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08/15/2015
André Campra : Tancrède
Benoît Arnould (Tancrède), Isabelle Druet (Clorinde), Chantal Santon (Herminie), Eric Martin-Bonnet (Isménor), Alain Buet (Argant), Erwin Aros (Un sage enchanteur, Un sylvain, Un guerrier, La Vengeance), Anne-Marie Beaudette (La Paix, Une guerrière, Une dryade), Marie Favier (Une guerrière, Une dryade), Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Les Temps présents, Olivier Schneebeli (direction)
Enregistré en public à l’Opéra royal du château de Versailles (6-7 mai 2014) – 166’46
Coffret de trois disques Alpha 958 (distribué par Outhere) – Notice (en français, anglais et allemand) d’Olivier Schneebeli et Jean Duron et traduction des textes chantés





Certains écrits ont été de véritables mines d’or pour les artistes (peintres et musiciens notamment), qui ont pu y puiser à foison pour réaliser leurs propres chefs-d’œuvre. Il en va par exemple des Métamorphoses d’Ovide ou de Roland furieux de l’Arioste mais aussi, comme c’est le cas ici, de la célèbre Jérusalem délivrée du Tasse. Ce vaste poème épique, dans lequel Lully avait déjà puisé l’intrigue de son Armide, a également été la source de la tragédie lyrique d’un autre maître du baroque français en la personne d’André Campra (1660-1744). Loué lors de sa création le 7 novembre 1702, Tancrède, tragédie lyrique en un prologue et cinq actes, n’a cessé d’être à l’affiche tout au long du XVIIIe siècle, remportant à chaque fois un vif succès (même si L’Europe galante et Les Fêtes vénitiennes ont été représentées un plus grand nombre de fois) et demeurant toujours aux yeux de nos contemporains comme «la plus accomplie de ses tragédies en musique» (pour reprendre les mots de Maurice Barthélémy dans son André Campra, étude biographique et musicologique, Actes Sud, page 126). Face à ce concert de louanges, on peut d’ailleurs s’étonner que cette tragédie n’ait pas davantage été donnée en concert, hormis quelques reprises qui commencent aujourd’hui à dater quelque peu (voir ici).


L’œuvre, dont le livret est dû au talentueux Antoine Danchet (1671-1748), et qui commence par un habituel Prologue en hommage au Roi de France, est en vérité bien davantage centrée sur Clorinde, l’héroïne féminine de la tragédie, que sur Tancrède lui-même. Tancrède, chef de l’armée de Godefroy, est amoureux de la princesse sarrasine Clorinde, également convoitée par Argant, chef de l’armée des Sarrasins. Argant enjoint à la princesse Herminie de le suivre pour mettre hors d’état de nuire Tancrède mais celle-ci lui révèle qu’elle en est amoureuse. Attisé (si besoin était) par le magicien Isménor et sa suite de mages, Argant exhorte ses soldats à aller au combat pour tuer Tancrède. Pendant ce temps, ce dernier déclare sa flamme à Clorinde et, averti des lourdes pertes infligées par les magiciens parmi ses troupes, part dans une forêt enchantée combattre ces forces maléfiques, attiré sans le savoir par Isménor dans un véritable traquenard. Au cœur de cette forêt, Herminie révèle à Argant ce qu’il savait déjà: Tancrède est également amoureux de Clorinde; ivre de rage, Herminie se débrouille pour provoquer une rencontre avec Clorinde à laquelle elle fait croire que Tancrède est mort avant de lui révéler non seulement qu’il est toujours vivant mais qu’elle a bien l’intention de mettre fin à ses jours. Alors que Clorinde part à la recherche de Tancrède pour le sauver, Isménor ensorcelle ce dernier. Clorinde, qui n’a pas perdu le sens de ses devoirs de souveraine, fait savoir à Tancrède qu’il vaut mieux qu’ils ne se voient plus afin de ne plus mélanger leurs devoirs respectifs d’amants et de guerriers. Après d’âpres combats menés par ses soldats, Tancrède revient triomphant et se réjouit d’avoir pu tuer Argant, son rival, jusqu’à ce qu’on lui révèle, alors qu’il était encore sous l’emprise des sortilèges qui lui avaient été jetés, qu’il a en réalité mis fin aux jours de Clorinde, qui avait paru devant lui sous l’armure d’Argant. Pensant un temps se suicider, Tancrède décide finalement de vivre mais reclus dans le malheur créé par son geste fatal.


Jusqu’à aujourd’hui, les amateurs n’avaient guère le choix qu’entre la version incomplète dirigée par Jean-Claude Malgoire et parue chez Erato (enregistrée en concert en 1986 au festival d’Aix-en-Provence, elle réunissait notamment François Le Roux dans le rôle de Tancrède et Daphné Evangelatos dans celui de Clorinde) et un disque rassemblant quelques extraits sous la direction de Clément Zaffini, paru chez Pierre Verany. A la faveur d’un spectacle donné en version scénique à l’Opéra royal du château de Versailles (dans une mise en scène de Vincent Tavernier), Alpha et le Centre de musique baroque de Versailles ont eu la riche idée de planter leurs micros afin d’offrir à l’auditeur la version complète de cette tragédie lyrique qui, dans la lignée des «Grandes journées Campra» organisées à Versailles à l’automne 2010, nous enchante de la première à la dernière note.


Maître d’œuvre de cette réussite, Olivier Schneebeli dirige un orchestre (Les Temps présents) et un chœur (Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles) rompus à ce répertoire qui coule dans leurs veines et qu’ils interprètent avec une justesse de chaque instant. Si les cordes font tour à tour preuve de vélocité et de finesse, de discrétion et d’emportement, servant au mieux le texte de Danchet, les vents (bois et trompettes), sans oublier les percussions souvent sollicitées, ne sont pas en reste. Les nombreux intermèdes purement orchestraux (les deux Passepieds à la scène 2 de l’acte I, les diverses symphonies qui agrémentent les actes II et III, les deux Menuets à la scène 4 de l’acte III, la «Marche pour les trompettes» à la scène 2 de l’acte V...) permettent aux instruments de briller par eux-mêmes. Campra a en outre souvent veillé à user très intelligemment du pouvoir suggestif de l’orchestre, faisant appel aux flûtes droites pour accompagner le grand air d’Herminie (acte III, scène 2) mais recourant plutôt aux flûtes à bec et aux castagnettes lors des menuets de la scène 4 du même acte, requérant ensuite trompettes et timbales pour les scènes de combat de l’acte V, imposant au contraire de doux violons pour accompagner les nombreux récitatifs chantés par tel ou tel personnage... Quant au chœur, il intervient sous diverses formes (guerriers, magiciens, sarrasins, bergères) et dans plusieurs registres qui sont autant d’occasions d’exprimer une grande diversité de sentiments allant de la rage à la compassion, de la douce félicité au désespoir le plus noir.


Parmi les rôles principaux, on commencera par Clorinde, et non Tancrède, car c’est bien elle qui est au centre de l’action de cette tragédie. Le rôle, tenu lors de la création par Mademoiselle Maupin, qui avait tant frappé les spectateurs par son registre grave, est ici dévolu à Isabelle Druet: pouvait-on faire meilleur choix? La jeune mezzo (née en 1979) impose une présence extraordinaire et, surtout, incarne à merveille cette héroïne fragile, sans cesse bringuebalée entre ses envies d’amante et ses devoirs de reine (la première scène de l’acte II ou la scène 6 de l’acte IV «Que vois-je! Quel courroux l’anime!»). Bénéficiant d’un rôle doté d’une grande force dramatique (quel aveu de sa propre faiblesse à la scène 7 de l’acte V lorsqu’elle lance, amère, «Estes-vous satisfaits, Devoir, Gloire cruelle»), Isabelle Druet illumine le personnage de Clorinde – on n’oubliera pas non plus son murmure agonisant, poignant! – et diffuse dans tout l’opéra la variété de ses sentiments. Face à elle, il fallait un Tancrède convaincant: autant dire que Benoît Arnould est à son affaire. Alors qu’on aurait pu craindre qu’il paraisse quelque peu falot face à une héroïne aussi consciente de ses responsabilités (d’ailleurs, en plus d’une occasion, c’est elle qui prend les décisions et qui impose à son amant la conduite à tenir), il incarne un Tancrède au caractère également très riche, sachant s’afficher en guerrier fier et plastronnant (la scène 2 de l’acte V) mais se muant aussi en amant sensible (lorsqu’il dévoile à Clorinde le fond de sa pensée, acte II, scène 2) ou vindicatif (lorsqu’il apprend les sentiments que son rival Argant porte à l’endroit de sa promise à la scène 4 de l’acte II).


Dans le rôle d’Argant, personnage important qui pourtant n’intervient qu’aux deuxième et troisième actes, Alain Buet, grand habitué de ce répertoire, montre toute l’étendue de son professionnalisme, réservant quelques moments très réussis notamment dans le duo avec Isménor à l’acte I (scène 2), même si l’on pourrait souhaiter accents plus belliqueux, et dans le duo avec Herminie au début de l’acte III. Dans ce dernier rôle, Chantal Santon est extrêmement convaincante et, véritable tour de force pour la «méchante de service», elle arrive à nous tirer des larmes dans son grand air de l’acte III (scène 2) où elle se morfond de ne pas être aimée de Tancrède. Eric Martin-Bonnet campe pour sa part un très bon Isménor (quel air que «Manes des Roys les plus terribles» à la scène 4 de l’acte I !), Erwin Aros prenant également pleinement part à la réussite de l’ensemble en dépit d’une prononciation perfectible. Un mot encore sur Anne-Marie Beaudette et Marie Favier qui, qu’elles incarnent les guerrières ou les dryades, sont toutes deux excellentes: la deuxième scène de l’acte III est à ce titre particulièrement remarquable. La notice ne disant rien sur ce point, on regrette d’autant plus, face à une équipe vocale de si haut niveau, de ne pas savoir qui chante le rôle des deux bergères dans la scène 4 de l’acte III (d’ailleurs, dans la même scène, quel est le chanteur cette fois-ci qui chante Le Plaisir?) alors que, là aussi, les voix sont très belles, accompagnées qui plus est par des mélodies aux tonalités pastorales extrêmement agréables.


Pour autant, ne faisons pas la fine bouche et saluons comme elle le mérite cette excellente réalisation qui fait honneur non seulement à ceux qui ont permis la réalisation et l’enregistrement de ce spectacle, mais aussi à un répertoire qui, on ne le dira jamais assez, mérite d’être redécouvert!


Le site de Chantal Santon
Le site d’Eric Martin-Bonnet
Le site de l’ensemble Les Temps présents
Le site du Centre de musique baroque de Versailles


Sébastien Gauthier

 

 

 

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