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Voix de fête: le meilleur du chant choral en un festival.

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Eglises et salles de Rouen.
05/16/2002 -  puis les 17,18,19 et 20 mai 2002.
Voix de fête, Festival de Chant Choral de la Ville de Rouen

On lisait il y a peu, en première de couverture d’un numéro de L’Express spécial Rouen : « Portrait des cent personnes qui font bouger Rouen ». Daniel Bargier arrivait en bonne place au palmarès publié, en partie grâce à ses activités de directeur artistique du Festival de Chant Choral de la Ville de Rouen, pour lequel il fait des merveilles. Aux commandes du projet depuis sa création six ans plus tôt, Daniel Bargier est non seulement chef associé de Michel Piquemal au Chœur Régional Vittoria d’Ile de France mais également chef assistant de Laurence Equilbey au Chœur Leonard de Vinci de l’Opéra de Rouen, directeur musical depuis 1986 de l’intéressant Chœur de Chambre de Rouen et professeur de formation vocale et de direction de chœur à l’Université de Haute-Normandie pour l’essentiel. Son festival de chant choral Voix de fête, unique en son genre, refuse totalement le cloisonnement entre les différentes écoles de direction, entre les multiples conceptions du chant choral. Donnant à entendre une palette de chœurs aussi variée que possible, Daniel Bargier programme chaque année, du baroque à la création contemporaine, aussi bien chanteurs amateurs que professionnels, chefs de chœur confirmés ou débutants, chœurs ou groupes de solistes, a cappella ou non. Pour lui, l’intérêt semble être d’offrir au public de sa ville d’adoption (il est originaire d’Aix-en-Provence) des concerts de qualité par des artistes au faîte de leur art, dans un répertoire qu’ils maîtrisent sans conteste.



L’an dernier, six mille spectateurs s’étaient répartis sur les quelques jours de concerts du festival. Cette année encore, du 16 au 20 mai, une dizaine de chœurs s'est donc partagé les scènes de Rouen puis, comme tous les concerts étaient gratuits et la programmation captivante, le moindre des spectacles de Voix de Fête, peu importe l’heure, a fait nefs, transepts et salles combles dans les églises et autres lieux, sauf pour le concert d’ouverture invitant Les Dessus de la Fugue et Compagnie dirigés par Anne-Marie Cretté en l’Eglise Saint-Gervais.
Loin d’être le meilleur spectacle du festival, cette heure en compagnie des chalémies, flûtes, bombardes, orgue régale et organetto par trois musiciens, un récitant, dix chanteurs amateurs et leur chef-chanteuse, dans un va-et-vient entre oeuvres médiévales, productions du XXe siècle et création, n’a peut-être pas convaincu toutes les paires d’oreilles. Le passage d’une musique à l’autre s’est fait sans véritable cohérence, parce que le récitant n’éclairait rien, parce qu’Anne Maire Cretté chantait plus qu’elle ne dirigeait et que le soutien directif dont a besoin la troupe était par conséquent quasi absent.



Toute autre impression au sortir du concert du vendredi, donné par le Chœur de Chambre de Rouen. Les quarante chanteurs de Daniel Bargier, au service de la musique sacrée dans la Rome du XVIe siècle, n’avaient rien à cacher, rien à noyer dans l’acoustique flatteuse de l’Eglise de la Madeleine. Pourtant, on sait bien que les entrées successives des voix dans les œuvres de Vittoria, de Palestrina et consorts ne sont pas évidentes tant les voix sont rapprochées, ce qui complique considérablement le travail d’écoute, d’intonation et de concentration des artistes. Ce sont ces oeuvres-ci, dédiées à Dieu, que leurs compositeurs voulaient si simples et si riches tout à la fois, qui sont les plus difficiles. Ainsi, même si les harmonies des pièces semblent limpides à l’auditeur distrait, elles ne le sont pas pour les chanteurs en constante recherche d’équilibrage sonore. Malgré de légères pertes de précision dans les formules vivace et un manque d’assurance (plus psychologique que réellement vocal) dans les pièces à effectif très réduit, le travail d’orfèvre effectué sur le son par le chœur et son chef est impressionnant. Preuves en sont les magnifiques nuances qui forment les voûtes expressives de chaque texte, avec ces pianos si soignés…



Le samedi, au grand amphithéâtre de la Faculté de Médecine, Geoffroy Jourdain, récemment nommé chef de chœur associé du Chœur de l’Orchestre de Paris, est venu présenter les jeunes chanteurs des Cris de Paris et dix sonnets qu’il commanda à différents compositeurs entre 2000 et 2002. Trois de ces compositeurs chantent au sein de l’ensemble depuis sa création en 1998. Tous les compositeurs conviés à l’expérience ont choisi des sonnets fort expressifs. Ce thème poético-musical a un grand mérite didactique, celui de passer en revue les différentes façons de composer pour chœur aujourd’hui, les diverses manières de penser la poésie à travers quatre voix chantées mixtes a cappella. Somme toute, un programme sans une minute d’ennui par le jeune ensemble, à la tête duquel l’intègre Geoffroy Jourdain, précis et simple comme Boulez dirigeant, a su mettre en valeur les œuvres des compositeurs (d’ailleurs assis dans la salle) puis ses chanteurs qu’il soutient, toujours délicat, toujours prévenant.



On s’attardera moins sur la prestation de la Maîtrise de garçons d’Ulm en très petite forme (la fatigue du voyage aidant l’apathie musicale). Co-accueillis par le directeur de la Maîtrise de Seine Maritime, Jean-Joël Duchesne et par Daniel Bargier, ces jeunes chanteurs sud-allemands n’ont pas véritablement pu retenir notre attention même si l’on a bien compris que les voix de garçons n’étaient pas le matériau le moins immuable en matière vocale. Si l’on est bien tenté d’excuser la perte de concentration de quelques petits sopranistes d’à peine six ans, les sautes de voix de quelques autres au bord de la mue, on n’excuse pas en revanche le manque de dynamique, d’expression des enfants plus âgés, on ne défendra pas non plus Thomas Stang, responsable de l’état musical des troupes.



Le lundi de Pentecôte, au matin : rencontre au sommet, non seulement parce qu’elle était située au dernier étage du Théâtre des Arts mais aussi parce qu’on venait y rencontrer le plus pédagogue des chefs de chœur français, l’attachant Philippe Caillard, dont Daniel Bargier est un fervent disciple. La question à l’ordre de la matinée était : Comment devient-on chef de chœur ou qu’est-ce que diriger un chœur ? Et voilà trois des chanteurs du Chœur de Chambre de Rouen, chœur-cobaye pour l’occasion, aux prises avec les difficultés de la direction, obligés à une extrême rigueur face à un maître souriant mais interrogeant sans cesse, entre Freud et Socrate, forçant ses apprentis à réfléchir… avec le cœur, par des gestes conscients et des paroles efficaces, avec honnêteté : sans détours. Plus qu’une leçon de conduite de chœur avec détails techniques sur la précision des gestes, les accents toniques et atones d’un texte, les jeux de nuances, ce fut une grande leçon d’humilité, d’humanité car c’est cela aussi, Voix de Fête.



Le maître du matin l’était aussi le soir, à la direction de son Ensemble Vocal dans un programme romantique des mieux choisis. Philippe Caillard, toujours très simple au pupitre comme dans la vie (la différence entre le pupitre et la vie courante n’existe d’ailleurs sans doute pas pour lui), dirigeait naturellement sa vingtaine d’excellents choristes. Avec la même application à tous les pupitres, les chanteurs s’efforçaient de rendre chaque phrasé le plus spontané, le plus souple possible, pour servir l’élan passionné des textes religieux et profanes de Mendelssohn, Gounod, Franck et Schumann, Rossini ou Grieg. Acclamé pour sa démonstration de toute-puissance sur ces pages aux nuances contrastées, l’ensemble continua, au fil des rappels à nous donner l’étendue de son savoir-faire avec, par exemple, un beau souffle lyrique dans la Barcarolle des Contes d’Hoffmann, à mesure que le pianiste Yann Ollivo s’essoufflait un peu (surtout depuis l’extrait de l’opéra Guillaume Tell de Rossini)



La clôture du festival était réservée à Cinq de Cœur, cinq joyeux amis rencontrés sur les bancs du Chœur de Chambre Accentus de Laurence Equilbey, cinq amoureux de l’a cappella pur, des alliages de voix, en perpétuelle recherche du son fusionnel. Les cinq diables issus du chœur sortent en début de spectacle de leur boîte : une Boîte Vocale, diapason au poing puis y retournent en fin de spectacle, après avoir été mis en scène par l’inventif Marco Locci. La « rousse affriolante » (comme le dit une chanson) tour à tour marchande de poissons, Reine de la Nuit, Yvette Guilbert, c’est la soprano Pascale Costes. Anne Staminesco, soprano également, joue les pimbêches de la noblesse, les filles en manque d’hidalgos. Le petit Léon, qui danse aussi bien le tango n’est autre que le ténor Nicolas Kern. La basse des Cinq est Rigoberto Marin-Polop, vigile de boîte de nuit ambiance techno, Julio Iglésias ou le Cygne d’un certain lac, plutôt trouble. Ces cinq-là font de tout et par dessus tout, une performance de comédiens, d’arrangeurs, de paroliers, de grands chanteurs pasticheurs d’opéras, d’artistes de variétés, de musiciens débordants de talent. Tous les cinq également, ils sont capables d’une grande émotion, sans ironie, sans sourire en coin pour interpréter Les Amants de la Saint Jean, par exemple. Qu’on se le dise, on rêve pour eux d’un Molière du Meilleur Spectacle Musical, qui fut récemment décerné à Marianne James alias Ulrika Van Glott pour Ultima Recital, spectacle plein de qualité mais qui est pourtant loin d’avoir la saveur humoristique de Boîte Vocale et la qualité musicale de ce dernier. Vous l’aurez compris, courez vite au Théâtre du Palais Royal, il reste encore quelques jours avant que la merveilleuse Boîte Vocale réponde aux abonnés : absente.



Bien-sûr, on ne vous a pas parlé des excellents Vivid Voices du Conservatoire Supérieur d’Hanovre dirigés par Anne Kohler, entre jazz et gospel ni des Dieppe Rivers normands de Françoise Cornu, des amies d’Evelyne Girardon venues chanter musiques du monde et chants traditionnels français, des chœurs de Rouen Haute-Normandie de Loïc Barrois, d’A Cœur Joie Normandie, ni des animations des solistes du Chœur de Chambre de Rouen à la Fnac ou dans la maison d’arrêt de Rouen, il fallait être là.



Pauline Guilmot

 

 

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