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Concerto pour orchestre

Baden-Baden
Festspielhaus
03/14/2014 -  
Franz Liszt : Orpheus
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano et orchestre n° 4, opus 58
Richard Strauss : Ein Heldenleben, opus 40

Radu Lupu (piano)
Staatskapelle Dresden, Christian Thielemann (direction)


R. Lupu, C. Thielemann (© Stephanie Schweigert)


Lors d’un gala Wagner donné dans ce même Festspielhaus l’an dernier, on était resté sur le souvenir d’une Staatskapelle de Dresde en relative méforme. Mais cette fois il n’y aura pas de mauvaise surprise, malgré la gestique toujours aussi peu déchiffrable de Christian Thielemann. Sans doute en hommage implicite à la battue allusive d’un Wilhelm Furtwängler la soirée débute ainsi par une sorte de flageolement de baguette aussi peu précis que possible, incertitude sybilline qui se traduit surtout, assez logiquement, par une première attaque incertaine colorée d’une petite fausse note du cor. Heureusement, ce sera le seul instant techniquement défectueux, Thielemann retrouvant vite un meilleur niveau, même si ses constants moulinets des poignets et sa curieuse façon d’agiter sa longue baguette de bas en haut seraient sans doute de nature à déstabiliser plus d’une phalange simplement moyenne.


On n’entend plus très souvent les poèmes symphoniques de Liszt dans nos programmations. Sans doute parce qu’il y a trop de musiques à programme de la même période qui les éclipsent en qualité d’inspiration, mais pas forcément en savoir-faire. Orphée constitue en tout cas une bonne pièce de début de soirée, avec ses plans sonores variés et ses petits détails d’orchestration raffinés. Description du personnage mythologique d’Orphée davantage que narration d’une anecdote, cette œuvre courte reste relativement statique mais crée de belles ambiances, dont une longue exposition initiale qui met logiquement en vedette les deux harpes. Thielemann coordonne tout cela en ne donnant pas toujours l’impression de savoir clairement où il va, mais les soli instrumentaux sont tellement beaux (dont un hautbois extraordinaire) que l’on ne s’ennuie pas.


Avec l’entrée de Radu Lupu, qui se dirige sans hâte vers son habituelle chaise posée devant le piano, la tension va monter instantanément de quelques crans. Dans le Quatrième Concerto de Beethoven c’est lui qui prend les commandes, à la fois en tant que soliste et presque... en tant que chef, tant sa présence musicale est impérieuse. Une hégémonie que Thielemann ne lui conteste d’ailleurs pas, devenant le plus souvent un accompagnateur constamment attentif (rôle plus effacé, mais où il a toujours excellé). Tout repose ici sur la personnalité du soliste, tellement forte et assurée que l’inspiration beethovenienne aura rarement paru à ce point d’un seul tenant, arche construite sur les trois mouvements avec une continuité extraordinaire. Il n’est plus question de technique pianistique ou de célérité digitale, tant le son paraît modelé en faisant oublier le contact même des doigts sur les touches. L’éventail de nuances paraît immense alors même que ce piano ne sonne jamais très fort, et encore moins brutalement. Et on ne peut rêver meilleur faire-valoir pour cet instrument qui semble pétri à pleines mains comme de la glaise, que les timbres mordorés et subtils d’une Staatskapelle de Dresde totalement subjuguée, à l’écoute, prête à réagir en osmose. La salle retient son souffle d’un bout à l’autre, ce qui nous vaut même un sublime Andante con moto dardé au-dessus du silence, sans la moindre toux parasite. Inoubliables moments, salués ensuite par de très longs applaudissements qui ne parviennent malheureusement pas à obtenir du pianiste roumain le moindre bis. Frustrant !


En seconde partie Une vie de héros est l’un des chevaux de bataille favoris de la Staatskapelle de Dresde, restée assurément le meilleur orchestre de tradition straussienne au monde. En revanche Christian Thielemann a enregistré naguère chez Deutsche Grammophon une version discographique de cette Vie de héros qui peut passer pour l’une des pires jamais commises. Mais heureusement cette fois le chef et sa nouvelle phalange semblent avoir trouvé des axes de coopération idéaux, Thielemann se posant autant en maître d’œuvre, pour ce qui est de la coordination des tempi et des grands équilibres, qu’en tant qu’observateur attentif à laisser s’épanouir les sonorités inouïes de son orchestre. Et là on trouve un éventail de beautés instrumentales littéralement vertigineux : hautbois, cor anglais, flûtes, clarinettes, un aréopage de cors aux sonorités d’un fondu grisant (avec en tête d’équipe un jeune virtuose qui possède exactement les couleurs straussiennes requises : il s’appelle Jochen Ubbelohde, et mérite d’être cité comme l’un des atouts essentiels d’une aussi belle réussite d’ensemble)... )... N’oublions pas au passage l’énergie et la souplesse des phrasés de Yuki Manuela Janke, très à l’aise dans le rôle violonistique de la compagne du héros. Et Thielemann lui-même n’est pas en reste, incitant les pupitres du quatuor à s’écouter minutieusement, à phraser idéalement ensemble, à respecter aussi les interventions des vents quand elles deviennent stratégiques. Magnifiée par l’acoustique très précise du Festspielhaus de Baden-Baden voilà une interprétation de référence d’un poème symphonique trop souvent joué de façon un peu démonstrative et ronflante et qui ici prend tout son sens : à la fois un exercice distancié de narration orchestrale et une sorte de concerto pour orchestre post-romantique où chaque pupitre va pouvoir trouver ses moments de gloire. Magnifique retour en forme, en tout cas, d’une phalange décidément particulière voire inimitable.



Laurent Barthel

 

 

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