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Pianiste prometteuse, auditeur décontenancé

Montreal
Théâtre Maisonneuve
11/24/2003 -  


Joseph Haydn : Sonate en mi bémol majeur, Hob XVI.49
Robert Schumann : Kreisleriana, opus 16
Leos Janacek : Sonate en mi bémol mineur, “Z ulice” (Scène de la rue)
Igor Stravinsky : Trois mouvements de Petrouchka



Claire-Marie Le Guay (piano)



Quelques années après un récital donné au Festival de Lanaudière, la jeune pianiste française Claire-Marie Le Guay nous revenait pour ses débuts à Montréal, invitée cette fois par la Société Pro Musica. Programme dense, à nouveau centré sur Schumann et complété par autant d’astres révolutionnant à l’entour de la pièce maîtresse inspirée d’Hoffmann, tous programmatiques de manière plus ou moins évidente, tous rendus avec le même profond engagement et la même superbe maîtrise, mais laissant des impressions aux antipodes.


Le jeu de Claire-Marie Le Guay suscite beaucoup d’admiration tout en ayant quelque chose d’énigmatique. Son Haydn d’entrée nous vaut de beaux moments d’introspection, de belles couleurs instrumentales, un phrasé qui à chaque instant chante et donne vie au drame latent dans cette sonate qui compte parmi les plus complexes et les plus achevées du maître de musique des Esterhazy, et confirme que le compositeur mérite bel et bien une plus grande place au récital. Ses Kreisleriana empruntent une voie singulière, unique peut-être. On sent en effet, de façon plus subtile qu’affirmée, poindre le grain de folie/génie d’un Schumann à l’inspiration incandescente, l’humour transcendé, l’Amour passionné. On attend cependant autre chose de cette œuvre. Ici, l’interprète vient certes bousculer les idées reçues, s’éloignant des références «romantiques allemandes» (nombreuses, à la limite), ouvrant peut-être même une brèche culturelle (!) en émoussant les perceptions d’auditeurs comptant assurément parmi les plus «Européens» d’Amérique ! On ne peut s’empêcher, malgré tout, de chercher une caractérisation ponctuée de scissions beaucoup plus contrastantes, plus l’élément de brutalité, de tourmente, de fuite en avant, d’emportement, d’évanescence, j’ose même ajouter de virilité, qui fera apparaître ce Schumann qui ne fait que pointer le bout du nez et que l’on souhaite, toutes élucubrations interprétatives reconsidérées, retrouver.


De par sa facture même (et dans un contexte particulièrement décontenançant !), la Sonate de Janacek ne produit que peu d’effet, et nous voici déjà plongeant dans un extraordinaire Stravinsky conclusif. L’approche de la pianiste est à des lieues d’une tradition qui aura fait de l’œuvre un morceau de bravoure davantage axé sur la percussion que sur le sublime et l’évocation chorégraphique, et ici encore plusieurs auront sans doute été surpris. Il faut certes être très téméraire pour aborder la pièce, et très bon musicien pour transcender tous les écueils techniques de la partition. Claire-Marie Le Guay offre une lecture «à la française» du plus français des compositeurs russes contemporains : magnifiques coloris, poésie folklorique, féerie même; on est absolument conquis, et encore, le meilleur est à venir. Annoncé d’une voix trahissant quelque indisposition (l’hiver montréalais est rude et commence très tôt !), un Saint François de Paule marchant sur les flots dont la profondeur mystique et la ferveur viennent d’un coup jeter ombrage sur le concert entier !


Éblouissante, énigmatique, plus à l’aise dans Haydn que dans Schumann, donnant la pleine mesure d’elle-même chez Liszt et Stravinsky, le moins que l’on puisse dire est que Claire-Marie Le Guay a beaucoup pour séduire et beaucoup pour troubler tout à la fois ! Puisse-t-elle se donner le temps et les moyens d’intégrer pleinement la grande artiste qu’elle est en train de devenir.







Renaud Loranger

 

 

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