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Emois baroques sur l’Olympe

Strasbourg
Opéra national du Rhin
02/08/2019 -  et 10, 12, 14, 16 février (Strasbourg), 1er, 3 (Mulhouse), 9 (Colmar), 20, 22, 24, 26, 27 (Nancy) mars, 13, 14 avril (Versailles) 2019
Giovanni Legrenzi : La divisione del mondo
Sophie Junker (Venere), Carlo Allemano (Giove), Julie Boulianne (Giunone), Jake Arditti (Apollo), Soraya Mafi (Cintia), Rupert Entiknap (Mercurio), Christopher Lowrey*/Paul-Antoine Benos Djian (Marte), Stuart Jackson (Nettuno), Andre Morsch (Plutone), Arnaud Richard (Saturno), Alberto Miguelez Rouco (Discordia), Ada Elodie Tuca (Amore)
Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction)
Jetske Mijnssen (mise en scène), Herbert Murauer (décors), Julia Katharina Berndt (costumes), Bernd Purkrabek (éclairages)


(© Klara Beck)


En 1997, le chef d’orchestre Thomas Hengelbrock explore le fonds de partitions anciennes de la Bibliothèque nationale à Paris et il « lui tombe dans les mains » une copie manuscrite d’époque de La divisione del mondo, opéra de Giovanni Legrenzi créé à Venise en 1675. Une découverte qui le séduit à tel point, autant par la beauté des airs que par l’excellente qualité du livret, qu’il décide de monter l’ouvrage avec son Balthasar-Neumann Ensemble, projet finalement réalisé dans le superbe cadre du Rokokotheater de Schwetzingen en mai 2000. Une production signée Philippe Arlaud, très colorée, délicieusement drôle, soutenue en fosse par les accents baroques marqués de la direction de Thomas Hengelbrock. On y était, et on se souvient encore de cette brillante soirée de façon tout à fait précise, y compris du look « rock » inénarrable, avec lunettes de soleil et coiffure en banane, que s’étaient composés Hengelbrock et ses musiciens en fosse pour cette lecture aussi divertissante qu’irrévérencieuse. Pour mémoire, la collaboration dramaturgique de cette production était assurée à l’époque par... Eva Kleinitz, actuelle directrice de l’Opéra national du Rhin. Que cette partition « totalement méconnue » (sic) de Legrenzi resurgisse donc tout à coup ici, à Strasbourg, presque vingt ans plus tard, n’est donc pas du tout le fruit du hasard.


Dans une interview reprise dans le programme de salle, Christophe Rousset nous parle lui aussi de cette même copie manuscrite de la Bibliothèque nationale, et des joies qu’il ressent à effectuer ce genre de fouilles archéologiques dans les fonds de partitions oubliées, mais en omettant de signaler qu’en l’occurrence ce terrain avait déjà été exploré auparavant, et de très minutieuse façon (le même programme de salle mentionne du reste dans un coin de première page l’origine du matériel utilisé : « Editions Balthasar Neumann/Thomas Hengelbrock »). Certes Christophe Rousset a vraisemblablement modifié ce premier essai de restitution, en fonction de sa propre subjectivité par rapport aux sources disponibles (on sait qu’en matière d’opéra du XVIIe siècle il faut toujours déployer une très érudite imagination pour « combler les trous » laissés à l’appréciation des interprètes, en particulier en fonction des effectifs instrumentaux que chaque théâtre était en mesure de rassembler), cela dit on apprécierait tout de même que l’on rende ici à César d’une façon un peu plus explicite ce qui lui revient.


Né une génération après Cavalli et disparu juste avant la « réforme » de 1690, Legrenzi est effectivement un compositeur passionnant, qui va remporter de durables succès de son vivant avec des opéras qui font la part belle à une certaine attractivité mélodique (la voix s’y émancipe de plus en plus du récit déclamé, avec de très nombreux airs mais en général très courts, qui ménagent d’agréables pauses dans l’action sans jamais la ralentir). On peut en juger dans de nombreuses partitions conservées, car il n’y a de loin pas que celle de La divisione del mondo qu’il nous soit possible de rejouer : le non moins excellent Giustino (lui aussi remonté par Thomas Hengelbrock, en 2007, également à Schwetzingen), Totila, Eteocle e Polinice, Germanico sul reno... La particularité de La divisione del mondo restant son livret particulièrement bien troussé: les disputes des dieux de l’Olympe, perturbés dans leur conquête du monde – alors qu’ils viennent juste de triompher des titans et tentent à présent de délimiter les zones d’influence de chacun – par l’arrivée d’une Vénus totalement folle de son corps, et dont les charmes sèment la pagaille à tous les étages.


A l’époque, une part non négligeable du succès de cet opéra avait été assurée par une scénographie spectaculaire, théâtre à machines baroque qui déployait à plein régime son illusionnisme optique. Des stratagèmes évidemment difficiles à réutiliser aujourd’hui, où il faut trouver d’autres procédés narratifs. Mais de là à renoncer à toute beauté plastique... Herbert Murauer a beau recouvrir d’une reproduction grand format de Leda et le cygne de Véronèse une banale cage d’escalier cylindrique percée de portes, l’ensemble reste laid et surtout figé. La metteuse en scène néerlandaise Jetske Mijnssen traite les personnages comme s’il s’agissait d’une famille bourgeoise contemporaine dont le chef, en l’occurrence un Jupiter en costume de manager qui a réussi, ne parvient pas à enrayer les bisbilles. Le problème est que le résultat est très rarement drôle, alors que l’action devrait pétiller en permanence, et que les rapports des personnages manquent de clarté (les costumes n’aident guère à identifier les rôles au début : qui est Pluton? qui est Mercure? qui est Diane? à défaut de badger les chanteurs en gros caractères pour préciser qui chante quoi, on aurait pu leur trouver des tenues plus explicites, voire, ce qui n’aurait rien gâché, tout simplement plus seyantes). Comme de surcroît les actes 1 et 2 sont enchaînés (une heure trois quarts avant l’entracte : les dieux d’un Or du Rhin entier sont à peine plus bavards...), un ennui tenace s’installe, et la lourdeur de l’ensemble deviendrait même franchement pénible si la musique de Legrenzi n’était pas là pour relancer continuellement l’intérêt.


De ce côté-là, Christophe Rousset joue pleinement la carte d’un opéra vénitien très décoratif, avec beaucoup de cordes pincées et des timbres de flûtes à bec et cornets qui viennent joliment colorer l’ensemble. Le charme mélodique suave de la musique de Legrenzi en ressort superbement souligné, mais pas forcément une fibre dramatique qui semble parfois un peu ténue. Ou alors est-ce simplement parce qu’il se passe aussi peu de choses dans les rapports humains sur le plateau (on entre, on sort, on se croise, on se roule un peu par terre ou sur la table, deux par deux, on monte les escaliers en procession avec des valises, on fume une cigarette, on redescend, etc. etc.) et que cela rejaillit sur l’impression musicale d’ensemble ?


Quant à la grande diversité des voix, elle ne nous laisse en définitive que peu de souvenirs marquants : trois contre-ténors qui bataillent tous avec des intonations peu sûres et des timbres relativement ingrats, un Jupiter sans aura, un Neptune et un Pluton un peu plus présents mais que la mise en scène ravale au rang de comiques de cinéma muet... Dans un contexte aussi pâle, la Junon de Julie Boulianne et surtout la splendide Vénus de Sophie Junker n’ont aucune difficulté à crever l’écran : la première très digne, en dépit de la scène de ménage des plus convenues qu’on lui fait jouer avant l’entracte, et la seconde dotée de moyens effectivement affriolants à tous points de vue.



Laurent Barthel

 

 

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