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As de cœur, dame de pique... il faut choisir !

Zurich
Opernhaus
04/06/2014 -  et 11, 13, 16, 27 avril, 3, 6, 11, 18 mai 2014
Piotr Ilyitch Tchaïkovski: La Dame de pique, opus 68
Martin Zysset (Tchekalinski), Tomasz Slawinski (Sourine), Alexey Markov (Comte Tomski), Aleksandrs Antonenko (Hermann), Brian Mulligan (Prince Eletski), Tatiana Monogarova (Lisa), Doris Soffel (La Comtesse), Anna Goryachova (Paulina), Alexandra Tarniceru (Macha), Julia Riley (La Gouvernante), Kristofer Lundin (Tchaplitski), Alexei Botnarciuc (Namourov), Alessandro Fantoni (Le Maître de cérémonie)
Chor der Oper Zürich, Jürg Hämmerli (préparation), Philharmonia Zürich, Jiri Belohlavek (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène), Christian Räth (assistant à la mise en scène), Michael Levine (décors), Brigitte Reiffenstuel (costumes), Robert Carsen, Franck Evin (lumières), Philippe Giraudeau (chorégraphie)


(© Monika Rittershaus)


L’Opernhaus de Zurich, qui vient d’être nommé « Compagnie lyrique de l’année 2014 » dans le cadre des « International Opera Awards » décernés à Londres, a étrenné une nouvelle production de La Dame de pique des plus exaltantes. Le mérite en revient tout d’abord à une somptueuse distribution vocale, à majorité russophone. Dans le rôle d’Hermann, Aleksandrs Antonenko ne laisse rien à désirer, ou presque, très certainement le meilleur interprète du personnage aujourd’hui. Le regard hagard, comme halluciné, se déplaçant à pas feutrés, apparaissant là où on ne l’attend pas, il incarne à merveille le marginal décrit par Pouchkine puis mis en musique par Tchaïkovski, l’obsédé par l’amour et le jeu, à la psychologie tourmentée. Vocalement, on admire sa puissance et sa vaillance, son émission sûre et son timbre métallique, le seul regret étant peut-être l’absence de nuances. Malgré quelques soucis d’intonation et un registre aigu un peu dur, Tatiana Monogarova campe une Lisa aussi intense qu’émouvante, livrant un duo final avec Hermann des plus enflammés. Après avoir chanté Carmen à de nombreuses reprises à Zurich dans les années 1990, Doris Soffel revient sur la scène de l’Opernhaus, cette fois en Comtesse fantomatique et altière, qui, lorsqu’elle enlève sa perruque pour laisser apparaître de longs cheveux blancs, offre certainement le moment le plus fort de la soirée. Il convient aussi de relever les magnifiques prestations d’Alexey Markov en Comte Tomski et de Brian Mulligan en Prince Eletski, deux interprètes au chant élégant et au « legato » incomparable, sans oublier le chœur, dont chaque intervention est un régal.


Sous la direction inspirée de Jiri Belohlavek, le Philharmonia Zürich délivre des accents vibrants et passionnés, mais sans jamais couvrir les chanteurs. Si le chef adopte des « tempi » plutôt lents, la tension dramatique n’en souffre pas et on goûte avec plaisir à cette lecture tout à la fois précise et contrastée, fine et lyrique. Le metteur en scène Robert Carsen, dont on retiendra, pour l’anecdote, que La Dame de pique est le premier opéra sur lequel il a travaillé, alors qu’était tout jeune assistant, propose une vision du chef-d’œuvre de Tchaïkovski particulièrement sombre et morbide, mais d’autant plus intense et passionnante. Trois parois suggèrent l’enfermement et la claustrophobie, et seuls quelques accessoires viennent remplir le plateau, des tables de jeu et des chaises, puis un grand lit pivotant sur lui-même, laissant apparaître la comtesse couchée, puis se retrouvant vide lors de la rotation suivante. La comtesse et ses trois cartes mystérieuses ne seraient donc qu’une hallucination d’Hermann ? La question est posée, mais le metteur en scène se garde bien d’y répondre. Sa production est entièrement axée sur le personnage d’Hermann, qui, décidant au départ d’utiliser la comtesse pour devenir riche et pouvoir épouser Lisa, va finalement utiliser la jeune fille pour tenter de percer le secret des trois cartes. Ce faisant, il choisira la dame de pique plutôt que l’as de cœur... Si ce spectacle n’est peut-être pas le plus abouti de Robert Carsen, il fascine néanmoins par sa forte puissance d’évocation et son atmosphère lugubre. Après Zurich, ce sera au tour de l’Opéra national du Rhin, coproducteur, de l’accueillir.



Claudio Poloni

 

 

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