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Sommets viennois

Baden-Baden
Festspielhaus
05/12/2007 -  
Joseph Haydn : Sonate N° 20, Hob.XVI.20
Ludwig van Beethoven : Sonate N° 31, op. 110
Franz Schubert : Impromptus op. 142 N° 1 et 3, D. 935
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonate N° 14, K. 457

Alfred Brendel (piano)

Alfred Brendel n’a pas son pareil pour s’adapter à des salles de toutes tailles, y compris les plus énormes. Dans le vaste espace du Festspielhaus de Baden-Baden son exposition de la 20e Sonate de Haydn paraît discrètement étouffée, comme enveloppée d’un halo indésirable… mais qu’à cela ne tienne. Dès la reprise l’éventail des nuances se met en place naturellement, les forte se densifient sans saturer, les nuances piano s’installent aux bornes de l’audible sans perdre de leur substance : le rapport idéal est créé entre l’instrument et l’acoustique d’une salle très remplie. Ensuite, reste à foudroyer sur place les tousseurs indélicats, ce qui est accompli assez vite. Il suffit de quelques signes d’exaspération suscités par des nettoyages de bronches trop sonores pour qu’un calme souverain s’installe en quelques minutes : plus personne n’ose bouger!


La 20e Sonate est certes précoce dans le corpus des soixante pièces environ qui portent ce titre dans l’œuvre pianistique de Haydn. Pourtant il s’agit d’une vraie Sonate classique, bien qu'encore parasitée par le morcellement voire les tentations dansantes de l’ère précédente. Brendel excelle à y trouver des architectures imposantes, y compris sans doute des itinéraires rectilignes auxquels le compositeur n’avait pas forcément pensé. Malgré le raffinement du toucher et la richesse de la palette de nuances, il est impossible au pianiste d’éviter quelques instants de monotonie relative, quand la constante répétition des formules, même ornées et variées (en particulier dans l’Andante con moto) ne soutient pas toujours l’intérêt. Manque ici la richesse de couleurs d’un vrai pianoforte (mais ne rêvons pas, seul un grand instrument moderne peut passer la rampe dans une salle de cette taille), déficit suppléé par la série de miraculeux expédients, en terme d’attaques et de sonorités, dont Brendel n’a perdu aucune recette. Toutes les reprises sont faites, ce qui amène cette Sonate modeste à des proportions vraiment généreuses, mais pour une pièce d’entrée de récital les paris sont gagnés, y compris celui de préparer le public aux sommets qui suivront.


Changement radical avec les premières phrases éparses de la Sonate Op. 110 de Beethoven, où Brendel jette dans la mêlée, peut-être avec trop d’emportement d’emblée, les différentes idées contrastées qu’il va devoir organiser ensuite. Les passages en triples croches notés leggiermente ont beau servir de moments de détente transitoires, d’un allègement idéal, un certain déficit en dynamique interdit ensuite toute construction monumentale, comme si les sursauts d’énergie requis par les empilements d’accords n’étaient plus disponibles. Brendel a aujourd’hui dépassé les soixante-quinze ans et il n’est pas certain que son tempérament de plus en plus mesuré, contrairement aux vieux lions de la génération précédente (on pense notamment aux derniers concerts d’Arrau ou de Serkin, d’une intensité de plus en plus furieuse) lui permette encore de dominer physiquement des partitions aussi titanesques (on ne parle pas ici de l’acuité analytique et de la musicalité, ô combien intactes). Restent de fantastiques visions, une école pianistique toute de lisibilité et d’équilibre, mais plus de véritable choc.


L’ébahissement est bien davantage au rendez-vous dans la partie schubertienne, avec les Impromptus Op. 142 N° 1, 3 et 2 (ce dernier accordé en bis à la fin du concert), où l’on retrouve dès le premier accord la souveraine aisance d’un pianiste qui reste une référence incontournable en la matière. Le naturel dans l’expression, l’exacte synthèse entre les composantes romantiques troubles et la simplicité d’un style éminemment viennois, tout est là. Il n’y a plus qu’à se laisser charmer, émouvoir, voire inquiéter quand surgissent des ombres dignes subitement d’un Voyage d’hiver tout proche. Du très grand art, culminant sans doute dans les exquises variations de l’Op. 142 N°2, qui n’ont jamais semblé couler autant de source.


Long et exigeant marathon final, avec la vaste Sonate en ut mineur K. 457, donnée toutefois sans la Fantaisie qui peut lui servir de portique. Fatigue de fin de concert ou simple prise de pouvoir de la mécanique digitale sur l’inspiration, Brendel n’y convainc pas toujours, avec un toucher creusé, presque sec, qui semble détailler certaines lignes en pointillés. Les mouvements impairs dégagent une impression de fébrilité parfois gratuite, pris à des tempi très rapides qui déstabilisent une technique pourtant sûre (pas mal de petits ratés, notamment sur le stratégique motif ascendant en octaves du premier mouvement qu’il faudrait, précisément, éviter de rater…). Très beau parcours en revanche pour le second mouvement, pause bienvenue dans cette Sonate conçue en quelque sorte par Mozart comme un ambitieux Concerto pour piano seul, tout à fait digne de conclure ce programme exigeant.


Accueil chaleureux du public, enfin libéré après deux heures d’attention fermement imposées (qui d’autre que Brendel aujourd’hui arriverait encore à défendre des programmes aussi opiniâtrement viennois, avec ce que cela peut comporter parfois de presque étouffant), invariable rituel des saluts dégingandés de ce grand myope génial, et même une standing ovation, amplement méritée.



Laurent Barthel

 

 

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