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La Grave

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Géométrie dans les grands espaces

La Grave
Le Chazelet (Eglise Sainte-Croix)
08/02/2014 -  
Guillaume de Machaut : Rose, liz, printemps, verdure – Dame, de qui toute ma joie vient – Felix Virgo (arrangements Streisfeld)
Iannis Xenakis : Tetora – Tetras
Allain Gaussin : Chakra
Rodericus (Codex Chantilly) : Angelorum psalat (arrangement Otto)

Quatuor JACK: Christopher Otto, Ari Streisfeld (violon), John Pickford Richards (alto), Kevin McFarland (violoncelle)




Depuis 1998, Messiaen, plus que jamais, est chez lui dans les grands espaces de La Grave (1450 mètres), devant les 3983 mètres de la face nord du glacier de la Meije, si cher à son cœur. Avec courage, persévérance et peut-être quand même aussi une dose d’inconscience, Gaëtan Puaud a non seulement créé un festival à la gloire du compositeur (propriétaire dès les années 1930 d’une demeure dans l’Isère toute proche, à Saint-Théoffrey, où il est inhumé), a réussi à y faire venir les plus grands noms de la musique, en a constamment et habilement renouvelé la thématique mais a peut-être surtout su créer une atmosphère à nulle autre pareille, qui attire tous les ans, au-delà des seuls admirateurs de l’organiste de la Trinité, les amateurs de musique contemporaine et les amoureux de la nature. Trois randonnées – ornithologique dans le parc national des Ecrins, glaciaire à la Girose et géo-botanique au col du Lautaret – sont ainsi proposées cette année aux festivaliers, qui sont en outre invités, à l’issue de chaque concert, à partager une tisane de l’amitié dans la petite école maternelle du village. Voilà bien un des rares lieux de l’été musical où la tenue de rigueur est plus sportive que simplement décontractée ou casual!


La dix-septième édition, du 26 juillet au 3 août, est intitulée «Messiaen/Xenakis. La Géométrie des sons». Si le jeune exilé grec, au tournant des années 1940 et 1950, ne fut pas, à proprement parler, l’élève de Messiaen, il assista néanmoins en auditeur libre à ses cours au Conservatoire et bénéficia des conseils de celui qui vit d’emblée en lui, non sans perspicacité, un homme «hors du commun, pas comme les autres» et déclara à son propos: «Quand le public entend du Xenakis, il est foudroyé et laisse aller son enthousiasme.» En somme, deux farouches indépendants, qui, s’étant reconnus, s’estimaient mutuellement. Et, comme le rappelle le programme, toujours très documenté, Messiaen, qui fut l’un des membres du jury de la thèse de doctorat de Xenakis, prononça son discours de réception à l’Institut de France en 1984. Indépendamment même de la relation entre les deux hommes, l’idée de jeter un éclairage sur la musique de Xenakis est tout à fait pertinente, car elle ne jouit peut-être plus tout à fait de la même faveur depuis son décès, voici plus de treize ans.


Au-delà de cette rétrospective Xenakis, les quinze concerts au tarif modique (12 à 25 euros), à La Grave et dans les environs (jusqu’à Briançon, et y compris la station P2 du téléphérique de la Meije, à 2400 mètres), se concentrent sur les quatre grandes œuvres écrites par Messiaen durant la Seconde Guerre mondiale, rendent hommage à l’un de ses élèves, Jean-Louis Florentz, et offrent trois créations de Benjamin Attahir, Michaël Levinas et Luis de Pablo. Enfin, les meilleurs spécialistes – Gérard Condé, Jean-Rodolphe Kars, Lucie Kayas, Alain Louvier, Nigel Simeone... – éclairent le public au fil d’une journée d’étude («Messiaen, un jeune compositeur dans la tourmente: 1939-1945»), d’un table ronde («Xenakis, la géométrie des sons») et de trois conférences.




J. Pickford Richards, A. Streisfeld, C. Otto, K. McFarland
(© Henrik Olund)



Au Chazelet, à 5 kilomètres seulement de La Grave mais 400 mètres plus haut, l’accès se mérite, en voiture puis à pied, à la petite église Sainte-Croix (1865), pimpante après sa récente restauration et offrant des conditions acoustiques – un son amplifié mais pas réverbéré – bien meilleures que la visibilité – réduite pour bon nombre de spectateurs. Le Quatuor JACK, dont le nom résulte de la concaténation des initiales des prénoms de ses membres, a enregistré il y a quelques années l’intégrale de l’œuvre pour quatuor à cordes de Xenakis (Mode Records): rien de plus logique qu’il ait été programmé cette année.


De Guillaume de Machaut à Messiaen, la distance paraît considérable, mais ils se sont retrouvés, à six siècles d’écart, dans une recherche commune sur la rétrogradation et l’isorythmie. Cela étant, l’arrangement par Ari Streisfeld, l’un des deux violonistes du Quatuor JACK, de trois pièces de Machaut laisse perplexe, entre trop grande fidélité à un original peu adapté aux instruments modernes et effets sonores inattendus, voire déplacés. En début de seconde partie, Christopher Otto convainc en revanche davantage avec son arrangement de l’une des cent douze pièces du Codex Chantilly, l’un des plus importants témoignages de l’ars subtilior (seconde moitié du XIVe): il faut croire que la ballade Angelorum psalat d’un certain Rodericus – sans doute le ménestrel Rodriguet de la guitarra –, dont la paternité est plaisamment présentée à l’envers (S. Uciredor), se prêtait mieux à l’exercice.


Après ces libres adaptations vient à chaque fois l’une des quatre œuvres que Xenakis a destinées au quatuor à cordes. Les musiciens américains ont préféré aux brefs ST/4 (1962) et Ergma (1994) les deux œuvres centrales, plus développées: Tetras (1983) et Tetora (1990), dont le titre porte la même signification («quatre» en grec et en dorien), dont la durée est identique (un peu plus d’un quart d’heure, d’un seul tenant) et dont l’énergie vitale impressionne pareillement. Mais Tetras, plus séduisant, spectaculaire et virtuose, riche en surprises obtenues sans la moindre transformation électronique du son, ne s’en différencie pas moins nettement de l’âpre et rude Tetora, dont la tension ne semble jamais devoir se relâcher.



A. Gaussin (© Colin Samuels)


En fin de première partie, le Quatuor JACK avait confirmé qu’il est de ces ensembles que rien n’effraie, comme les Quatuors Arditti, Kronos et, dans la plus jeune génération, Diotima et Béla, en se jetant à corps perdu dans Chakra (1985) d’Allain Gaussin (né en 1943), commande de Radio France dédiée à Harry Halbreich et créée par les Arditti. Venu pour l’occasion, le compositeur, qui fut élève de Messiaen, explique que la partition comprend trois parties enchaînées, les première et troisième consacrées chacune à trois des sept chakras, la partie centrale étant inspirée par un seul chakra, en l’occurrence le cœur. Malgré cette inspiration indienne, ces 11 minutes n’ont cependant pas grand-chose à voir avec un râga. Bien au contraire, les crissements, glissandi et bruitages divers (incluant l’usage de plectres dans une section particulièrement saisissante) ainsi que le climat souvent paroxystique ne sont pas très éloignés de Xenakis, mais aussi du premier Penderecki.


Le site du festival Messiaen au pays de la Meije
Le site des Amis de Xenakis
Le site d’Allain Gaussin
Le site du Quatuor JACK



Simon Corley

 

 

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