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Réécriture malheureuse de la légende d'Ulysse…

München
Prinzregententheater
07/13/2003 -  15, 18, 20 et 23* juillet 2003
Claudio Monteverdi: Il Ritorno d'Ulisse in partria
Rodney Gilfry (Ulysse), Vivica Genaux (Pénélope), Toby Spence (Télémaque), Dominique Visse (Humana Fragilità, Pisandro), Alison Hagley (Fortuna, Giunone, Melanto), Clive Bayley (Tempo, Antinoo), un soliste de Tölzer Knabenchors (Amore), Elena Zilio (Ericlea), Kenneth Roberson (Eumete), Christian Baumgärtel (Eurimaco), Guy de Mey (Giove, Anfinomo), Robert Wörle (Iro), Francesca Provvisionato (Minerva)
Ian MacNeil (décors), Gideon Davey (costumes), Simon Mills (lumières), David Alden (mise en scène)
Monteverdi-Continuo-Ensemble et les membres du Bayerische Staatsorchester
Christopher Moulds (direction).

Cette année, le festival du Bayerische Staatsoper propose de fêter le 350ème anniversaire de sa création en reprenant des oeuvres qui ont marqué l’histoire de cette maison. Le programme, très éclectique, permet de redécouvrir des opéras comme Der Rosenkavalier ou I Puritani dans des productions tirées de la saison officielle.



Il ritorno d’Ulysse in patria est une reprise d’une production créée en juillet 2001 avec de légères modifications de distribution. Continuant son parcours monteverdien, le metteur en scène américain David Alden tente de moderniser la mythologie grecque et il n’est guère un adepte des dieux en jupettes courtes et aux longs cheveux frisés à la Offenbach.
Après un prologue assez déroutant dans lequel il montre les différentes faiblesses de L’humana fragilità, qui manque de se faire dévorer par un immense oiseau (déduction faite à partir de quelques plumes qui apparaissent sur la scène) et qui se retrouve criblée de flèches, la scène s’ouvre sur un plateau dépouillé au milieu duquel trône…un radiateur. Cet objet assez inhabituel dans le contexte monteverdien ne trouve, à aucun moment, son utilité dramatique et disparaît après l’entracte. La lumière de Simon Mills est, en revanche, douce et propose quelques belles images: pour l’entrée de Pénélope, il la dédouble en ombre chinoise, créant ainsi une ambiance particulière et proche du tragique.

Vivica Genaux campe une Pénélope assez originale et à l’opposé de Marijana Mijanovic, absolument criante de vérité dans la récente production d’Aix dirigée par William Christie. Elle semble, certes, malheureuse de sa condition mais sait aussi s’amuser et danser avec les prétendants. Cette lecture du personnage fait quelque peu contresens avec la vision et de Monteverdi et de la légende antique. Dans cette mise en scène, Pénélope est à la limite de se remarier avec l’un des trois et le texte qu’elle chante est constamment en décalage avec la gestuelle que David Alden lui impose. Vocalement, sa prestation est également assez décevante. Superbe technicienne chez Haendel et Rossini, elle ne peut ici briller par des vocalises éblouissantes et doit davantage se concentrer sur le phrasé et la rondeur de sa voix. Vivica Genaux a un peu trop tendance à rendre sa voix caverneuse et à la détimbrer, ce qui, certes, fait ressortir le désarroi du personnage mais enlaidit quelque peu la tonalité de son instrument. Elle ôte à son air introductif “Di misera regina” toute couleur et se trouve à la limite de parler son texte et non de le chanter. La partition exige des graves sonores et c’est surtout sur ces notes que la chanteuse est le plus mise à mal. Ce n’est qu’à la fin, au moment où elle retrouve Ulysse, qu’elle s’épanouit et illumine sa voix. Le duo final est un bijou musical et la musique s’efface tout doucement.
Rodney Gilfry confirme son excellence dans le personnage d’Ulysse. La voix est solide, puissante, peut-être un peu trop pour la salle du Prinzregententheater. Le chanteur confère une présence à son personnage et en fait un être éperdu, désespéré, notamment au début de son apparition quand il danse avec des gestes de fous. Quand il joue le rôle d’Ulysse, il est affublé d’une sorte de manteau de marin mais quand il se déguise en mendiant, il est revêtu d’habits troués du plus mauvais genre et se retrouve cloué dans un fauteuil roulant: cet accessoire semble être à la mode en ce moment car plusieurs mises en scène récentes y ont recours…Le chanteur américain est entièrement habité par son personnage et, fait assez rare, il ne pense pas aux gestes qu’il doit accomplir mais les accomplit tout naturellement comme s’il était Ulysse: la musique prend une telle emprise sur lui que tous ses mouvements semblent d’une logique imparable. Ses interventions “O fortunato Ulisse”, qui scandent la scène avec Minerve, sont d’une justesse et d’une vérité incroyables.
Toby Spence est également très bon mais sa voix manque peut-être un tout petit peu de la légèreté que seul un haute-contre peut apporter à ce rôle. David Alden le présente comme un fils déluré, entouré de jeunes filles, vidant bière sur bière et ne pensant qu’à faire la fête. Certes Télémaque est un jeune homme mais jeunesse ne rime pas toujours avec beuverie: dirigé ainsi, il ne se démarque pas vraiment des trois prétendants. La voix est fraîche et le passage “Del mio lungo viaggio” est un modèle de douceur et de musicalité.
Du reste de la distribution, il faut bien sûr retenir le trio déjanté des prétendants. Après avoir fait une courte apparition en marins au premier acte, ils transforment leur scène du deuxième en une véritable descente aux Enfers. Autant scéniquement que vocalement ils dotent leurs rôles d’une véritable personnalité mais savent rester à la limite de la vulgarité. Cette scène marque vraiment une pause dans une oeuvre aussi dense et l’épreuve de l’arc est assez exemplaire et efficace. Tous trois essaient de mettre le fil et à chaque échec, on voit les personnages se décomposer et rester à terre, abattus par leur défaite.
Ces trois chanteurs interprètent d’autres personnages dans l’opéra.
Guy de Mey, que l’on n’entend plus beaucoup en France dans des productions lyriques, a arrondi et enrichi son timbre et après avoir été un excellent haute-contre au temps d’Atys, il se montre maintenant un ténor léger de grande musicalité. La mise en scène en fait un Jupiter endiablé, poursuivi par des jeunes filles déguisées en lapin (!) mais sa voix prouve une intéressante agilité.
Clive Bayley apparaît aussi en Tempo dans le prologue et en Neptune. Pour représenter le monde aquatique, le metteur en scène fait appel aux lumières de Simon Mills, qui inondent la scène d’une couleur bleu-vert, sorte de fond marin, un peu vaseux. Neptune monte d’une trappe façon échelle de piscine avec un bocal à poisson dans les mains, poisson qu’il finira par manger. Passé cette image, il reste l’impression d’un Neptune souverain et imposant et sa confrontation avec Jupiter est remarquable: la colère qu’il pique lui permet de donner l’entière mesure de sa voix et de ses solides graves.
Dominique Visse démontre son talent dans l’apparition de L’humana fragilità et s’accorde avec la mise en scène pour en faire un passage plus amusant. Sa voix, toujours diaphane et irréelle, fait merveille dans Monteverdi et les différentes reprises de son texte sont minutieusement étudiées et chantées avec un timbre différent.
Le couple Mélanto-Eurimaco est assez mal assorti. Autant Alison Hagley, que l’on retrouve aussi en Junon, possède une belle musicalité, une voix légère, agile, autant Christian Baumgärtel a une voix rauque et inaudible: les duos qu’ils ont ensemble laissent alors un sentiment d’insatisfaction.
Parmi les rôles plus secondaires, celui d’Iro est parfaitement tenu par un Robert Wörle déchaîné et habitué de ces rôles de caractère. Il se montre assez émouvant dans sa grande scène finale et, pour une fois, la mise en scène reste assez sobre et le chanteur évolue autour d’une cuisinière.
Kenneth Roberson, remplaçant Anthony Rolfe-Johnson dans le rôle d’Eumete, est également très convainquant. Dommage que David Alden le transforme en gardien de chats et de non de moutons. Son costume est original - un chat blanc est juché sur ses épaules et les entoure - mais hors de propos.
Francesca Provvisionato témoigne, dans le rôle de Minerve, d’une grande présence scénique et sa voix fraîche se mêle agréablement à celle d’Ulysse ou de Télémaque.
A noter aussi la prestation d’Elena Zilio en nourrice Ericlea, mais dont le rôle est entièrement perverti. On éprouve beaucoup de difficultés à retrouver derrière cette femme habillée d’un tailleur dans le style des années 30-40, une cigarette à la main et d’hideuses lunettes noires sur le nez, une vieille nourrice fidèlement attachée à Ulysse et attendant son retour. Même si son air “Ericle, che vuoì far“ est chanté avec beaucoup de tendresse et d’engagement dramatique, il sonne faux car la vision du personnage est en complet désaccord avec son texte. Une femme déguisée en sorte d’opinion publique et violée par les prétendants ne peut pas se poser de pareilles questions et exprimer une telle délicatesse!

La direction de Christopher Moulds est énergique et efficace. Le chef attaque d’entrée avec un tempo assez rapide et conserve cette tension jusqu’à la fin de la représentation. Il sait aussi se montrer élégant notamment dans l’introduction du fameux air de Télémaque à l’acte II: ce passage est le plus poignant (avec le duo final) de toute la représentation. L’orchestre permanent de l’opéra de Munich est rejoint, pour l’occasion, par le Monteverdi-Continuo-Ensemble et tous deux proposent une palette de couleurs chatoyantes et subtiles, notamment chez le pupitre des vents.


La distribution de haut vol, malgré çà et là quelques réserves, tire le maximum de l’oeuvre de Monteverdi mais malheureusement cette mise en scène inventive, certes, mais laide, gâche une grande partie du plaisir…





A noter:
- reprise prévue en 2005
- une reprise du Couronnement de Poppée dans une mise en scène de David Alden est également envisagée dans les deux ans à venir


Manon Ardouin

 

 

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