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Couleurs de la Cité céleste

Paris
Opéra Bastille
10/06/2004 -  et 9, 12, 16, 20, 24, 27 octobre, 2 et 5 novembre 2004
Olivier Messiaen : Saint François d’Assise

José van Dam (Saint François), Christine Schäfer (l’Ange), Chris Merritt (le Lépreux), Brett Polegato (Frère Léon), Charles Workman (Frère Massée), Christoph Homberger (Frère Elie), Roland Bracht (Frère Bernard), Guillaume Antoine (Frère Sylvestre), David Bizic (Frère Rufin), Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Peter Burian (chef des chœurs), Sylvain Cambreling (direction musicale)
Stanislas Nordey (mise en scène), Emmanuel Clolus (décors), Raoul Fernandez (costumes), Philippe Berthomé (lumières)


Deux jours après la Saint François d’Assise, l’unique opéra de Messiaen, ou plutôt ses «Scènes franciscaines en trois actes et huit tableaux» revenaient pour la troisième fois en vingt ans à l’Opéra de Paris: en effet, créées à Garnier en 1983, elles ont ensuite connu Bastille en 1992, dans une production à laquelle Salzbourg et San Francisco étaient associées. On en retrouve, douze ans plus tard, deux des têtes d’affiche – le chef d’orchestre (Sylvain Cambreling) et le rôle-titre (José van Dam) – ainsi que, dans l’ombre, Gérard Mortier, qui était alors de la partie en tant que directeur artistique des Salzburger Festspiele.


Tenant à la fois de Wagner (Parsifal, bien sûr, mais avec un voyageur incognito et poseur d’énigmes qui rappelle aussi le Wanderer de Siegfried), Moussorgski (Boris Godounov) et Debussy (Pelléas et Mélisande) – il est de pires références – tout en étant on ne peut plus typique de Messiaen (avec ses échos de Turangalîla-Symphonie ou du Réveil des oiseaux), l’œuvre se présente comme un bloc à prendre ou à laisser. Il faut en effet accepter d’adhérer à un livret (du compositeur) où une maladroite sincérité et des intentions didactiques le disputent à une naïveté sulpicienne, mais aussi à une prosodie qui tient davantage du récit que du chant, à un refus de la dramaturgie opératique traditionnelle et à une dilatation délibérée du temps, résultant notamment de la lenteur des tempi et d’une tendance à la répétition.


Bref, comme Gurnemanz le fait observer dans Parsifal, «ici le temps se fait espace» et c’est donc le gigantisme de la démarche qui frappe d’abord: une durée de quatre heures vingt-cinq (deux heures pour le seul deuxième acte), de telle sorte que les représentations débutent, de façon assez malaisée en semaine, à 17 heures 30 (précises); près d’une centaine de musiciens (dont sept flûtes, trois tubas et dix percussionnistes, xylophone, xylorimba et marimba étant exilés côté cour) et un peu plus encore de choristes. Certains, comme de coutume, n’y auront esthétiquement ou même (gagnés par le sommeil) physiquement pas résisté, mais Saint François d’Assise constitue toujours un événement. Plusieurs personnalités du monde musical avaient d’ailleurs fait le déplacement, à commencer par Yvonne Loriod, mais aussi Marc Minkowski, grand écart stylistique pour celui qui dirige en ce moment La Grande duchesse de Gérolstein au Châtelet (voir ici) ou Philippe Fénelon, dont la Salammbô avait été créée en ces lieux mêmes voici six ans (voir ici et ici).


Succédant à un Peter Sellars fidèle à sa réputation d’intelligence, de vivacité mais aussi de provocation, Stanislas Nordey revendique un parti pris d’humilité: rejetant toute volonté de surcharge, il veut «donner de l’air» à ce qu’il considère non comme un spectacle, mais comme une incitation à la réflexion, voire à la contemplation. Du «tout vidéo» de son confrère américain, il ne restera donc qu’une projection en fond de plateau et en temps réel du visage du Lépreux, ces quelques minutes d’un gros plan sur un chanteur d’opéra qui n’est pas essentiellement un acteur étant au demeurant assez hasardeuses. Schématiquement, dans une approche très plastique qui ne constitue pas un contresens compte tenu de l’association que Messiaen faisait des sons et des couleurs, Nordey s’intéresse bien moins à «l’art vidéo» de Name June Paik qu’à certains grands noms de l’abstraction, Pierre Soulages, Mark Rothko ou Gerhard Richter, voire, au-delà, si l’on s’en réfère à l’iconographie retenue dans le programme, à Joseph Beuys, Annette Messager ou Christian Boltanski.


De fait, Nordey élabore huit «tableaux», au sens propre, mais soigneusement ordonnancés: dans un cadre aussi sobre que sombre, hiératique et dépouillé, vastes panneaux monochromes ou ardoises reproduisant la question de l’Ange sur la prédestination alternent ou se combinent. Pour Les Stigmates, un immense triptyque de vitraux suggère ainsi une Crucifixion dont le volet central, portant Saint François en son propre centre, s’opacifie pour rougir progressivement sous le rouleau de deux peintres agissant en coulisse. Dans ce contexte, il n’est donc pas surprenant que la scénographie ne concède que quelques maigres touches de réalisme (tabourets, chaise, pelle), avec, pour Le prêche aux oiseaux, une chaire minimaliste montée sur un cadre métallique.


Hué par une partie de la salle, Nordey a sans doute déplu par ce qui a pu apparaître comme de la distance ou de la froideur. Impossible, pourtant, au-delà de la légitime subjectivité des appréciations, d’estimer a priori que son travail ne serait pas apte à dégager moins de spiritualité que celui de Sellars en son temps. D’autant que le metteur en scène français assume pleinement une conception très réfléchie, dont la solidité et la continuité paraissent incontestables. Pour ce faire, il s’est entouré d’une équipe avec laquelle il travaille de longue date: dès lors, décors d’Emmanuel Clolus (à la fois puissants et épurés, même si l’on n’échappe pas, tout au long du premier acte, à l’inévitable plan incliné, monté sur des sortes de derricks), costumes de Raoul Fernandez (dans les bruns, à l’exception la blancheur immaculée de l’Ange et du Lépreux, tout en évitant la robe de bure) et lumières de Philippe Berthomé (mettant en valeur la splendeur du grain des panneaux) forment un tout cohérent.


La mise en scène proprement dite offre peu à voir: les chanteurs se retrouvent le plus souvent debout face au public, Saint François occupant généralement une position centrale. Seuls, ou presque, l’Ange, le Lépreux ou même Frère Elie bénéficient d’attentions plus grandes, avec des gestes mécaniques, voire quelque peu outrés, qui ne sont pas sans évoquer la manière, on serait presque tenté de dire l’humour, de Robert Wilson. Sinon, c’est le souci de composer de véritables tableaux qui s’impose, mais il faut reconnaître que le livret encourage le statisme de la direction d’acteurs et que l’on peut difficilement reprocher à Nordey de s’inscrire dans une logique d’oratorio plus que d’opéra.


Musicalement, l’adhésion à la démarche de Nordey ne semble que partielle: en ralentissant les tempi – un choix qui relève du pari, tant il est difficile de les tenir et de les porter de part en part, sans parler des périls qu’il entraîne pour les solistes – Cambreling se trouve certes en phase avec le statisme du spectacle, mais son souci de dramatisation dans les passages animés ainsi que son attention aux phrasés et aux sonorités induisent une sensualité plus immédiate que celle qui émane de la scène.


La distribution vocale, sans aucune faiblesse, se caractérise par une remarquable homogénéité et, dans l’ensemble, par une diction exemplaire, de telle sorte que la malheureuse panne de surtitrage durant tout le premier acte et le début du deuxième acte n’aura pas tiré à conséquence. Au premier rang, bien évidemment, José van Dam (Saint François), créateur du rôle, continue d’impressionner par sa souplesse d’articulation, par le moelleux de son timbre et, bien qu’étant fréquemment immobile, par sa présence scénique, campant un personnage d’emblée serein, détaché des choses d’ici-bas, d’une douceur presque résignée. Moins veloutée, plus acide que Dawn Upshaw, mais tout aussi pure et radieuse, Christine Schäfer (l’Ange) promène malicieusement son allure espiègle de chérubin blond et ailé, portant, au deuxième acte, ses ailes dans une valise transparente. Le Lépreux de Chris Merritt, plus expressif qu’exact, s’illustre par une voix claire mais obérée par un fort accent.


A leurs côtés se détachent plus particulièrement le baryton canadien Brett Polegato (Frère Léon) qui, s’il peine parfois à passer la fosse, incarne un émouvant Frère Léon dans le tableau final, et le ténor américain Charles Workman (Frère Massée), qui démontre un superbe sens du phrasé, tandis que l’Allemand Roland Bracht, en Frère Bernard bien chantant, fait d’excellents débuts à l’Opéra national de Paris. Chœurs et orchestre de cette maison tiennent vaillamment le choc tout au long de la soirée, avec une mention spéciale pour les bois et percussions, considérablement sollicités.


Malheureusement, les trois ondes Martenot, placées au premier balcon, au centre et sur les côtés, sont assorties d’une sonorisation excessive et réverbérée. Non seulement la spatialisation, quoique bienvenue au deuxième acte dans la mélodie de l’Ange musicien venue du ciel, ne se justifie pas dans le reste de la partition, où les ondes devraient se fondre davantage dans la pâte orchestrale, mais surtout, au gré des effets ainsi amplifiés, défilent, dans une réalisation assez kitsch, des crachotements de TSF, des bruits de mitraillette, le «swoush» de Superman se déplaçant dans les airs ou les trois notes grêles et stridentes qui accompagnaient, dans les temps reculés de la téléphonie, le message «Il n’y a pas d’abonné au numéro que vous avez demandé».



Simon Corley

 

 

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