ne suffit pas dans un rôle où on attend encore un belcantiste authentique. Tout aussi sincère, émouvant même dans ses déchirements de fils et d’amant, Arturo Chacón-Cruz pâtit, lui, d’une émission laryngée qui lui interdit les nuances, raidit ses aigus ; on se demande très vite dans quel état il arrivera à la fin. Cela dit, même si le « Angelo casto e bel » ne peut être couronné de « la note » attendue, il tient le coup jusqu’au bout, jusqu’à cette mort superbe où Donizetti recycle un passage de Pia de’ Tolomei.


Ne boudons pas trop : le plaisir de la (re)découverte, surtout confiée à une baguette aussi experte, l’emporte malgré tout sur la frustration.



Didier van Moere

 

 

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