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08/29/2019
Olivier Greif: Journal
Edité par Jean-Jacques Greif
Aedam Musicae – 532 pages – 32 euros


Sélectionné par la rédaction




En 2013, Aedam Musicae a publié un remarquable ouvrage monographique consacrée à Olivier Greif (1950-2000) compilant plusieurs textes de différents auteurs, dont une biographie rédigée par son frère Jean-Jacques, qui édite aujourd’hui le journal du compositeur. Ce dernier couche longuement ses réflexions sur le papier et relate au fur et à mesure les petits et grands événements de sa vie, mais de manière peu régulière, en s’autorisant des interruptions plus ou moins longues. Ces cinq cents pages ne forment qu’une petite partie – un peu moins d’un quart – des textes laissés par le musicien et il ne s’agit pas uniquement d’un journal. Cet ouvrage reproduit aussi énormément de lettres que Greif a rédigées tout au long de son existence et dont il conservait une copie. Le compositeur s’adonne à l’exercice de la correspondance de façon soutenue, avec une très grande maîtrise de la syntaxe et du vocabulaire. Tous ces écrits rendus publics, que ce soient les pages de son journal ou sa correspondance, témoignent d’une intelligence supérieure et d’une sensibilité exacerbée. Le compositeur se montre capable d’humour et cultive un sens de l’observation assez poussé, en particulier lorsqu’il retranscrit des bribes de conversations cocasses entendues dans une salle de concert ou dans les transports en commun. Mais le ton reste le plus souvent sérieux, voire grave.


Des constantes demeurent au fil des années, les dix dernières de son existence prématurément abrégée occupant la plus grande partie de cette publication. Tout d’abord, Olivier Greif exprime régulièrement ses affinités musicales. S’il n’apprécie vraiment pas la musique des Johann et Joseph Strauss, c’est un euphémisme, il admire Mahler et Schubert, ainsi que Chostakovitch et Britten, deux figures majeures du XXe siècle dont il se réclame. Greif évoque peu l’opéra, même s’il en a composé, et passe sous silence de grands contributeurs du genre, comme Bellini ou Donizetti, par exemple, sans doute trop éloignés de ses préoccupations – il éprouve, comme beaucoup, des sentiments partagés à l’égard de Wagner. Le compositeur écrit aussi longuement sur sa propre musique, avec l’intention de toucher, voire bouleverser profondément l’auditeur.


Olivier Greif a entretenu tout au long de sa vie des relations avec d’autres compositeurs, comme Berio, Dutilleux, Messiaen, plus récemment Philippe Hersant, ainsi qu’avec les interprètes qui jouaient et défendaient ses œuvres – la présence à plusieurs reprises du nom de Jérémie Rhorer dans la seconde moitié des années 1990 ne manque pas de surprendre compte tenu du répertoire pratiqué aujourd’hui par ce chef. Pendant longtemps, seuls quelques artistes proches du compositeur jouaient sa musique, souvent avec lui au piano, mais durant les dix dernières années, ses œuvres rencontrèrent davantage de succès et furent plus fréquemment exécutées par de grands interprètes, actifs encore aujourd’hui, tels que Henri Demarquette et Renaud Capuçon. Greif se lia aussi d’amitié avec des musicologues, en particulier Brigitte-François Sappey, Jean-Michel Nectoux et Gérard Condé, ce que nous savions déjà grâce à l’ouvrage de 2013. Et il laisse de nombreuses lettres envoyées à des amis hors de la sphère musicale. Sa soif d’écrire des mots et des notes fut sans limite.


Conscient de posséder une certaine forme de génie, mot qu’il n’hésite pas à utiliser à son égard, Olivier Greif souffre de manquer de reconnaissance et se résigne à l’idée que son temps viendra peut-être après sa mort. Il désespère souvent de ne pas rencontrer le succès escompté, malgré un cercle non négligeable d’interprètes soucieux d’imposer cette musique particulièrement intense. La vie amoureuse, d’autre part, demeure extrêmement secrète, voire mystérieuse, même si Greif révèle à un moment souffrir de solitude affective, mais force est de constater que le compositeur n’exprime rien de clair à ce sujet. La disparition de sa mère, dans les années 1970, le marque durablement, mais la relation avec son père, mort très âgé, quelques mois avant lui, fut plus distante, bien que respectueuse. Face à son géniteur au terme de sa vie, Greif regrette de ne pas ressentir davantage de tristesse et de se sentir incapable de lui témoigner de la tendresse. Mais le destin de son père, rescapé d’Auschwitz, se traduit dans certaines des œuvres de la maturité.


L’engagement d’Olivier Greif durant de très nombreuses années auprès d’un gourou indien, Sri Chimnoy, constitue un élément essentiel de sa vie, notamment parce qu’il explique son retrait de la sphère musicale officielle; éloignement toutefois relatif car il continue, sous le prénom d’Haridas, à s’adonner à la musique dans le cadre de ses activités spirituelles, notamment en composant sur des textes – semble-t-il médiocres – de ce leader, en plus de dispenser des cours de méditation, de tenir des conférences et de gérer une librairie. Au début des années 1990, il prend ses distances avec cette communauté, son frère précisant en bas de page qu’il en fut, en fait, banni – en 2000, dans une lettre, il semble toutefois vouloir renouer avec ce guide. Ses réflexions spirituelles, ses multiples louages à Dieu et ses propos empreints de vénération pour ce gourou laissent pour le moins sceptique, et suscitent même la consternation, tant le compositeur se livre sans filtre ni recul. Jusqu’aux derniers jours, même lorsqu’il perdait la foi, Greif entretenait une longue correspondance, d’une grande élévation d’esprit, avec un religieux reclus dans une abbaye. A elles seules, ces lettres à ce moine présentent un intérêt majeur pour cerner le musicien, tant il se dévoile avec sincérité et détaille sa pensée avec précision.


Olivier Greif a aussi beaucoup voyagé, un peu partout dans le monde, dans le cadre de sa profession de musicien, mais aussi de son engagement spirituel, notamment pour accompagner un groupe de chanteurs totalement dévoués à Sri Chimnoy. Ces récits de voyage présentent beaucoup d’intérêt, l’auteur relatant ses rencontres et ses mésaventures de manière fort vivante. A la fin de sa vie, Greif dit à plusieurs reprises souffrir de la solitude. Ses écrits reflètent dès ce moment de sombres pensées, parfois suicidaires. La cause de sa mort inopinée, alors qu’il écrit encore dans son journal la veille, demeure inexpliquée, à moins qu’elle ne soit gardée secrète. Mais il est vrai que ce compositeur inquiet et angoissé souffrit à plusieurs reprises de maladies graves qui faillirent lui coûter la vie.


Ce journal, ou plutôt ce carnet de bord, nous a captivé, tant il nous plonge intimement et longuement dans l’univers tourmenté et spirituel d’une personnalité rare et d’un compositeur singulier, sans véritable descendance, indépendant, ennemi de la tiédeur et des coteries et qui demeure complexe à cerner, malgré la somme que constituent ces plus de cinq cents pages.


Sébastien Foucart

 

 

 

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