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Réécriture de la Rome antique…

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
09/23/2003 -  et les 25, 27 et 28* septembre 2003.
Georg Friedrich Haendel : Agrippina
Anna-Caterina Antonacci (Agrippina), Malena Ernman (Nerone), Miah Persson (Poppea) et Rosemary Joshua le 23, Lorenzo Regazzo (Claudio), Lawrence Zazzo (Ottone), Antonio Abete (Pallante), Dominique Visse (Narciso), Lynton Black (Lesbo),
John Macfarlane (décors et costumes), Paule Constable (lumières), Andrew George (mouvement), David McVicar (mise en scène)
Concerto Köln
René Jacobs (direction)

Après avoir triomphé en mai 2000 à Paris et en juin et septembre derniers à Bruxelles, la fameuse production de David McVicar d’Agrippina revient le temps de quelques représentations au théâtre des Champs-Elysées et se taille un franc succès. Certes Haendel suscite des mises en scène de plus en plus farfelues, de plus en plus décalées et la transposition au monde contemporain est un des artifices privilégiés par les metteurs en scène. David McVicar ne déroge pas à cette règle, mais avec moins de talent et d’esthétique que Jean-Marie Villégier dans Rodelinda de Glyndebourne.


Cette lecture de la Rome antique, par bien des aspects, est très intéressante. Le metteur en scène décide de présenter une Rome assez décadente et surtout en mauvaise passe politique: le panneau du rideau montre une louve romaine en bonne santé et nourrissant les deux jumeaux mais lorsque Claude apprend la fausse trahison d’Ottone, la lumière s’éteint sur une louve ensanglantée.
Agrippine, véritable furie déchaînée, tente pendant près de quatre heures, d’asseoir son fils Néron sur le trône et d’évincer Ottone, le favori de Claude. David McVicar présente cette oeuvre comme un moment dans l’histoire romaine à travers le personnage de Lesbos, rôle assez mineur musicalement, mais qu’il amplifie en en faisant une sorte de Destin: en effet le personnage apparaît sur scène dès l’ouverture, un volume des Annales de Tacite à la main. A la fin de l’opéra, il se remet dans la même position, toujours avec le livre. La scène s’ouvre sur une série de tombeaux sur lesquels sont gravés les noms des personnages et tous les chanteurs sont allongés dessus. Au moment du final, ils regagnent leurs sarcophages et se replacent presque dans la même position. Ces accessoires sont à transformation car celui d’Agrippine devient une coiffeuse, celui de Poppée un lit… L’élément décoratif central de cette mise en scène est un escalier jaune au sommet duquel se trouve le fameux trône convoité par tant de personnages: Claude y reçoit son triomphe, Agrippine, hors d’elle, rampe sur les marches à la fin de l’acte 2 et Néron gravit allègrement les marches à la fin de l’opéra: la prise de l’escalier symbolisant quelque peu la prise du pouvoir… Toutefois on note ça et là quelques incohérences, certes volontaires. Pendant l’air “Tu ben degno“ Agrippine est censée s’adresser à Ottone, or ce dernier est en train de se faire interviewer et Agrippine parle dans le vide. De même Néron témoigne des marques de tendresse à une mère absente, partie s’habiller en coulisse.

Si la mise en scène déstabilise un peu, le bonheur au niveau vocal est extrême. Tous les rôles sont tenus à la perfection et on ne sait qui louer le plus.
Anna-Caterina Antonacci, déjà superbe dans Rodelinda en février 2002 au Châtelet, trouve en Agrippine un de ses meilleurs rôles. La voix est claire, forte, nuancée. La seule petite déception vient de ses aigus un peu forcés. La chanteuse s’engage corps et âme dans ce personnage et le transcende complètement. Sa voix est faite pour Haendel, certes, mais derrière certaines notes on peut entendre une future Tosca se débattant dans les griffes de Scarpia. Lors de la première elle est restée assez fidèle à la mise en scène mais à la dernière représentation, elle a accentué tous les traits de son personnage, faisant d’Agrippine une alcoolique certes, mais surtout une femme déterminée et prête à tout pour faire monter son fils sur le trône. La fameuse scène “Pensieri, voi mi tormentate” est peut-être un petit peu moins bien chantée lors de la dernière mais est bien plus convaincante et la colère d’Agrippine prend corps à ce moment. Anna-Caterina Antonacci module sa voix de manière à crier certaines notes pour les rendre plus dramatiques: lorsqu’elle appelle Néron au pouvoir avant le retour inattendu de Claude, ses “Vieni” sont davantage des rugissements que des notes. Une grande actrice et une grande chanteuse!
Miah Persson se sort du rôle de Poppée avec tous les honneurs. Souffrante le soir de la première, Rosemary Joshua, qui avait créé cette production, a accepté de chanter dans la fosse. Extrêmement tendue au début de la représentation, sa voix se libère au fur et à mesure et elle parvient à surmonter son appréhension pour retrouver toute sa mesure dans la deuxième partie. En revanche Miah Persson, en pleine forme le soir de la dernière, séduit par sa voix fraîche qui avait déjà fait merveille dans le rôle de Smorfiosa dans l’Opera Seria en mars dernier, mais aussi par son engagement vocal. Elle tente le pari de faire de Poppée une véritable peste, moins manipulatrice qu’Agrippine mais qui ne saurait tarder à la valoir. Ses vocalises sont menées avec soin, toutes les notes y sont et elle tente de donner à cette accumulation de notes une portée dramatique. Elle se montre particulièrement émouvante dans le duo avec Ottone et coléreuse dans la cavatine “Tu ben è’ltrono” qu’elle lui chante au moment de sa disgrâce: elle distingue chaque syllabe, prête à éclater!
Malena Ernman est absolument époustouflante dans le rôle de Néron. Sa transformation en jeune garçon façon banlieue est criante de vérité et elle en a adopté tous les gestes, toutes les attitudes. Elle joue le jeu jusqu’au bout et avec brio. Le metteur en scène décide de faire de Néron un jeune fou, drogué et dominé par ses pulsions amoureuses. Quelques jeux de scène sont assez drôles notamment quand le prince royal est obligé de décliner son identité pour avoir le droit de commander une bière dans le bar. Cette jeune chanteuse module sa voix à l’envie et sait la rendre envoûtante comme dans l’air “Quando invita la donna” qu’elle chante rideau baissé et couchée par terre: avec René Jacobs, ils adoptent un tempo assez lent, rendant ce passage presque irréel. Le premier air qu’elle chante en hommage à Agrippine est également d’une pure beauté et ses “o” de “ascenderò” sont en parfaite harmonie avec les sons de l’orchestre.
Lorenzo Regazzo, annoncé malade lors de la première, est souverain dans le rôle de Claude. René Jacobs explique, dans le programme, qu’il a préféré un baryton à une basse, ce qui permet de jouer sur le ridicule du personne et son incapacité à prendre des décisions. Il est sûr que l’on imagine difficilement un empereur romain digne de ce nom en train de jouer au golf ou bien découvert, à moitié déshabillé, par sa femme au moment où il s’apprête à séduire Poppée. Le metteur en scène prend le parti de montrer la faiblesse de ce personnage, ce qui met davantage en relief la manipulation et la détermination d’Agrippine. Vocalement, le baryton italien est parfait et il n’hésite pas à enlaidir certaines notes pour montrer sa stupidité. En revanche, il se donne des airs de Don Juan dans son air “Vieni o cara”, air de séduction.
Lawrence Zazzo est un des meilleurs contre-ténor actuels. Il brosse le portrait d’un Ottone tendre, valeureux et honnête. Son jeu d’acteur excellent rend son renoncement au trône convaincant. Quant à sa prestation musicale, il met la salle à ses pieds dans la scène magnifique qui clôt la première partie de l’acte 2: il chante ce long air avec douceur, sensibilité. De même lorsqu’il souffre de la froideur de Poppée, il trouve dans “Vaghe fonti” des accents qui font penser à la pureté de la voix d’Andréas Scholl. Mais la scénographie ne l’avantage guère et il se retrouve souvent à marcher de long en large quand il n’est pas obligé d’esquisser des pas de danse… La seule petite remarque que l’on pourrait faire - à lui mais aussi à d’autres chanteurs de sa tessiture - c’est qu’il n’est pas toujours très compréhensible.
Dominique Visse, comme toujours, est excellent et imprévisible. Le premier de ses deux airs est celui qui lui correspond le mieux et il surprend par des accents doux, mielleux sur les “a” de “presago”. David Mc Vicar a su trouver le moyen d’exploiter au maximum ses dons de comédien et de musicien. Il chante ce fameux premier air au milieu d’une réunion et il s’adresse à Agrippine en privé: les figurants semblent lire une sorte de programme et sont dérangés par son air. Dès qu’il donne une note plus aiguë ou plus forte que les autres et surtout si caractéristique de sa voix, ils se mettent à réagir et à demander le silence, au point qu’il sort de scène sous leurs huées. Amoureux transi mais frustré d’Agrippine, Narciso lui est entièrement dévoué et il le démontre en étant soumis et tremblant à chacune de ses apparitions.
Antonio Abete est un comparse à sa hauteur. Ce chanteur possède de très beaux graves qu’il met en valeur dans son premier air et dans les notes piquées qui le jalonnent.
René Jacobs passe, depuis quelques années maintenant et après plusieurs enregistrements unanimement salués, pour un grand chef haendelien. Certes mais sa direction manque parfois de douceur et de profondeur, que seul Marc Minkowski (la comparaison ne peut que se faire) sait trouver. Tout cela reste bien froid et le chef ne semble pas se fondre avec la musique et faire corps avec elle. Le Concerto Köln répond à toutes les exigences de son chef et René Jacobs peut alors s’appuyer sur un pupitre de vents particulièrement remarquable. Quant au solo de clavecin du 2ème acte, Stefano Maria Demicheli se montre éblouissant de virtuosité et en même temps capable d’un certain humour: il contribue à rendre cette scène musicalement drôle et en parfaite harmonie avec la mise en scène particulièrement élaborée.



Cette reprise d’Agrippine est donc la bienvenue en ouverture de saison. Le public semble trouver beaucoup de plaisir à regarder les personnages antiques se crêper le chignon et intriguer. Même si la mise en scène déroute quelque peu, il est indéniable qu’un véritable travail a été mené à son terme et il faut reconnaître à David McVicar le soin de rester cohérent jusqu’au bout. Ceux qui se sentiraient frustrés scéniquement trouvent leur compte, fort heureusement, dans la musique… Il ne reste plus qu’à souhaiter que le travail musical trouve son aboutissement dans un studio d’enregistrement!



A noter:
- Une nouvelle intégrale de Rinaldo de Haendel sous la direction de René Jacobs est parue dernièrement avec Vivica Genaux dans le rôle-titre, Miah Persson, Lawrence Zazzo, Dominique Visse sous le label Harmonia Mundi.
- Lawrence Zazzo sera à l’affiche de Xersès au Théâtre des Champs-Elysées en novembre prochain sous la direction de William Christie tandis qu’Anna-Caterina Antonacci fera ses débuts en octobre dans Cassandre des Troyens au Châtelet, cette fois sous la baguette de John Eliot Gardiner.


Manon Ardouin

 

 

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