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Violoniste star ?

Strasbourg
Palais de la Musique
12/05/2019 -  et 6 décembre 2019
Aram Khatchaturian : Concerto pour violon en ré mineur
Paul Dukas : La Péri, Poème dansé
Richard Strauss : Der Rosenkavalier, opus 59: Grande Suite

Nemanja Radulovic (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


N. Radulovic (© Nicolas Rosès)


Etabli en France après des années d’enfance compliquées dans sa Serbie d’origine, le violoniste Nemanja Radulovic a déjà à son actif une discographie abondante, en tant qu’artiste sous contrat chez Deutsche Grammophon. L’éditeur à l’étiquette jaune le présente sur son site en quelques phrases qui donnent évidemment envie d’en écouter davantage : «Avec ses boucles extravagantes, ses tenues gothiques et sa technique époustouflante, le violoniste Nemanja Radulovic a des allures de virtuose romantique – on n’en trouve pas deux comme lui dans le monde de la musique classique. Si certains usent d’expédients superficiels pour se vendre, Radulovic préfère laisser s’exprimer la musique – son violon parle pour lui.»


Reste à vérifier sur pièces, et pourquoi pas avec une parution toute récente, CD où l’on trouve le même Concerto pour violon d’Aram Khatchaturian interprété ce soir par Nemanja Radulovic en concert. Au disque, les preneurs de son ont privilégié le soliste, au détriment d’une phalange istanbouliote un peu fruste, occasion immédiatement saisie par ce violon d’un timbre très opulent pour s’épancher dans un lyrisme sentimental qui reste cependant d’assez bon aloi. Mais le pire arrive juste après : un arrangement patchwork pour violon, piano et orchestre de la Schéhérazade de Rimsky-Korsakov, collage arbitraire des passages-clés de la partition, dégoulinant de couleurs criardes et de phrasés chaloupés, écœurant et collant comme un loukoum bon marché. Impossible de cautionner cette pacotille, et on s’étonne qu’un artiste aussi doué puisse à se point s’égarer, même avec beaucoup d’humour et un probable goût du second degré.


Pour en rester au Concerto pour violon de Khatchaturian, ce goût pour la guimauve paraît s’accentuer en public par rapport à l'enregistrement, avec une façon très accrocheuse d’accentuer les appuis et de disloquer les phrases. De superbes sonorités, une dynamique sonore impressionnante, beaucoup d’effets de surprise, toujours amenés par un archet très sûr, surtout dans l’aigu, mais est-il vraiment nécessaire de grossir à ce point le trait ? En regard de tous ces bariolages et ces foucades, les souvenirs discographiques de la rigueur de David Oïstrakh, créateur de l’œuvre, paraissent d’une distinction véritablement princière. Ici on écoute plutôt une bonne musique de film ou de documentaire, qui colle aux images au point de se morceler complètement. Et cette impression, ni l’Orchestre philharmonique de Strasbourg ni Marko Letonja, impeccables mais pas vraiment dans leur élément, ne parviennent à la dissiper. C’est dommage, parce qu’avec un peu plus de modération voire d’autocritique de la part du soliste, l’exécution pourrait être vraiment brillante et convaincante, alors qu’ici le piège de l’orientalisme de bazar n’est pas toujours évité. De même que le traitement vertigineux infligé au 24e Caprice de Paganini donné en bis, pour amusant qu’il soit, paraît quand même extrêmement caricatural. Mais quel violon !


Seconde partie de concert chargée, avec une stimulante association Dukas-Strauss, qui malheureusement déçoit légèrement dans une Péri dont on attendait probablement trop. Ce «Poème dansé», créé en 1912, a longtemps fait partie d’un certain répertoire de base des orchestres français voire de culture française (l’Orchestre de la Suisse romande en particulier), et puis le fil s’est plus ou moins rompu. Aujourd’hui retrouver le ton juste n’est pas du tout évident, dans cette œuvre d’une considérable ampleur symphonique mais qui requiert aussi un sens du détail et des nuances très affûté. Non que Marko Letonja et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg déméritent, mais manifestement les heures de travail standard allouées dans le cadre d’un concert d’abonnement n’ont pas suffi. Le tissu orchestral étincelle de beaux reflets mais souvent les équilibres pêchent par excès de générosité (dès la quatrième mesure, l’alliage célesta-cors, beaucoup trop fort pour le pp requis, fait sursauter) et on apprécierait davantage de souplesse dans les transitions. En l’état une exécution décente de cette Péri que l’on aimerait pouvoir écouter plus souvent en concert, mais malheureusement pas davantage.


Dans la Grande suite du Chevalier à la rose, le ton juste est bien mieux trouvé. Là Marko Letonja paraît très à son aise, avec aussi son bagage de chef lyrique très efficace dans ce répertoire. Et puis cet arrangement des divers passages-clés de l’opéra est tellement bien assorti et judicieusement confectionné, avec ses lignes vocales parfois redistribuées aux instruments qu’on n’y résiste guère (et surtout pas à la sublime première phrase du Trio, qui permet au premier violon de Philippe Lindecker de se travestir un court instant en une somptueuse Feldmarschallin). Mais l’ensemble requiert aussi un goût très sûr, attention au bastringue viennois, qui peut menacer parfois (et qui en a fait chuter plus d’un : on s’y souvient en particulier d’un Lorin Maazel catastrophique avec le New York Philharmonic), embardées dont cette magnifique exécution strasbourgeoise paraît heureusement préservée.



Laurent Barthel

 

 

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