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Petrenko illumine Iolanta

Baden-Baden
Festspielhaus
04/17/2022 -  
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Iolanta, opus 69
Sonya Yoncheva (Iolanta), Liparit Avetisyan (Comte Vaudémont), Andrey Zhilikhovsky (Robert), Mika Kares (René), Michael Kraus (Ibn‑Hakia), Margarita Nekrasova (Marta), Anna Denisova (Brigitta), Victoria Karkacheva (Laura), Dmitri Ivanchey (Alméric), Nicolaï Didenko (Bertrand)
Slovenský filharmonický zbor, Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction)


S. Yoncheva, K. Petrenko (© Monika Rittershaus)


Kirill Petrenko et les Berliner Philharmoniker souhaitaient donner une forte couleur russe au Festival de Pâques 2022, en résonance avec le prestigieux passé de Baden‑Baden, villégiature très fréquentée par l’élite russe au 19e siècle : aristocrates et têtes couronnées, mais aussi Tolstoï, Tourgueniev, Dostoïevski, Gogol, Joukovski... D’ailleurs aujourd’hui encore une importante communauté russe réside ici, voire, plus discrètement, un nombre non négligeable d’oligarques !


Si le festival a finalement pu réchapper de la pandémie, en revanche, dans le contexte inopiné de l’invasion de l’Ukraine, cette thématique russe aurait pu lui être fatale. « Même dans cette période difficile, il est important de continuer à représenter les grandes œuvres de la culture musicale russe, avec un ensemble international, d’une façon exemplaire et sans réserve, en véhiculant leur message humaniste », s’est empressé de déclarer Kirill Petrenko dès le début des répétitions de La Dame de pique : une détermination salvatrice, l’ensemble du Festival de Pâques, hors le retrait d’Anna Netrebko pour l’un des concerts, ayant pu être maintenu sans défections, ni du côté des artistes, ni du côté du public.


Créés à exactement deux années d’intervalle à Saint‑Pétersbourg, et par le même couple de chanteurs, Medea Mei‑Figner et Nikolaï Figner, partenaires sur scène et à la ville, La Dame de pique et Iolanta sont les deux derniers ouvrages lyriques de Tchaïkovski. Il est donc logique de les avoir mis en perspective au cours de la même programmation. Cela dit les 90 minutes en un acte de Iolanta, joli pastel d’esprit médiéval, conçu comme un lever de rideau avant le ballet Casse‑Noisette, ne font pas vraiment le poids face au chef‑d’œuvre indiscutable qu’est La Dame de pique. On peut s’attacher à Iolanta, dont le livret, même un peu mièvre, est attendrissant et de bonne facture, et la musique, à défaut de pages marquantes, déploie un constant charme mélodique. Mais que ce petit opéra bien écrit reste aussi rare sur les scènes occidentales n’étonne pas non plus vraiment.


Disproportion de moyens aussi, entre quatre représentations scéniques et plusieurs semaines de répétitions pour La Dame de pique, et cette unique version de concert pour Iolanta, qui n’a pu bénéficier que d’un temps de préparation beaucoup plus bref. Pour ce concert de fin d’après‑midi de dimanche de Pâques, Kirill Petrenko a‑t‑il même pu obtenir des conditions de préparation simplement correctes, ou du moins compatibles avec son perfectionnisme coutumier ? Les premiers numéros de la partition déconcertent, apparemment difficiles à mettre en place. Est‑ce à leur propos que Rimski‑Korsakov parlait en privé d’une « orchestration qui marche sur la tête » ? En tout cas la phalange berlinoise paraît bien incertaine dans l’exercice. L’introduction instrumentale, confiée aux vents seuls, manque de précision, et la première scène, dispersée entre Iolanta au premier plan, ses amies et sa nourrice placées plus en arrière à gauche, les harpes et les cordes graves à l’opposé à droite, souffre d’un véritable éparpillement. Heureusement, à partir de l’arioso de Iolanta, le soutien orchestral s’affermit, puis devient lyrique et chaleureux pour l’arioso du Roi René, et atteint enfin un véritable rayonnement pour le duo de Iolanta et Vaudémont, qui reste de toute façon le plus beau passage de la partition. En tant que directeur musical de l’Opéra de Munich pendant une décennie, Kirill Petrenko a certainement connu des soirées plus problématiques que d’autres en fosse, mais il va devoir composer maintenant avec des aléas différents : ceux d’une phalange symphonique certes prestigieuse mais moins réactive qu’un orchestre d’opéra, et qui n’a pas toujours le temps de travailler autant qu’elle le devrait.


Minutieusement guidée par la battue d’un Petrenko omniprésent, qui ne la lâche pas d’une semelle, Sonya Yoncheva incarne une Iolanta attachante, même si le rayonnement vocal espéré n’y est pas toujours. L’instrument est dans un bon soir, relativement stable dans l’aigu, et d’intonation plutôt juste, mais on rêverait de davantage encore de luminosité et de chair. L’émotion en revanche est bien là, dans ce rôle de pure jeune fille infirme, qui guérit de sa cécité par amour, un joli cas psychanalytique avant la lettre ! Remplaçant le ténor ukrainien Dmytro Popov, malade, Liparit Avetisyan arrive à point nommé pour camper un Vaudémont d’une belle aisance technique, qui n’abuse pas de la voix mixte pour négocier certains aigus, et qui, comme sa partenaire, parvient à incarner son rôle avec une véritable crédibilité un peu naïve, en transcendant les limites d’une version de concert. Ce qui est moins le cas pour toute une brochette de seconds rôles sagement alignés derrière leurs pupitres sur le côté droit, mais dont les interventions, toujours soutenues par le tapis sonore superbement déroulé par le chef, restent d’une invariable élégance. Sobre Roi René de la basse finlandaise Mika Kares, au cantabile très noble, parfait Michael Kraus, sentencieux à souhait dans le rôle du médecin Ibn‑Hakia, l’orchestre se teintant à ce moment‑là d’un rien d’orientalisme, Robert franc et entier du baryton moldave Andrey Zhilikhovsky...


Happy end, conclusion fermement optimiste, chantée avec un enthousiasme communicatif par l’ensemble des solistes et le chœur (le toujours robuste Chœur philharmonique slovaque), à l’issue de ces 90 minutes qui n’ont pas très bien commencé, mais qui nous font finalement succomber sans réserves au charme naïf de Iolanta.



Laurent Barthel

 

 

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