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Didon et Enée à Rouen : Chœur et âmes…

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Rouen (Théâtre des Arts)
05/09/2014 -  et 10, 11, 13* mai (Rouen), 14, 15 juin (Versailles) 2014
Henry Purcell : Dido and Aeneas
Vivica Genaux (Dido), Henk Neven (Aeneas), Ana Quintans (Belinda), Marc Mauillon (Magicienne, Marin), Caroline Meng (Première Sorcière), Lucile Richardot (Seconde Sorcière), Nicholas Tamagna (Esprit), Jenny Daviet (Dame d’honneur), Sayaka Kasuya, Sarasa Matsumoto, Ahmed Said, Edwin Condette, Tarzana Foures, Anne-Claire Gonnard, Elodie Chan, Antoine Helou (danseurs et acrobates)
Orchestre du Poème Harmonique, Chœur accentus - Opéra de Rouen Haute-Normandie, Vincent Dumestre (direction musicale)
Cécile Roussat, Julien Lubek (mise en scène, chorégraphie, décors, costumes), Marco Gingold (lumières)


(© Jean Pouget)


Encore une prise de rôle rouennaise pour Vivica Genaux. Après Carmen en 2012 dans une mise en scène de Frédéric Roels, directeur général de l’Opéra de Rouen, là voici dans les tourments affectifs d’une autre figure de femme sacrificielle : Didon, soutenue par Le Poème Harmonique et une partie du chœur Accentus, ensembles en résidence dans ce même opéra.


Lors de la journée du 11 avril qui lui était consacrée sur les ondes de France Musique, Vivica Genaux insistait sur son amour pour les rôles de femmes blessées. On la croit lorsqu’on l’entend vivre sa reine de Carthage : indépendamment du tube bouleversant “When I am laid in earth” qu’elle livre “face public”, sans un geste, son premier air “Ah ! Belinda, I am prest with torment” révèle une densité d’interprétation, pourtant fort sobre.


Dans cette production, Didon sera moins mythologique que le voulait Virgile au livre IV de L’Enéide. Didon sera une reine de cœur servie par un timbre très pur, une technique privilégiant les piano, les sotto voce : en un mot, la douceur. Elle vit, aime, nous émeut mais sans scansion “baroquisante”. Son juste transport se traduit en musique par une légèreté (au sens noble) mélodique qui fait ressortir la grande éloquence, volontairement édifiante, du texte de Tate.


Cela ne veut pas dire que la prise de rôle est sans fougue : Vivica Genaux, qui l’avait montré dans Carmen, sait incarner la colère et ses blessures corrélées. Pour preuve, le poids vocal et scénique de son “Away! Away!” qu’elle adresse à Enée qui vient annoncer qu’il part obéir à Jupiter...puis que, finalement, il reste. On n’abandonne pas une Reine, on n’en a même pas l’idée, on n’attriste pas une Reine, on ne vient pas lui énoncer ces sortes de choses lorsqu’elle aime et qu’elle s’est donnée, puis si on veut partir, on part même si, elle, aime « “au-dessus” et voudrait bien garder le fou qui songe à la quitter : Vivica Genaux dit tout ça en un seul mot avec une grâce naturelle, drapée dans les costumes classico-modernes de Cécile Roussat et de Julien Lubek.


Dans l’œuvre, le couple mythique est amoureux dès le lever de rideau. L’amour, ou Cupidon archer, est le sujet central de la mise en scène. Il passe pendant l’Ouverture danseur-pantomime, il repasse durant la représentation, tour à tour espion dansant, trapéziste-acrobate figurant les élans amoureux entre Didon et Enée, Cupidon messager, espiègle, tourmenteur. Personne silencieux, il se rend essentiel dans cette vision Roussat/Lubek.


Pour donner une indication générale sur le travail scénographique des deux metteurs en scène, la mer, les flots, des créatures sous-marines, les îlots rocheux, la montagne solitaire et anguleuse au sol baignent dans un ciel où la menace permanente de l’orage, les circonvolutions de trapèzes, parfois lunaires, forment le cadre de l’idylle.


Les chorégraphies-ballet, acrobatiques ou chantées maintiennent, dans ce cadre, une ambiance qui fait de l’étrangeté le personnage invisible de l’ouvrage.


Une aubade instrumentale sur scène par l’une des danseuses, des acrobates arachnéens composant la suite de la pieuvre-Magicienne, des sirènes-sorcières chantantes en duo, suspendues dans les airs, ajoutent tour à tour du mouvement et de l’onirisme à des scènes traditionnelles de la mythologie ou de l’opéra. L’alliance des méchants contre le bonheur des puissants, le feu des amants contre les impératifs du Ministère : autant de sujets canoniques qui supportent qu’on les adapte scéniquement de manière originale.


Mais derrière cette originalité, nous retrouvons également les grandes exigences du Poème Harmonique lorsqu’il décide de représenter un opéra et de choisir un metteur en scène : précision technique, utilité scénique et science historique.


Autrement dit, de la fosse au plateau, avec Vincent Dumestre, on ne fait jamais d’écarts afin de créer du renouveau pour nourrir l’aujourd’hui : on recrée la nouveauté inhérente à l’ouvrage.


Ainsi, la mise à mort chorégraphiée du monstre à la tête sanglante, la danse du Marin sont des moments où l’on rejoint pleinement la pantomime baroque, l’art de la caricature aussi, par les aspects comiques insérés dans les décors-costumes : le monstre est extravagamment hybride (avec des ouies en oreille d’éléphant, une moustache de poisson-chat...)


Les voix sont toutes de haute qualité : la Belinda d’Ana Quintans est précise, sans pathos, sans état d’âme, vocalement claire dès le premier air ouvrant l’opéra “Shake the cloud from off your brow”, le duo des sorcières Caroline Meng et Lucile Richardot coule de source, rien n’est inégal en terme d’échanges vocaux sur le plateau.


On aime beaucoup Henk Neven, Enée contraint au départ, dans ses hésitations très remarquablement mises en voix, car il donne alors une lecture vocale du personnage pour une fois sinon torturée, du moins, humaine (timbre chaleureux, inflexions sensibles...). On l’aime aussi pour son port hautement digne de fils de déesse, fort bien mis en lumière par Marco Gingold, par exemple, lorsque le bateau s’éloigne et que Didon prend sa funeste décision. Les oreilles et les yeux s’émerveillent surtout du très bon acteur/danseur et chanteur aux phrasés dynamiques impeccables : Marc Mauillon, pour les grands airs de la magicienne, pour sa danse du Marin.


Le Poème Harmonique et Vincent Dumestre maîtrisent l’art de la locomotion musicale : aucune inertie, jamais de latence. Pourtant, les phrases respirent, le jeu est toujours en mouvement. Aucune routine baroquisante avec renflements hypertrophiés et d’hyperactivité frénétique obligés. Instrumentalement, on peut louer la haute technique du lié-détaché, de l’osmose bois/cordes et surtout noter le superbe continuo : virginal, guitares, viole de gambe, harpe dont la majorité à cordes pincées sert une émotion particulière pour l’accompagnement des airs.


Le zénith de cette production demeure la petite vingtaine de chanteurs, tout discrets, debout en fosse, derrière les musiciens du Poème : le Chœur accentus - Opéra de Rouen préparé par David Bates. Toutes les interventions du chœur, manière antique, commentant ou ponctuant les scènes édifiantes du drame, sont admirables : nuances ultra soignées, équilibre parfait des voix, départs en un même souffle, ensemble solidaire, prononciation unique des finales ou des consonnes, voix aux musicalités raffinées.


Retenez les dates des reprises futures avec une distribution quasi-analogue, notamment les 14 et 15 juin à l’Opéra royal de Versailles et pour la saison prochaine à Bruxelles. Ce Purcell simplement acrobatique et superbement choral mérite tout l’intérêt d’un public qui serait lassé des ordinaires démonstrations musicales et scéniques qui retirent trop souvent à l’œuvre sa cohérence limpide.



Pauline Guilmot

 

 

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