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Double anniversaire

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
03/13/2014 -  
Gioacchino Rossini : Guillaume Tell: Ouverture
Ernest Chausson : Poème de l’amour et de la mer, opus 19
Alexandre Scriabine : Symphonie n° 3 en ut mineur, opus 43, «Le Divin Poème»

Bernarda Fink (mezzo-soprano)
Orchestre national de France, Riccardo Muti (direction)


R. Muti


Que ce concert était attendu! En effet, celui-ci marquait au jour près les quatre-vingts ans de l’Orchestre national de France, celui-ci ayant donc donné son premier concert le 13 mars 1934 dans la salle de l’ancien Conservatoire sous la direction de son premier chef, Désiré-Emile Inghelbrecht, dans un programme entièrement dédié à la musique française (les Nocturnes de Debussy, le Poème de Chausson avec Henry Merckel, violon solo de l’orchestre, Les Djinns de Franck, Saint Julien l’Hospitalier de Camille Erlanger et le Prélude de l’acte III d’Ariane et Barbe-Bleue de Dukas). Mais, un anniversaire pouvant en cacher un autre, le concert de ce soir célébrait également, à deux jours près, le premier concert que l’Orchestre national de France a donné sous la direction de Riccardo Muti, le 11 mars 1980: au programme, la Trente-quatrième Symphonie de Mozart, Le Tricorne de Falla et la Quatrième Symphonie de Schumann.


Depuis cette date, et bien que n’ayant dirigé le National qu’à cinq reprises entre 1980 et 1995, Muti est depuis revenu régulièrement à sa tête, ayant notamment dirigé de mémorables concerts en ouverture du festival de Saint-Denis dédiés aux grandes œuvres religieuses de Cherubini (la Grande Messe solennelle, la Messe de Chimay ou le Requiem à la mémoire de Louis XVI), un non moins vibrant Requiem de Verdi sans oublier, au Théâtre des Champs-Elysées cette fois-ci, des programmes souvent originaux permettant d’entendre d’éclatants Pins de Rome de Respighi, de tonitruants Carmina burana d’Orff ou un formidable florilège consacré à la musique espagnole. Autant dire que, devant le succès des éditions passées et de la ferveur des musiciens du National face à cette baguette, le public se bousculait avenue Montaigne, les visages des anonymes croisant ceux des grandes soirées.


Premier étonnement de ce concert: le programme. Certes, Riccardo Muti ne choisit pas souvent la facilité et l’entendre diriger un concerto pour piano de Mozart avant une symphonie de Brahms fait presque figure de rareté. Ainsi, lorsqu’il met à l’affiche une œuvre connue, c’est couplée à une pièce plus confidentielle: souvenons-nous, là aussi, de cette méconnue Messe solennelle de Berlioz qui succéda en avril 2007 à la superbe interprétation donnée par Patrick Messina du Concerto pour clarinette de Mozart (voir ici)! Lorsqu’il dirige les Carmina burana, c’est après avoir donné la Deuxième Symphonie d’Honegger. Quand il choisit la Messe en mi bémol de Schubert, c’est après avoir donné des œuvres rarissimes de Porpora et Cherubini. Arrêtons là les exemples et regardons les œuvres à l’affiche ce soir. Œuvres typiquement mutiennes pourrait-on dire puisque Rossini est depuis longtemps un compagnon du chef napolitain et qu’il dirige Scriabine depuis des années: outre une intégrale des Symphonies enregistrée à la fin des années 1980 avec l’Orchestre de Philadelphie, il a récemment donné (le 7 juin 2013), avec l’Orchestre symphonique de Chicago dont il est désormais chef titulaire, un programme où se côtoyaient la Quarante-huitième Symphonie de Haydn, le Concerto pour hautbois de Martinů> et la Troisième Symphonie de Scriabine. Pour autant, on aurait bien de la peine à définir le fil conducteur du programme de ce soir...


Acclamé dès son entrée sur scène, Riccardo Muti, arborant toujours autant de prestance en dépit de cheveux qui commencent à grisonner légèrement –il est né en 1941 –, lance le National dans la célèbre Ouverture de Guillaume Tell de Rossini. D’emblée, tout est là: profondeur du solo de violoncelle, douceur du cor anglais, caractère mutin de la flûte, bourrasques et cavalcade des cuivres... Musiciens et public sont conquis au point que les bravos et hourras qui fusent au moment des saluts se doublent de quelques demandes de spectateurs pour que cette pièce soit donnée en bis.


Changement de tonalité et de climat pour le rare Poème de l’amour et de la mer de Chausson, que Muti a enregistré chez EMI. Boléro noir sur robe rouge éclatant, Bernarda Fink délivre un chant mélancolique à souhait même si la prononciation du texte français est perfectible en plus d’une occasion. Mais quelle intelligence dans le chant de la deuxième partie en particulier, notamment dans le passage «Le temps des lilas et le temps des roses ne reviendra plus», empli de désespoir! Même si l’on peut regretter que l’orchestre, pourtant très bien conduit, couvre par moment la soliste, on retiendra surtout la maestria avec laquelle Riccardo Muti tire toute la finesse possible de cette partition qui jouit soudain d’une formidable clarté, l’intervention de chaque soliste – mention spéciale à Sabine Toutain à l’alto ainsi qu’au violoncelle de Jean-Luc Bourré, déjà fortement sollicité dans Rossini – revêtant alors un caractère à la fois naturel et irréel qui ne pouvait que combler un public pour qui, à n’en pas douter, cette œuvre était peu connue.


Deuxième étonnement de ce concert: la Troisième Symphonie (1904) de Scriabine. Rarement donnée, elle a néanmoins été interprétée en ces mêmes lieux, le 4 mai 2005, par Riccardo Muti qui dirigeait alors les Wiener Philharmoniker, nouvelle preuve de l’attachement que porte le chef à cette symphonie titanesque non par ses proportions (entre 45 et 50 minutes) mais bien davantage par le foisonnement d’idées et la démesure orchestrale (six trompettes, huit cors...). On peut faire la fine bouche et regretter que, pour un «concert anniversaire», le public n’ait pas droit à une œuvre-phare du répertoire, notamment français (La Mer, Daphnis et Chloé – comme ce fut le cas pour le cinquantenaire –, la Symphonie en ré mineur de Franck...); pour autant, nous sommes dans le même temps les premiers à regretter que les programmes ne sortent que rarement des sentiers battus et affichent une fois encore Mozart, Beethoven, Brahms ou Mahler. Profitons donc de ce qu’un chef sachant pouvoir attirer un large public sur sa seule notoriété joue de telles œuvres, surtout quand il les défend de façon aussi ardente. Car Muti sait où il va! Dès les premières mesures, après que les cuivres ont donné de la voix, Riccardo Muti lance les cordes dans une mélodie au motif haletant dont la symphonie ne se départira jamais, ce thème revenant peu avant la conclusion du troisième et dernier mouvement. La vélocité de l’orchestre est mise à rude épreuve mais il s’en tira magistralement (superbes Luc Héry au violon et Marc Bauer à la trompette), galvanisé par un chef qui fait ressortir les liens que l’on peut entendre entre cette œuvre et, par exemple, la Deuxième Symphonie de Rachmaninov. On peut sourire au caractère martial de certains passages (avec force timbales et éclats cuivrés) ainsi qu’à une fin de symphonie qui n’en finit pas de finir mais force est de constater que la performance orchestrale éclipse ces réticences.


Une fois que le dernier accord a retenti, l’ovation salue les artistes de la soirée, au premier rang desquels Riccardo Muti qui, beau joueur, salue chaleureusement l’Orchestre national de France (après tout, c’est bien lui la vedette de la soirée). Troisième et dernier étonnement pour ce concert: pas de bis alors que Riccardo Muti aurait très bien pu diriger une belle ouverture de Berlioz ou de son cher Cherubini, l’anniversaire manquant quelque peu le côté festif que l’on était en droit d’attendre. En guise de conclusion musicale, le chef préféra adresser quelques mots en italien à la salle, rappelant notamment ses débuts à la tête du National et soulignant surtout le rôle éminent de l’orchestre comme ambassadeur de la culture française en Europe et de par le monde. Nul doute que cet hommage aura fait chaud au cœur de tous les musiciens et de tous les mélomanes alors que des rumeurs de fusion entre orchestres parisiens ont pu courir ici ou là. La toute nouvelle direction de Radio France, invitée pour l’occasion au premier rang de la corbeille, n’aura pu qu’être attentive à un tel appel, de la part d’un tel artiste. A l’année prochaine, maestro – du moins, on l’espère!


Le site de Riccardo Muti
Le site de l’Orchestre national de France



Sébastien Gauthier

 

 

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