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«Etoiles de l’Opéra» et «Rudolf Noureev» à Garnier
10/12/2020


Sur un plateau éphémère


Réouverture du Palais Garnier avec durant les travaux deux soirées plutôt décevantes de solos et pas de deux par le Ballet de l’Opéra national de Paris (BOP).


Afin de ne pas laisser inoccupé le Palais Garnier fermé jusqu’en décembre pour travaux dans les cintres et faire danser le BOP, inactif depuis le mois de mars, la direction de la danse de l’Opéra de Paris a décidé d’y donner en alternance jusqu’au 30 octobre deux soirées de pas de deux et solos dansés par les étoiles et premiers danseurs (respectivement par neuf et douze danseurs) sur une scène éphémère construite devant le rideau de scène par-dessus la fosse et l’avant-scène, empiétant sur les premiers rangs de l’orchestre. Cette grande scène grise en arène à faible inclinaison de 140 mètres carrés a belle allure avec deux dégagements possibles par des escaliers latéraux (un peu périlleux) vers la salle et deux blocs au fond vers la coulisse. Un espace a été aménagé côté jardin pour contenir un piano en supprimant d’autres fauteuils d’orchestre.


La soirée «Etoiles de l’Opéra», conçue sur le mode du «gala», affiche sept chorégraphies (ou extraits de ballets) de maîtres néoclassiques de Fokine à Forsythe. Trois musiciens jouent dans la salle, sauf pour la musique électronique de Thom Willems pour la pièce de William Forsythe, qui est enregistrée. A la lecture du programme, on ne s’attendait pas à une grande cohérence dans la succession des pièces choisies, ce qui se confirmait au fil des 75 minutes de cette soirée donnée sans interruption. Seul, accompagné au piano par Elena Bonnay, le génial duo quasi géométrique Trois Gnossiennes sur la musique d’Erik Satie du Néerlandais Hans van Manen, créé en 1982 et qui ferait pâlir d’envie des pièces n’ayant pas cet âge canonique, formidablement dansé par Ludmila Pagliero et Hugo Marchand, et le solo Lamentation autant historique que culte de Marta Graham sur une pièce pour piano de Zoltán Kodály, créé en 1930 (même réflexion sur sa belle longévité), valaient vraiment le déplacement (on rappelle que l’on est à l’Opéra de Paris...). Quiconque aura vu danser Mikhail Baryschnikov la pièce A Suite of Dances que Jerome Robbins a conçue pour lui en 1994, ou même plus récemment Nicolas Le Riche ou Mathias Heymann sur cette même scène, ne peut s’enthousiasmer sur la performance d’Hugo Marchand, raide, sans grâce ni humour ni même de fluidité, malgré l’excellent support musical que lui offrait Ophélie Gaillard avec la Première Suite pour violoncelle seul de Bach.


Clair de lune d’Alastair Marriott (2017), pourtant dansé par son créateur Matthieu Ganio, et La Mort du cygne de Mikhail Fokine (1907) par Sae Eun Park souffraient du même manque de préparation pour que l’on ne sente pas l’effort et ne savoure autre chose que juste les pas. Le duo de Herman Schmerman de Forsythe (1992), malgré les efforts de Hannah O’Neill et Vincent Chaillet, n’avait pas la fluidité dans l’extrême virtuosité qu’il requiert. Enfin, le pas de deux dit «A la campagne» du formidable ballet La Dame aux camélias de John Neumeier (1978) tombait un peu à plat, isolé de ce qui le précède, Laura Hecquet et Mathieu Ganio semblant très crispés tout au long de Valses et Ecossaises de Chopin jouées par Ryoko Hisayama.


Et c’est la même impression qui prédominait dans la soirée Rudolf Noureev, ces pas de deux – hormis celui de Don Quichotte, qui est un morceau de gala en soi, assez brillamment dansé par Valentine Colasante et Francesco Mura si l’on s’en tient à la technique (pour le naturel on pouvait repasser..) – une fois sortis de leur contexte de grand ballet en trois actes avec un argument et une progression dramatique, sont assez peu crédibles sauf parfois dans les galas internationaux quand ils sont interprétés de façon superlative. Or, on sentait l’effort, les pas comptés, on tremblait pour les portés périlleux dans cette grande heure d’extraits de sept ballets de Noureev où seul nous a convaincu le duo dit «du tabouret» extrait de l’acte II de Cendrillon, crédible isolé du reste mais surtout interprété avec un véritable geste artistique par Alice Renavand, si gracieuse dans les bras de Florent Magnenet. Roméo et Juliette, Casse-Noisette, même dans son duo final dansé avec raideur par Dorothée Gilbert et Paul Marque plutôt mal appariés, l’interminable pas de deux de l’acte III de La Belle au bois dormant, bien maîtrisé techniquement mais dansé sans grâce par Léonore Baulac et Germain Louvet. Seul solo très attendu, la «Variation du poète» extraite du quatrième tableau de Manfred, offrait à Mathias Heymann l’apparition la plus vraiment artistique de la soirée. Le danseur étoile a su transmettre en 5 minutes le désespoir du poète romantique, un des plus beaux solos de Noureev, sans donner l’impression de parachuter sur scène un morceau de circonstance.


On nuancera ces réserves à la lumière des conditions de travail des danseurs dans le contexte sanitaire actuel mais en précisant bien que ces soirées avaient été annoncées dès le début de l’été et que les danseurs ont repris le chemin des studios dès la mi-août. Et on ajoute que techniquement, ces soirées auraient pu être infiniment plus soignées car les éclairages blafards frisant l’amateurisme et la sonorisation désastreuse de la soirée Noureev (celle de la pièce de Forsythe était excellente), avec basses de discothèque techno et aigus sursaturés, semblaient bien loin du standard d’un théâtre qui sans cesse met en avant, pour justifier son faramineux budget, les notions de prestige et de rayonnement international.


Olivier Brunel

 

 

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