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Les sorciers de l’orchestre

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
09/16/2004 -  
Henri Dutilleux : Correspondances (création française)
Nikolaï Rimski-Korsakov : Schéhérazade, opus 35

Barbara Hannigan (soprano)
Orchestre national de France, Kurt Masur (direction)


L’Orchestre national et son directeur musical, Kurt Masur, ouvraient leur saison avec un magnifique cadeau de rentrée: la création française de Correspondances d’Henri Dutilleux. Donné en première mondiale à Berlin le 5 septembre 2003 par ses dédicataires, Dawn Upshaw et Simon Rattle, ce cycle de mélodies s’est enrichi depuis lors d’une cinquième pièce, placée en quatrième position, et dure ainsi désormais dix-neuf minutes.


Le compositeur a choisi cinq textes de nature très différente mais unis, selon lui, par une «égale inclination à la pensée mystique» et par «l’idée du Cosmos»: des extraits de lettres de Soljenitsyne et van Gogh, mais aussi des poèmes de Prithwindra Mukherjee, ethnomusicologue au CNRS, et Rilke. Dans cet ensemble, les deux pièces épistolaires représentent à elles seules les deux tiers de la partition, en harmonie avec son titre, qui, en même temps, constitue bien évidemment, plus de trente ans après le concerto pour violoncelle Tout un monde lointain, une nouvelle référence à Baudelaire. Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls échos que suscite la partition, non seulement musicaux – citations de Moussorgski et, van Gogh oblige, de La Nuit étoilée (Timbres, espace, mouvement) – mais aussi affectifs, la lettre de Soljenitsyne étant adressée à Msistlav (Slava) Rostropovitch (et à son épouse Galina), destinataire et créateur de Tout un monde lointain, commanditaire et créateur de La Nuit étoilée. Décidément, Dutilleux, qui avait jusqu’ici assez peu servi la voix et, en tout cas, pas depuis la mélodie San Francisco night (1963), s’épanouit dans son propre cosmos artistique et personnel.


Il fait appel à une formation relativement restreinte, certes généreuse en bois (par trois hormis les bassons par deux) et augmentée de façon assez inattendue d’un accordéon, mais employée avec parcimonie, d’autant que Masur fait en sorte que la soliste, Barbara Hannigan, ne soit jamais couverte par l’orchestre. Malgré un léger accent et une diction perfectible, la soprano canadienne fait valoir une technique très sûre et un timbre remarquablement pur.


Dès la Danse cosmique (trois minutes), c’est un univers familier qui se révèle, tant cette instrumentation incandescente, en harmonie avec les flammes évoquées par le poème de Mukherjee, porte la signature si aisément identifiable de Dutilleux. A Slava et Galina... (un peu plus de six minutes) renvoie à cet art si typiquement français de la prosodie, celui de Pelléas. Très brefs, Gong et Gong 2 (à peine quatre minutes), superbes études de sonorités, évitent soigneusement, jusque dans les toutes dernières mesures, de recourir à cet instrument pour lequel Rilke exprime, dans ces deux poèmes, sa fascination. Magnifiquement épuré, d’une simplicité bouleversante, De Vincent à Théo... (six minutes) conclut par une magistrale progression en forme de passacaille.


L’ovation se prolonge malgré le retour des lumières et Masur vient lui-même saluer Dutilleux, installé à l’orchestre non loin de Mukherjee et rechignant, au moins autant sous l’effet de la modestie que du grand âge, à monter sur scène. En novembre dernier, alors que le chef allemand dirigeait la création française de Sur le même accord (voir ici) avec Anne-Sophie Mutter, l’enthousiasme du public l’avait déjà contraint à reprendre le morceau: de même, les artistes redonnent ici De Vincent à Théo....


En seconde partie, c’est un autre sorcier de l’orchestre qui avait été choisi, en la personne de Rimski, avec sa Schéhérazade (1888), en même temps qu’un clin d’œil à Dutilleux, Masur faisant vigoureusement retentir, à la fin du dernier mouvement, les deux gongs dont il disposait pour Correspondances. Un rien maniéré dans sa façon de s’alanguir sur les détails ou de faire sautiller certains phrasés, Masur n’use toutefois pas excessivement des libertés qu’offrent ces tableaux colorés et conduit le discours avec constance et fermeté. Luc Héry, quant à lui, s’impose dans la délicate partie de violon solo, à l’image de ses camarades de l’Orchestre national, délivrant un son qui, même au comble de la puissance, sait rester transparent.


Le concert, peut-être le plus court de la saison, s’achève par un bis, non moins concis: un impeccable Vol du bourdon extrait de Tsar Saltan (1900), léger comme Mendelssohn mais déjà grinçant comme Prokofiev.



Simon Corley

 

 

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