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Ch''il bel sogno di Lauretta

Paris
Amphithéâtre de l'Opéra-Bastille
06/02/2002 -  

Giacomo Puccini : Gianni Schicchi, version chant et piano.



Sergeï Stilmachenko (Gianni Schicchi), Valérie Condoluci (Lauretta), Ira Barsky (Zita), Juan Carlos Etcheverry (Rinuccio), Éric Salha (Gherardo), Anne-Sophie Ducret (Nella), Guillaume Antoine (Betto di Signa), Yuri Kissin (Simone), Jean-Michel Ankaoua (Marco), Estelle Kaique (La Cieca)...

Cécile Tallec (piano).

Marco Boemi (direction musicale).

Laurent Pelly (mise en scène).



C’est un Centre de Formation particulièrement tonique que dirige Anna Ringart. Du tonus, il en faut pour soutenir (malgré la brièveté de l’œuvre) un Gianni Schicchi mené à train d’enfer par Laurent Pelly ! La distribution étant inversement proportionnelle à la durée, il est nécessaire de posséder un talent d’aiguilleur des voix du ciel - fussent-elles encore en gésine - pour régenter sans faiblir cette macabre folle journée puccinienne. Cela vaut pour le scénographe, qui a largement fait ses preuves à l’Opéra National ; autant que pour le directeur musical Marco Boemi, parfaitement en phase avec la pianiste (excellente Cécile Tallec), et chaperonnant en gourmet ses chanteurs à la seconde près.


Après des Platée et autres Sept Péchés Capitaux qui nous on fait chavirer, Pelly s’attaque au bijou d’humour noir du Lucquois ; nanti de moins que rien de costume, pourrait-on dire. Une épure, avec des robes à pois rappelant le Brecht de décembre dernier ; et des armoires et autres commodes en arrière-plan encadrant un lit mortuaire des plus spartiates. Pour l’accessoirie, c’est tout, en gros : le reste appartient au talent. Et il y en a, occupant et faisant trépider le centre de l’Amphithéâtre de Bastille, sans la moindre relâche.


Cadre idéal pour ce genre de comédie, que le metteur en scène traite en orfèvre du théâtre de situation. Cela bouge beaucoup, simule, grimace, rit et pleure de bon cœur, tout comme le public - enchanté. Les effets, toujours pertinents, sont tellement lisibles et de bon aloi comique ; qu’un spectateur ignorant tout de cet opéra de poche, peut aisément comprendre et suivre sa piquante trame, malgré l’absence (forcée en ce lieu) de surtitrage. Voilà ce qui s’appelle de la bien belle ouvrage.


Laurent Pelly a beaucoup travaillé aussi sur les individualités prises une par une. Au cœur de la farce, le Gianni Schicchi de Sergei Stilmachenko, un modèle de rouerie. Surchargeant son personnage alla commedia dell’arte, il fait valoir un baryton souple et ductile, au grave bien assis - et en qui on est en peine de trouver quelque slave occipitalité dans l’émission. Sa jubilation physique et vocale fait plaisir à voir : il est véritablement le paysan cupide, intuitif et habile, capable de rouler dans la farine le clan des riches Florentins. Par un inganno felice, un heureux stratagème (pour lui, sa fille Lauretta et Rinuccio, le promis de celle-ci) : se faire passer pour Donati agonisant, et dicter un faux testament ; le vrai léguant tout… aux moines. Le but est de flouer les orgueilleux crédules ; à qui il est promis une distribution foncière gratifiante. Mais Schicchi se récompense lui-même, dans son travestissement funèbre.


Dans la famille de Buoso Donati - déjà mort en fait, et dont le corps est balancé sans ménagement dans l’une des armoires, pour laisser place au grand jeu du fourbe - sévissent deux femmes pas faciles, mais alors pas faciles du tout. Mention spéciale à Ira Barsky, dans le rôle de la vieille Zita traitée en Valérie Lemercier pur sucre. Son mezzo très Mistress Quickly de style, demande à se développer en volume, mais possède les basiques de ce genre de compositions. A ses côtés, la Nella d’Anne-Sophie Ducret, vêtue à l’identique et donc à la Deschiens (univers que Pelly semble adorer, décidément), ne lui cède en rien, même si l’organe est encore - c’est logique - un peu « vert ».


Autour du couple des jouvenceaux, cible de toutes les attentions de Schicchi (et de tous nos émois de spectateurs ébahis), se meuvent encore des pousses prometteuses. Vaillantes, toujours bien projetées et caractérisées, les voix d’Éric Salha, Guillaume Antoine, Yuri Kissin et Jean-Michel Ankaoua (artiste invité) sont un véritable régal. Une déferlante sonore plutôt qu’un tapis (tout va tellement vite, ici) pour le prince et la princesse charmants. Dans Falstaff, on a une tendresse toute particulière envers les tourtereaux Fenton et Nanetta. Chez Gianni Schicchi, c’est pareil : on craque pour Rinuccio et Lauretta. C’est peu de dire qu’ils sont déjà cet après-midi, en leur jeune âge à la scène comme à la ville, des artistes merveilleux.


Irrésistible est le Colombien Juan Carlos Etcheverry, ténor au timbre volatil et capiteux à la fois (ce qui n’est pas donné à tout le monde). Du Rinuccio idéal il a, outre la splendeur physique et l’entrain du comédien, ce charme du ténor léger sachant chanter beau et non bellâtre. Un modèle de simplicité et de goût. A ce Pierrot extra-lunaire répond une Colombine (la Lauretta de Valérie Condoluci), dont on reparlera certainement. Dramatiquement parfaite comme tous les autres, elle séduit, de même que son promis, par maints attraits de plumage et de ramage. La voix est en effet délicieuse, claire et fruitée sur toute sa partie. Même si chacun attend, bien entendu, le fameux « O mio babbino caro » (destiné, donc, à son papa Schicchi).


On n’est pas déçu : autant il est permis d’aimer l’approche parfois triste qu’en font les grandes divas ; autant il est formidable d’entendre (et de voir) cette page illustre traitée comme elle doit l’être : par l’ironie. Condoluci supplie avec un ravissement de chatte, aux pieds du père dont elle partage l’envie, même si pour Lauretta ne compte, bien sûr, que le sentimental. Voilà du blé en herbe, bien semé et bien cultivé, qui nous esbaudit d’un vrai travail d’équipe ; pouvant en remontrer à certains spectacles de la grande salle. Et encore une jolie réalisation de l’Amphithéâtre, après certains Acis et Galatée et Flûte enchantée, par exemple. On attend avec impatience les moissons.





Jacques Duffourg

 

 

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