About us / Contact

The Classical Music Network

Strasbourg

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le Hollandais fait naufrage

Strasbourg
Opéra national du Rhin
01/26/2014 -  et 28 janvier*, 1er, 3, 8 (Strasbourg), 20, 22 février (Mulhouse)
Richard Wagner : Der fliegende Holländer
Jason Howard (Le Hollandais), Kristinn Sigmundsson (Daland), Ricarda Merbeth (Senta), Thomas Blondelle (Erik), Eve-Maud Hubeaux (Mary), Gijs van der Linden (Le timonier de Daland)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)
Nicolas Brieger (mise en scène), Raimund Bauer (décor), Andrea Schmidt-Futterer (costumes), Friedrich Rom (lumières), Philipp Haupt (vidéos)


(@ Alain Kaiser)


Début brutal ! Marko Letonja est entré si discrètement en fosse que personne ne l’a aperçu. La salle s’éteint d’un coup et l’orchestre commence ex abrupto, devant une scène immédiatement visible à travers un rideau de tulle peint (beau paysage de mer démontée, traité en grisaille). Pendant l’Ouverture, longue pantomime, les premières énigmes affleurent. On aperçoit un dispositif industriel, cabine vitrée sur passerelle transversale, l’ensemble coulissant sur des rails qui s’interrompent à l’avant-scène. Un vague aspect d’installation portuaire ou de gare de triage... Beaucoup de silhouettes par terre, qui remuent en cadence sous une bâche en plastique : évocation d’une mer en furie, version spectacle de patronage à gros effectifs. Puis la figuration se dévoile, par apparitions successives, mixte et grise, tantôt façon Beckett, tantôt un peu ghetto avec signe distinctif jaune, tantôt ambiance Auschwitz avec beaucoup de valises et de chaussures qui traînent (mais pas en tas ces dernières : suspendues aux cintres, toutes féminines, sorte de mobile sur lequel le personnage d’Erik se livre à des exercices de tir...).


Le passage à l’action chantée ne clarifie rien. Pas d’apparition de bateaux. Des uniformes indéchiffrables. Un Daland qui déambule et dont on ne saura jamais le métier (ex-geôlier de camp? patron d’écluse? gérant de drugstore?). Un veilleur de nuit (ou pilote? mais de quoi?) obnubilé par des pulsions auto-érotiques. Un Hollandais qui arrive à pied, en même temps qu’une série de plateaux coulissants garnit le plancher de corps allongés. On nous présente ensuite une Senta dont le quotient intellectuel ne semble pas maximal, obnubilée par de vieilles histoires pendant que s’agitent autour d’elle de jeunes mères de famille en devenir, symboles de la société de consommation naissante des années 1950, encombrées d’énormes landaus qu’elles poussent et tirent en cadence. Au dernier tableau le chœur masculin agite des chopes garnies d’une mousse phosphorescente et tente de réveiller des fantômes entassés dans une sorte de chambre à gaz. Les spectres se réveillent enfin, coiffés de têtes de rats (une allusion à Der ewige Jude, film de propagande nazie? de notre part une simple hypothèse, après avoir rentré a posteriori quelques mots-clés sur un moteur de recherche). Destin apparemment tragique de Senta à la fin, enfermée dans la même cabine vitrée et manquant manifestement assez vite d’oxygène.


Curieuse production, qui donne tout le temps l’impression qu’il aurait mieux valu lire le mode d’emploi avant. Mais celui-ci figure-t-il au moins dans le programme? A la fin de l’interview du metteur en scène, après une profusion de banalités, on finit par trouver la clé : «L’univers bourgeois est confronté au problème fondamental de la diaspora. [...] L’irréparable fait partie de notre héritage socio-culturel, à l’égard duquel même les générations suivantes sont obligées de se positionner. [...] Périodiquement - "tous les sept ans" -, un événement touche la conscience de tous et rejette sur la terre ferme de notre vie réelle la faute ancienne [...]».


Sur le papier, le propos paraît porteur. Sur scène, il ne fait que piétiner dans l’incohérence, plombé de surcroît par de terribles maladresses. Direction d’acteurs approximative voire prosaïque, costumes difficiles à porter (le look de Senta décroche le pompon : petite robe qui épaissit la taille, bas à varices, perruque blonde à frange, maquillage outrancier qui accentue la vacuité du regard...), espaces de jeu trop petits et incommodes, inutilement encombrés... Plastiquement, lumières soignées, toiles peintes poétiques, costumes en camaïeu de gris et bleu, le dispositif ne manque pas d'intérêt, mais isolément il ne peut pas sauver grand-chose. Oublions aussi de bien pauvrettes vidéos.


Après quelques mois d’absence, Marko Letonja retrouve «son» orchestre, en piteux état. En fait, personne ne paraît vraiment en forme, à moins qu’il ne s’agisse d’un relâchement d'attention suite à une première semble-t-il plus réussie. Certes la fosse est trop petite, l’acoustique sèche, l’entassement des instruments à la limite du supportable, avec un terrible déficit d’enrobage en cordes graves. En tout cas le résultat donne de l’œuvre une perception désatreuse : un opéra romantique hybride, construit de bric et de broc, voire à moitié raté. Le Vaisseau fantôme, c’est un peu cela, mais ce peut être aussi tellement mieux que cela!


Sur le plateau, la soirée n’est pas faste non plus. Les chœurs masculins s’en tirent bien, les dames plus difficilement (mais avec un landau intercalé entre chaque chanteuse on finit par disperser beaucoup les voix). Jason Howard fut ici même un Wotan mieux que présentable, mais aujourd’hui le matériau bouge, graillonne et grince à tel point qu’il n’est plus guère possible de construire un personnage avec un instrument pareil. Ricarda Merbeth dispose de meilleurs atouts, mais sa Ballade, succession de cris poussifs, n’est pas de bon augure. Ensuite la ligne de chant devient plus stable, mais on attendra en vain une quelconque flamme. Kristinn Sigmundsson est vocalement usé, ça on le sait, mais au moins son Daland parvient-il à imposer sa présence, à défaut d’une personnalité que la mise en scène de toute façon lui refuse.


On vit parfois à l’opéra des soirées maudites. Rares, heureusement. Dans ce cas le chroniqueur se sent acculé au rôle désagréable d’un Beckmesser, occupé à marquer chaque problème d’une barre sur un tableau noir. Il y a un moment où il faut bien s’arrêter... faute de place sur le tableau! Signalons quand même deux consolations: l’Erik modèle de Thomas Blondelle et quelques superbes phrases de la Mary d’Eve-Maud Hubeaux, une chanteuse qui mérite un bel avenir.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com