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Berio, Brahms et les autres

Montpellier
Corum ; Opéra Berlioz
07/17/2002 -  

Bedrich Smetana : La Fiancée vendue (extraits).

Johannes Brahms & Luciano Berio : Transcription de la Sonate opus 120 n° 1 pour clarinette et piano.

Piotr Ilyich Tchaïkovsky : Symphonie n° 1 en sol mineur opus 13 Rêves d'hiver.


Yuri Bashmet (alto).

Orchestre de la Suisse Romande, Pinchas Steinberg (direction).



Luciano Berio a-t- il eu raison d'orchestrer la Sonate pour Clarinette opus 120 n°l de Brahms ? Telle est la question qu'il est légitime de se poser. Force est de reconnaître que l'auteur d'Un Re in ascolto n'a pas écouté, justement, la miniature du grand Johannes ; et ce, avec toute l'attention requise. Auquel cas la voix de la sagesse ou celle, mélliflue, de la muse Terpsychore lui eût enjoint clara voce de retourner à ses chères Sequenze, summum de la chambritude fumiste et prétentieuse. Mais bon, « de gustibus et de coloribus non disputendum » ! Non seulement l'inspiration a fui, telle la tourterelle, loin de Berio, mais l'oeuvre passée à la moulinette accrédite la thèse selon laquelle cette sonate n'est point transcriptible ; au vu du résultat on ne peut moins convaincant.



Bien plus : s'il s'agissait de démontrer que le compositeur allemand est intellectualisant à l'excès, grisâtre et ultra-aride, la prouesse technique est paradoxalement réussie. Comme diraient les jeunes de nos temps égarés, Berio déménage grave de chez grave ; il est vain de noyer sous un déferlement de vagues déchaînées à la manière d'un hurrican orchestral, le si merveilleux lyrisme pudique, ludique et unique de Brahms ; dont les harmonies se déchiffrent à tâton, se frôlent et se caressent à distance, comme respectant quelque rite amoureux inédit. Or ici,hélas, rien du modernisme de ce musicien d'une sophistication visionnaire (qui préfigure parfois Busoni) ne transparait. D'autant que le jeu cérébral de l'altiste est monochrome.



Exercice de style soporifique qui conduit à une impasse conceptuelle : encore une fois, il eût fallu - à l'extrême rigueur -transposer pour effectif de chambre ; au lieu de cela, l'on s'englue dans une pâte instrumentale informe, qui chloroforme, dénature et destructure la ligne mélodique. Un tel « traitement » infirme la pensée pourtant très poétique de l'auteur du Doktor Faust, lorsqu'il prétend que toute pièce musicale du passé appelle de jure une logique de transcription pour le futur. Selon Busoni en effet, « l'oeuvre d'art musicale existe avant d'avoir retenti et après qu'elle a résonné, elle est là entière et intacte. Elle est à la fois dans le temps et hors du temps. » Autrement dit,toute transcription/recréation est le prolongement naturel de l'oeuvre originale. Au demeurant, il n'y a pas de dogme en musique et ce genre d'exercice porte en lui ses limites ; sans sombrer dans une éxégèse sur ce thème et dans un sens opposé, les extraordinaires danses symphoniques de Rachmaninov pour orchestre perdent de leur saveur dés qu'elles sont réduites au format pianistique.



Au chapitre des consolations, les extraits de la Fiancée vendueavec un Furiant d'anthologie, un sabbat explosif, ont révélé un orchestre de Suisse Romande en ébullition, chauffé à blanc par Maestro Steinberg, rutilant dans ses cuivres, d'un moelleux infini dans les cordes ; et une batterie de bois à rendre verte de jalousie la phalange néerlandaise bien connue, le fameux Concertgebouw.



Certes, l'on déplore la déprogrammation de la compositrice tchèque Vitezlava Krapalova (1915-1940), contrainte de quitter sa patrie pour ne point subir le sort de Pavel Haas, de Schulhoff ou de Hans Krasa, devenant malgré elle nomade et exilée;c'est pourquoi l'on eût découvert avec un respect insigne sa Sinfonietta militaire, hommage passionné et acte politico-musical destiné à célébrer la liberté d'une nation engloutie par la putréfaction nazie.


A ce propos , Montpellier serait le lieu idoine pour créer les chefs d'oeuvres de cette période tourmentée,ainsi le Flammen de Schulhoff, fresque opératique flambloyante qui revisite le mythe de Don Juan avec de multiples nuances multicolores, ponctuée par de longs intermèdes orchestaux ondoyants telle une faune mystérieuse, subaquatique ,évoluant dans des couloirs abyssaux. Ou encore l'atypique Fiançailles en rêve de Krasa qui ose une originale variation sur le Casta diva de Bellini sur fond d'harmonies démantibulées. Ah, si le festival se lançait dans l'aventure du Son lointain (ou « der Ferne Klang ») de Schreker, il serait fidèle à sa mission de « résurrection » de musiques mises à l'écart par un ostracisme injurieux.



Il est rare d'entendre, d'ailleurs la première Symphonie de Tchaikovsky ; et il est remarquable de pressentir - ce, dès les accords introductifs - le poids du fatumqui projette une ombre fantomatique sur le fleuve harmonique. C'est le gel au coeur de l'arbre qui annihile pour mieux l'anéantir, toute pulsation de vie . Par dela un final quelque peu « pompier », d'une bruyance théâtrale trés accentuée, un souffle mahlérien traverse l' adagio cantabile ma non tanto .Ainsi que le corpus des énigmatiques symphonies de Sibelius, avec leur cortèges d'harmonies désolées évoquant des rocs lunaires dévastés ; déja en gésine dans cette inattendue anticipation de la Sixième, dite « Pathétique » : symphonie funéraire qui pourrait s'intituler « au fin fond de l'abîme ».






Étienne Müller

 

 

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