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Ubermächte sind im Spiel

München
Nationaltheater
07/02/2017 -  et 5 juillet 2017
Richard Strauss : Die Frau ohne Schatten, opus 65
Burkhard Fritz (Der Kaiser), Ricarda Merbeth (Die Kaiserin), Michaela Schuster (Die Amme), Sebastian Holecek (Der Geisterbote), Elsa Benoit (Hüter der Schwelle des Tempels, Die Stimme des Falken), Dean Power (Erscheinung eines Jünglings, Der Bucklige), Okka von der Damerau (Eine Stimme von oben), Wolfgang Koch (Barak), Elena Pankratova (Färberin), Tim Kuypers (Der Einäugige), Christian Rieger (Der Einarmige), Renate Jett (Keikobad), Elsa Benoit, Paula Iancic, Anna El-Khashem, Rachael Wilson, Okka von der Damerau (Stimme der Ungeborenen, Kinderstimmen), Johannes Kammler, Sean Michael Plumb, Milan Siljanov (Stimme der Wächter der Stadt), Elsa Benoit, Paula Iancic, Rachael Wilson (Dienerinnen)
Chor und Kinderchor der Bayerischen Staatsoper, Sören Eckhoff (chef de chœur), Bayerisches Staatsorchester, Kirill Petrenko (direction musicale)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors et costumes), Felice Ross (lumières), Denis Guéguin (vidéo), Kamil Polak (animation vidéo)


(© Wilfried Hösl)


Le passage de Kirill Petrenko à l’Opéra de Munich est en train de hisser à nouveau cette prestigieuse maison au quasi premier rang mondial qu’elle occupait il y a quarante ans, âge d’or marqué notamment par les fréquentes apparition en fosse d’un Carlos Kleiber, sous la tutelle d’un non moins considérable Wolfgang Sawallisch. En tout cas, en redécouvrant cette Frau ohne Schatten, remontée pour quelques représentations festivalières, et pourtant probablement pas dans des conditions de répétition optimales, on est fortement tenté de le penser. Ne serait-ce qu’à cause d’un orchestre exceptionnel, qui au fil des années et des renouvellements de pupitres, n’a rien perdu de ses sonorités opulentes. Au moins dans le répertoire wagnérien et straussien (les soirs d’opéra italien, une certaine indifférence peut en revanche se faire sentir), cette phalange d’élite paraît sans rivale aujourd’hui. Mais encore faut-il un démiurge d’une intensité humaine particulière, pour la solliciter au maximum de ses capacités, et dans ce cas le résultat peut s’avérer sidérant.


Kirill Petrenko au pupitre c’est essentiellement cela : une force, un magnétisme extrême, une emprise incroyable sur tout ce qui peut se passer, autant en fosse que sur le plateau. Bien que l’on soit à l’opéra, on ne peut d’ailleurs pas empêcher son regard de revenir assez souvent vers cette petite silhouette qui se démène avec une folle énergie, voire parfois un telle implication que ses bras se tétanisent avec la force d’un lutteur. L’orchestre semble porté voire propulsé jusqu’à des paroxysmes incroyables, démonstrations de transe collective qui contaminent l’auditeur et l’amènent dans une sorte d’état second.


On exagère ? Clairement non, du moins à l’issue par exemple de ce deuxième acte grandiose, dont on sort abasourdi, avec une certaine peine à retrouver l’usage de ses jambes. Autant le début de soirée nous avait paru en deçà de l’impression déjà forte laissée par les représentations inaugurales de cette production, en 2013, autant cette large section médiane relève constamment du prodige : une montée en puissance indescriptible, autant en violence (le cataclysme final) qu’en raffinement (l’extraordinaire subtilité de l’accompagnement du monologue de l’Empereur). De tels moments laissent des impressions indélébiles, probablement gravées à jamais dans l’histoire d’une maison d’opéra.


La distribution n’est pas d’un niveau exemplaire, mais qu’importe, puisque personne ne plombe vraiment la soirée, même quand la défaillance vocale n’est pas loin (l’Empereur tendu, parfois audiblement à ses limites, de Burkhard Fritz, ou l’Impératrice neutre et peu irradiante dans l’aigu de Ricarda Merbeth). C’est au couple des teinturiers, rescapé de la distribution d’origine, qu’échoit principalement un rôle moteur, bien assumé, avec une mention particulière pour la Teinturière d’Elena Pankratova, chanteuse tout sauf distinguée, mais d’un étonnante fermeté de projection, et même d’une enviable clarté de diction, parfaitement compatible avec le Barak attachant, délibérément fruste parfois, de Wolfgang Koch. Ce casting inégal révèle de façon encore plus flagrante le rôle fondamental que joue dans cet ouvrage le personnage de la Nourrice, tenu ici par l’excellente Michaela Schuster : en rien une vieille théâtreuse usée aux feulements glaçants, mais bien une mezzo dramatique encore en pleine possession de ses moyens, qui peut donner à toutes ses répliques un relief étonnant, en les chantant réellement.


Krzysztof Warlikowski, qui vient saluer au rideau final, était présent parallèlement à Munich pour une nouvelle production des Stigmatisés de Schreker, et il est possible qu’il ait pu superviser brièvement cette reprise. En tout cas, par rapport au représentations d’il y a quatre ans, son spectacle donne l’impression d’avoir peu vieilli. Davantage qu’une gestion des acteurs que l’on persiste à trouver sans grand intérêt (personnages très souvent assis, avec toujours cette horripilante obsession de les faire fumer en scène dès qu’ils sont préoccupés...), c’est la poésie du projet d’ensemble qui séduit, dans le dispositif scénique faussement laid (ce qui veut dire parfois remarquablement beau) de Malgorzata Szczesniak, grâce aussi à l’appui des superbes vidéos de Felice Ross et Denis Guéguin. En définitive la complexité du concept initial (un melting pot psychanalytique qui brasse de tout un peu, de Freud à Thomas Mann et Robbe-Grillet) se résout dans un continuum scénique agréablement lisible, et surtout qui ne gêne pas. Car ce soir, même si l’aspect visuel reste important, ce sont bien les vertiges de la perception sonore qui nous envoûtent. En fosse, comme le constate la Nourrice à la fin de l’acte II : « Des forces qui nous dépassent sont en jeu ! ».



Laurent Barthel

 

 

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