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La patte de Koering

Paris
Maison de Radio France
05/09/2003 -  

Paul Dukas : «Le Roi Lear», ouverture (création française)
Giya Kancheli : Lonesome (création française)
Benjamin Britten : Double concerto pour violon et alto (orchestration Colin Matthews)
Ernest Bloch : Symphonie pour trombone et orchestre (création française)
Paul von Klenau : Francesca et Paolo


Gidon Kremer (violon), Ula Ulijona (alto), Joël Vaisse (trombone)
Orchestre national de France, Viswa Subbaraman [Dukas, Bloch], Fabien Gabel [Kancheli, Britten], Juraj Valcuha [von Klenau] (direction)

Le titre donné au dernier des traditionnels week-ends de concerts gratuits proposés cette saison par Radio France, «Figures singulières», aurait convenu, à vrai dire, à n’importe laquelle de ces aventures proposées par René Koering, tant la singularité suffit à caractériser, depuis toujours, l’activité du (saint-)patron de la musique à la «maison ronde». Nul autre fil rouge, donc, au cours de ce premier concert, que le plaisir de la découverte, de la curiosité et de la rareté (avec pas moins de trois créations françaises). Emmanuel Krivine étant souffrant, trois (très) jeunes chefs se sont succédé à la tête de l’Orchestre national de France, permettant d’assurer intégralement le copieux programme annoncé, devant un auditorium Olivier-Messiaen qui affichait, une fois de plus, complet.


On comprend mal pourquoi il aura fallu attendre cent vingt ans la première de l’ouverture Le Roi Lear (1883) de Paul Dukas, alors que les partitions de ce compositeur si exigeant avec son propre travail sont presque aussi peu nombreuses que celles d’un Duparc ou d’un Dutilleux. L’œuvre pêche certes par d’évidentes maladresses: monumentalité déclamatoire et empesée, esthétique mélodramatique plus que dramatique, carrure stéréotypée des thèmes (rythmes pointés pour l’héroïsme, chorals pour la solennité), orchestration compacte. Ecrite par un jeune homme âgé d’à peine dix-huit ans, elle s’apparente d’ailleurs davantage à un poème symphonique qu’à une «ouverture», ne serait-ce que par sa durée (dix-sept minutes) et par son ambition (Dukas devait composer, huit ans plus tard, une ouverture pour Polyeucte, de dimensions plus modestes).


Difficile pour autant de jeter la pierre à celui qui n’est encore qu’un étudiant au Conservatoire: le pompiérisme est bien l’air du temps (le Robert date précisément le mot de 1888) et il faut se souvenir qu’un compositeur chevronné comme Tchaïkovski, dans un exercice similaire (son ouverture pour Hamlet, 1888), ne semble pas non plus toujours à son meilleur. L’exhumation du Roi Lear se révèle d’ailleurs instructive, en ce sens qu’on y entend non seulement le jeune Dukas sous influence franckiste et wagnérienne – à l’image d’une grande partie de la musique française de l’époque (d’Indy, Chausson) – mais aussi la noble générosité, la sincérité et l’élévation de pensée qui, treize ans plus tard, seront celles de sa Symphonie en ut. Viswa Subbaraman, chef américain de vingt-sept ans, tente de retrouver à l’orchestre l’énergie de la tragédie shakespearienne, qui avait déjà enflammé Berlioz une cinquantaine d’années plus tôt.


Autre création française, Lonesome (2002) de Giya Kancheli. Dans ce «poème» pour violon et orchestre – imposant (avec par exemple les cors, trompettes et trombones par quatre) – dédié à Msistlav Rostropovitch, le compositeur géorgien, aujourd’hui âgé de soixante-huit ans, demeure égal à lui-même, fidèle à ses préoccupations à la fois historiques et métaphysiques. Désormais familier du public, son style tient à la fois de l’économie de moyens du dernier Chostakovitch et du syncrétisme de Schnittke, quoiqu’en moins grotesque et grinçant). Usant de violents contrastes aussi bien de climats que d’intensités, mais d’une radicalité extérieurement moins apparente que Goubaïdoulina ou Ustvolskaïa, Kancheli décrit la nostalgie d’un passé idyllique ou rêvé, on ne sait trop. Dire que Gidon Kremer est ici dans son élément – d’autant qu’il est suivi avec précision par Fabien Gabel, l’assistant de Kurt Masur – relève évidemment de la lapalissade.


Rejoints par l’altiste lituanienne Ula Ulijona, ils donnent ensuite le Double concerto (1932) de Britten. Comme Dukas avec son Roi Lear, le compositeur anglais est alors tout jeune (dix-neuf ans et élève de John Ireland) et sa partition, comportant seulement des indications d’orchestration, ne sera créée qu’en 1997, dans une réalisation de Colin Matthews. En trois mouvements enchaînés (vingt-deux minutes), l’œuvre démontre une précocité assez impressionnante et s’inscrit dans le courant néoclassique de l’époque (Hindemith, Stravinski, Prokofiev, Honegger), avec cependant, dès le début, un thème déjà bien dans la manière de Britten, en forme d’appel, qui revient d’ailleurs en conclusion.


Retour à la maturité, avec la création française (!) de la Symphonie pour trombone et orchestre (1954) de Bloch. Le trombone viserait ici à évoquer le shofar, instrument liturgique juif (auquel Elgar avait d’ailleurs recouru dans son oratorio Les Apôtres). Comme souvent chez le compositeur américain, la fibre hébraïque est donc manifeste, même si elle n’est pas ici explicitement revendiquée dans le titre de l’œuvre, à l’image de la Proclamation pour trompette et orchestre (1955). De tonalité sombre et résignée, la Symphonie, d’une durée d’environ dix-huit minutes, réserve une place importante à l’orchestre et semble prolonger les accents méditatifs et lyriques du violoncelle de Schelomo (Bloch en a d’ailleurs établi parallèlement une version dans laquelle le violoncelle se substitue au trombone). C’est Viswa Subbaraman, lui-même tromboniste de formation, qui accompagne Joël Vaisse, premier solo de l’Orchestre national: celui-ci met en valeur, au-delà du registre traditionnellement péremptoire de l’instrument, son aptitude à chanter, notamment dans l’aigu. Tombant la veste, il rejoint au fond de la scène un contrebassiste et un percussionniste de l’orchestre pour un bœuf jazzistique inattendu, offert en guise de bis à un public ravi.


Entamé avec Shakespeare, le concert se terminait avec Dante. Seul véritable inconnu de ce programme – sinon par le nom, du moins par la musique – Paul von Klenau (1883-1946) s’est en effet inspiré, après Tchaïkovski dans Francesca da Rimini, du même épisode extrait de L’Enfer, dans son poème symphonique Paolo et Francesca (1913). L’année suivante, la Quatrième de ses sept symphonies, était sous-titrée Dante et, au même moment, Zandonai donnait son opéra Francesca da Rimini. A en juger par cette partition d’une vingtaine de minutes, le compositeur danois se rattache à l’école postromantique germanique, faisant appel à un orchestre gigantesque (comprenant notamment six cors, quatre trompettes, quatre trombones, deux harpes, orgue, piano et célesta) quoiqu’utilisé avec moins d’originalité, de virtuosité et de brio que chez Schönberg (dont il se fit le défenseur dans son pays), Richard Strauss, Korngold, Schreker ou Zemlinsky. Chef assistant à l’Orchestre national de Montpellier depuis janvier dernier, le Slovaque Juraj Valcuha fournit une prestation remarquablement convaincante à la tête d’un Orchestre national de France manifestement conquis.


Ce concert sera diffusé sur France Musiques le vendredi 23 mai à 20 heures.



Simon Corley

 

 

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