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Le Zéro et l'Infini

Paris
Salle Pleyel
04/18/2002 -  


Nicolò Paganini : Concerto pour violon n° 2 "la Campanella"

Hector Berlioz : Scène héroïque (la Révolution grecque)

Franz Schubert : Symphonie n° 9 (8) "la Grande"



Leonidas Kavakos (violon) ; Russell Braun & Laurent Naouri (barytons).

Choeur d'Oratorio de Paris ; Jean Sourisse (chef).

Choeur de l'Armée française ; capitaine Paul de Plinval (chef).

Orchestre de Paris ; Jerzy Semkow (direction).




Le cycle « Berlioz 2003 » de l’Orchestre de Paris se poursuit avec un égal bonheur, et aussi quelques égales fâcheries de programmation. Non que Jerzy Semkow ait déchu en tant que remplaçant de Neeme Järvi initialement prévu (dans une affiche légèrement différente). Bien au contraire, il nous a fourni une démonstration exemplaire de bout en bout. Ce sont plutôt les compléments proposés qui soulèvent problème. Que les concerts ne soient pas entièrement, tant s’en faut, de Berlioz : excellente idée. Que les autres compositeurs fêtés ne soient pas toujours de son époque : mieux encore ! Simplement, on joue parfois de malchance avec les guest stars. Le 7 Mars, un Concerto de violon n°1 de Prokofiev, plat et totalement inepte. Le 14 Mars, un Songe d’une Nuit d’Été livré en pack rabougri pour Festival Hoffnung, par Jacques Mercier... Et ce soir, cette fameuse Campanella (qui cloche, en effet !), de Nicolò Paganini.


Concerto écrit quand Berlioz avait douze ans, et dont le thème (complaisant, voire trivial) du troisième mouvement a fait le tour du monde. Le reste de l’oeuvre est l’avenant, l’écriture de Paganini étant comme les cellules : elle se multiplie en se divisant. Cette démagogie, cette facilité de la difficulté en quelque sorte ; avec sa surenchère de traits virtuoses assommants - sur fond de pauvreté structurelle sans limite - a le côté charmeur des « Ah, le petit vin blanc » des guinguettes. Vocalement, ce serait du Graun, du Broschi (frère de Farinelli), du Hasse - du Porpora, peut-être ? On en respectera donc les admirateurs, en le leur laissant. Étant entendu que Semkow et Kavakos s’acquittent au mieux de leur devoir, donnant beaucoup de moelleux, donc de matière, à ce qui manque si cruellement d’esprit.


Au commencement de la Cantate Scène Héroïque (La Révolution Grecque) d’Hector Berlioz, on retrouve avec joie une musique ayant - enfin ! - des défauts comme des attraits. Pièce rarissime, d’un tout jeune homme de vingt-deux ans découvrant son métier à l’époque - déjà - d’une crise dans les Balkans : la Grèce cherche alors à secouer le joug ottoman. En Bernard-Henri Lévy du Romantisme, Lord Byron se rend sur les lieux - mais lui, par contre, n’en revient pas vivant (1824). Plus prudent mais non moins sympathisant, Gioachino Rossini reprend son Maometto secondo sous forme de Siège de Corinthe à l’Opéra de Paris. Des intellectuels de tous corps de métier se passionnent pour ce soulèvement : les événements de 1830 se profilent à l’horizon.


Si l’académisme règne bien en maître dans la versification, Berlioz se dégage assez vite de la gangue formaliste et démonstrative du très gros effectif, des "coups" les plus tonnants ; pour essayer des solutions nouvelles. Spontini et La Vestale ne sont pas loin ; pas plus que le Guillaume Tell, du grand Rossini justement (Finale du I, air d’Arnold...), à venir. Ce qui intéresse au plus haut point, c’est le maniement de cette matière sonore colossale, où l’on pressent la Symphonie Funèbre et Triomphale et le Requiem futurs. Non que l’équilibre en soit parfait - d'ailleurs assurément, le Final tourne un tantinet au charivari.


Mais le musicien-poète sait jouer des possibilités du double chœur, et d’un véritable corps d’armée de cuivres et percussions, à faire pâlir le Strauss d’Elektra. On apprécie la Prière dévolue aux Dames, où se devine déjà l’incantation sublime « Grands Pharaons » de la Mort de Cléopâtre. On goûte moins le fatras verbal réservé à deux récitants, un Héros et un Prêtre grecs, dont l’Isérois ne sait trop que faire musicalement, à part de la grande emphase déclamatoire. Laurent Naouri (le Prêtre) surmonte par sa classe accoutumée empois et amidon, avec une projection sidérante dans les graves (et un vrai charisme sacerdotal) - y compris au-dessus des chœurs. Las : le malheureux Russell Braun, constamment mou et inaudible, mais avec une belle diction française il faut le reconnaître, ne semble pas fait pour une Vie de Héros, fût-il hellène…


Les deux formations chorales sont à féliciter, de même qu’un Orchestre de Paris épatant. Jerzy Semkow l’aura bien chauffé à blanc - en se tirant de presque toutes les chausse-trapes d’un maelström infernal ; bouillonnant et parfois brouillon - comme la jeunesse. La quadrature du spectre, en somme ! Neeme Järvi avait planifié l’Alpestre de Strauss, le Polonais nous sert la Neuvième Symphonie dite « la Grande » de Franz Schubert. Quoi ! Une Neuvième de plus ? Que non, et Semkow de bien nous le faire sentir, dès les appels des cors dans l’Andante initial. Faut-il refaire ici l’apologétique de ce chef d’œuvre sui generis, aujourd’hui installé à sa place (le sommet) ; mais que le compositeur n’entendit jamais de son vivant ? C’est Schumann [« quiconque ne connaît pas cette symphonie ne sait pas ce qu’est la musique »] qui en retrouva la partition auprès du frère du défunt. Et qui en confia (1839) la création à ce Felix Mendelssohn, décidément indispensable découvreur, dix ans après la résurrection de la... Passion selon saint Matthieu.


Démarrant sur un tempo très modéré, on dira andante ma non troppo, le chef procure d’emblée de la profondeur de champ, tirant de son escouade de cornistes des accents inouïs. Bien plus introspectifs que solennels, ils installent sans ambages l’auditeur dans l’instabilité propre au voyage schubertien. Dotée d’une discipline de fer n’entravant jamais la fluidité du discours, la phalange ainsi cornaquée se lance, sans ma non troppo cette fois-ci, dans l’Allegretto. Avec une dispersion panoramique phénoménale, du côté jardin au côté cour. L’agogique (variation très fine et pertinente du tempo), dont Jerzy Semkow usera jusqu’à la fin, va se nicher entre les balancements, très récurrents, du mezzo-forte, voire du piano, au fortissimo.


Ici, la dynamique permanente - ce tout différent de la somme de ses parties, mais consubstantiel aux parties elles-mêmes ; n’est pas un exercice (fort savant) de mouvement perpétuel en surplace. C’est de l’architecture de haut… envol ! Plus loin, c’est en effet en hauteur - au sens de l’élévation gothique - que le chef s’investit, projetant des météores de cruauté et de doute vers la salle. La preuve avec l’Andante con moto, qui gagne son appellation haut la baguette. Jamais peut-être, le thème de marche des deux hautbois (une des plus géniales trouvailles de Schubert) n’a paru, à la fois, aussi rassérénant et anxieux - par ses supplications répétées entre des tutti morbides et « mravinskiens ».


Le Scherzo haletant, d’une précision astronomique, ne trouve de répit qu’avec son Trio ; revenant à l’interrogation de départ avec une majesté philosophique digne de la Flûte Enchantée. A ce niveau, et dans une partition très courue, on peut dire que l’Orchestre de Paris, absolument fantastique, a ajouté une manière de... quatrième dimension. Apothéose prévisible lors du Finale, d’une beauté de son pur à tomber à la renverse, et que Semkow prend à une vitesse folle. Pas une milliseconde de décalage dans l’équipe : du très grand art.


Sans le moindre effort apparent, et toujours concentré sur cette métaphysique (pas si rayonnante que la tonalité d'ut majeur pourrait donner à penser), l’ensemble édifie une muraille de musique et de vertige. On ne la retrouvera qu’au tout début de la Première Symphonie de Brahms… Une des toutes plus belles versions de « la Grande » qu’on ait jamais entendues, sans contredit. De celles qui cherchent de la première à la dernière note la raison, dure et drue, de ce cette dilatation-contraction permanente.


Laquelle est comme le beau jet de lumière opalescent, qu’un pulsar nous offre depuis sa contrée très éloignée, au fond de l’Univers. Étrange et enivrant viatique ; qui, du néant paganinien au cosmos de Schubert via Berlioz, nous aura ainsi invité à un inédit parcours (en aller simple, SVP). Pour tout dire, du zéro à l’infini.





Jacques Duffourg

 

 

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