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« Musical surfings »

Strasbourg
Palais de la Musique
01/25/2018 -  
Leif Segerstam : Symphonie n° 310 «Sinfonia piccola», «Escaping from today’s realities into the healing waves of musical surfings inspired by the Nordic Nature’s status quo...»
Felix Mendelssohn : Concerto pour violon n° 2 en mi mineur, opus 64
Jean Sibelius : Quatre légendes (Suite de Lemminkäinen), opus 22

Dong-Suk Kang (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Leif Segerstam


L. Segerstam (© J. Segerstam)


Du haut de ses 73 ans, Leif Segerstam, personnage tout rond, longs cheveux blancs et expressions rieuses de Bonhomme Noël, ne se contente pas d'être un chef dont tout le monde raffole, autant du côté du public que des musiciens («Leif is Life» proclament les affiches strasbourgeoises : la déclaration d’amour est sans ambages). En effet, Segerstam est aussi un compositeur prolifique et même d’une productivité qui défie l'entendement, du moins dans l'univers de la musique savante contemporaine, d’habitude nettement plus parcimonieux. Plus de 300 symphonies ! Et ce n'est ni un canular, ni du Telemann ou du Vivaldi. Toutes ces pages sont-elles pour autant éditées, accessibles, voire complètement écrites ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une longue série d'expériences, simples canevas à enrichir dans l'instant, voire partitions graphiques ? Difficile d’en obtenir un inventaire plus précis, mais toujours est-il que Segerstam ne manque jamais d’emmener dans ses bagages quelques unes de ces « Symphonies », en général courtes et dont l'encre n'est pas toujours sèche depuis bien longtemps.


Ce soir l'Orchestre philharmonique de Strasbourg se voit donc confier, en création mondiale, la Symphonie n° 310, certes dénommée Sinfonia piccola (elle dure 16 minutes, quand même !) mais qui n’en porte pas moins un sous-titre démesuré : Escaping from today's realities into the healing wawes of musical surfings inspired by the Nordic Nature's status quo... L’orchestre y paraît aussi fourni que pour une symphonie post-romantique, avec en prime un piano de chaque côté et une percussion abondante (dont une scie musicale et même le volumineux marteau de bois qui sert d'habitude dans la Sixième Symphonie de Mahler). Sinfonia piccola, vraiment ?


Une fois l’orchestre installé, on s’attend à voir Segerstam trottiner jusqu'au podium, pour hisser lentement sa conséquente silhouette dessus et s’asseoir. Mais les pianos donnent le signal de début de la symphonie et pourtant personne ne vient. L’image de cet orchestre énorme jouant devant une chaise vide est troublante, surréaliste : un quotidien devenu tout à coup d’une bizarrerie inquiétante, simplement par la subversion d’un seul objet, déplacé ou renversé, comme dans un tableau de Magritte. Les musiciens semblent pouvoir prendre ici d’assez nombreuses initiatives, à l’intérieur d’un cadre souple dont la coordination incombe successivement à des responsables différents. Les nappes sonores se succèdent, riches, dotées d’un vrai potentiel : une musique effectivement de nature et d’éléments bruts, qui incite à s’échapper vers la rêverie. Le miracle étant qu’avec aussi peu d’ingrédients (de visu, les partitions paraissent, du moins de loin, assez pauvres), Segerstam parvienne à un résultat sonore tout aussi intéressant, voire davantage, que maintes compositions contemporaines prétentieuses, scrupuleusement notées à la triple croche pointée près. Le travail d’un fin musicien, qui donne envie d’en écouter d’autres spécimens...


Rare apparition ensuite de Dong-Suk Kang, violoniste sexagénaire d’origine coréenne dont les circuits de carrière, à prédominance chambriste, ne croisent qu’assez rarement le territoire français. Belle occasion de découvrir une sonorité raffinée et un jeu dont la virtuosité sait s’imposer en maintenant un constant contrôle de la pureté du timbre, avec étonnamment peu de scories. Du coup le Concerto pour violon de Mendelssohn en paraît presque lisse, dépourvu d’aspérités, mais cette fluidité reste toujours extrêmement musicale. Pour autant l’exécution n’est pas sans garder un certain côté aventureux. Probablement peu répétée, elle laisse beaucoup de place à l’improvisation, Segerstam au pupitre semble même éprouver de notables difficultés à suivre son soliste, surtout dans l’Allegro final, où Dong-Suk Kang caracole brillamment, mais parfois loin devant.


Retour à l’immensité de la nature finlandaise en seconde partie de concert, avec la Suite de Lemminkäinen de Sibelius, opportunité rare puisque les quatre poèmes symphoniques de cette suite narrative sont rarement présentés ensemble (ici dans l’ordre original d’abord préféré par Sibelius, avec Le Cygne de Tuonela en troisième position, contrairement à ce que mentionne le programme de salle). Le compositeur de Finlandia s’y exprime encore dans un idiome post-romantique, mais avec déjà d’étonnantes intuitions et ouvertures vers ce qui fera la subtile magie de ses ouvrages plus tardifs. Et ce sont précisément ces aspects-là que Segerstam tient le plus à souligner, au risque de rendre parfois le discours difficile à suivre ou évasif. Il faut vraiment se laisser conduire par sa baguette et dès lors l’émerveillement s’installe, devant des alliages sonores totalement inouïs. En particulier Lemminkäinen à Tuonela, page trop méconnue, fourmille de tels instants, même si on a pu en écouter d’autres exécutions sans doute plus accessibles. Beaucoup plus célèbre, Le Cygne de Tuonela, avec son long thrène mélodique au cor anglais (magnifiquement tenu, comme toujours à Strasbourg, par Pierre Carette), est restitué avec une indicible poésie. Beaucoup de grands moments, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg paraissant totalement envoûté par les petits bras énergiques et la mimique constamment mouvante de son chef d’un soir.



Laurent Barthel

 

 

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