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Pour elle et pour lui Paris Opéra-Comique 01/10/2014 - et 12, 14, 16, 18, 20 janvier 2014 Léo Delibes: Lakmé
Sabine Devieilhe (Lakmé), Frédéric Antoun (Gérald), Elodie Méchain (Mallika), Paul Gay (Nilakantha), Jean-Sébastien Bou (Frédéric), Marion Tassou (Ellen), Roxane Chalard (Rose), Mistress Bentson (Hanna Schaer), Antoine Normand (Hadji), Laurent Deleuil (Un Domben), David Lefort (Un marchand chinois), Jean-Christophe Jacques (Le Kouravar)
Chœur accentus, Orchestre Les Siècles, François-Xavier Roth (direction)
Lilo Baur (mise en scène)
F. Antoun, S. Devieilhe (© Pierre Grosbois)
Histoire d’amour impossible sur fond d’exotisme colonial et de fanatisme religieux, Lakmé triompha partout dans le monde, grâce à des airs très flatteurs pour les voix, à commencer par celle de l’héroïne, dont l’air des « clochettes », avec ses vocalises et ses notes suraiguës, entra aussitôt au répertoire des coloratures. Mais celles-ci doivent prendre garde : si les Clochettes, comme l’entrée de Lakmé, sont naturellement destinées à des voix haut perchées, le reste du rôle appelle un soprano lyrique au médium charnu.
« Révélation artiste lyrique » aux Victoires de la musique 2013, consacrée récemment par un disque Rameau, déjà Lakmé à Montpellier, Sabine Devieilhe a-t-elle aujourd’hui les moyens du rôle ? Pour les Clochettes, sans aucun doute, nonobstant une pointe d’acidité dans le cristal du timbre : non seulement elle en brave les dangers, mais elle les interprète, les nuance, en préserve les mystères – de quoi mettre la salle à ses pieds. La technique est sans défaut, avec de beaux pianissimos aigus, le style aussi : voilà du vrai chant français. Il reste que la voix, naturellement modeste, devient trop gracile à partir du médium, qui devra s’arrondir pour assurer la soudure avec l’aigu – on ne peut s’empêcher de trembler pour sa prochaine Reine de la nuit dans le grand vaisseau de Bastille. Ce médium, cependant, gagne progressivement de la substance à partir du deuxième acte et la jeune soprano émeut par la justesse de sa composition, par cette fraîcheur jamais mièvre, cet éveil progressif à l’amour sacrificiel.
Même légèrement indisposé, même s’il néglige trop souvent de chanter piano, Frédéric Antoun séduit par l’homogénéité des registres, la clarté de l’émission, l’aisance de l’aigu, en particulier dans le dernier acte, où, loin de trahir une fatigue, il assume parfaitement la Cantilène et « Qu’autour de moi tout sombre », où le haut de la tessiture est très sollicité. Un Gérald romantique, passionné mais stylé lui aussi, dont la tendresse ne verse jamais dans la suavité douceâtre de certains ténors d’opéra-comique – c’est un soldat, après tout… comme don José. Paul Gay, en revanche, déçoit beaucoup, ne pouvant incarner ni le fanatisme du prêtre ni la tendresse du père tant la voix est écrêtée, avec des aigus systématiquement ouverts, sans parler d’un phrasé hésitant dans les célèbres Stances. On lui préfère, de loin, le Frédéric de Jean-Sébastien Bou, égal à lui-même, timbre riche et chant d’école. Les seconds rôles tiennent leur rang, en particulier le touchant Hadji d’Antoine Normand.
Cette nouvelle production de Lakmé reste malheureusement compromise par la direction et la mise en scène. Sans doute François-Xavier Roth, si heureux dans Mignon, se trouve-t-il victime de ses bonnes intentions : à force de vouloir souligner les couleurs il les assèche, il confond le théâtre et le bruit, occulte la sensualité d’une musique qu’il brutalise de peur de l’affadir. Les Siècles, de leur côté, n’échappent ni à l’approximation ni aux canards – de quoi délégitimer les instruments d’époque... La disposition des musiciens face à la scène, fût-elle un gage d’authenticité, apporte-t-elle d’ailleurs quelque chose ? La production de Lilo Baur, déjà présentée à Lausanne et à Saint-Etienne, pâtit plutôt de la vacuité du propos et ne suscite que l’indifférence. C’est, dans le genre stylisé, ce qu’on voyait autrefois sur les scènes de l’Hexagone, alors que l’œuvre peut se prêter à diverses lectures. Une direction d’acteurs aussi minimale laisse évidemment le chœur, d’ailleurs excellent, sur la route – elle ne flatte pas non plus un Gérald aux dons de comédien limité. Le spectacle se réduit finalement à ses éclairages, plus qu’à son décor – mais la forêt de lianes, au dernier acte, est assez jolie.
Créé en 1883 à l’Opéra-Comique, Lakmé n’y rentre pas vraiment par la grande porte, dix-neuf ans après la production où Natalie Dessay alternait avec Elisabeth Vidal – cela dit, merci encore une fois à Jérôme Deschamps de ressusciter le répertoire de la maison. On continuera, en tout cas, à suivre de très près Sabine Devieilhe, peut-être notre colorature de demain.
Didier van Moere
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