About us / Contact

The Classical Music Network

Baden-Baden

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Un rôle en or

Baden-Baden
Festspielhaus
11/15/2013 -  et 16*, 17 novembre 2013
John Neumeier : Die kleine Meerjungfrau, ballet sur une musique originale de Lera Auerbach
Lloyd Riggins (Le Poète), Silvia Azzoni (La petite sirène), Carsten Jung (Le Prince), Hélène Bouchet (Henriette), Alexandre Riabko (Le sorcier de la mer)
John Neumeier (chorégraphie, décors, costumes et éclairages)


S. Azzoni (© Holger Badekow)


Le ballet La Petite Sirène est né d’une commande officielle danoise. Un sujet national comme ce conte d’Andersen, véritable symbole pour la ville de Copenhague, s’est donc imposé naturellement. John Neumeier en a respecté la trame tout en imposant un point de vue particulier, avec l’implication du poète lui-même dans l’action, à la fois témoin et participant. Ce qui pourrait s’avérer source d’un certain brouillage ne perturbe pas en définitive la narration du conte. Cela dit l’introduction d’un personnage davantage ancré dans une époque définie permet d’infléchir visuellement tout le ballet vers une ambiance de tournant du 19e siècle qui ouvre des perspectives particulières. L’élément marin reste présent mais on y navigue sur un paquebot de croisière, on s’y baigne en maillots de bain une pièce rayés et on joue au golf à chaque escale...


C’est là l’univers futile du Prince, beau jeune homme qui ne parviendra jamais à comprendre les enjeux du drame dont il constitue le principal objet. Tout à la fois proche et maintenu impitoyablement à distance, le personnage de la petite sirène amoureuse est en revanche d’une intensité formidable. John Neumeier lui a inventé un langage chorégraphique original, jouant beaucoup sur l’absence de jambes, ce qui constitue évidemment, en danse, un handicap majeur. Toute la partie initiale du rôle repose sur une grande diversité de portés, de bras en bras, la silhouette de la danseuse paraissant prolongée par des flots de tissu bleu. L’influence de l’illusionnisme naïf des théâtres orientaux est patente, en particulier celle du kabuki japonais, mais John Neumeier a su s’inspirer de ces sources tout en gardant sa créativité propre, combinant ancrages au sol et mouvements ascensionnels avec une incroyable variété d’approches. Ensuite, les premiers pas terrestres de l’héroïne donnent lieu à d’autres variations, sur le thème de la maladresse et de la souffrance, avec même un passage obligé en chaise roulante, là encore source d’émotions intenses. On l’a compris, ce rôle principal de la petite sirène est en or, au sein d’un ballet qui reste par ailleurs d’une physionomie relativement classique, riche en hommages implicites qui peuvent occasionnellement paraître diluer le propos. Les danses de marins, dans une ambiance très «ballets russes», font songer parfois au Train bleu, et le divertissement de la seconde partie rappelle les longues séquences de virtuosité placées en général à cette étape de la soirée dans les ballets de l’école Petipa.


Pour ses créations dramatiques de grand format Neumeier a toujours su très bien s’entourer, mais il a souhaité assumer cette Petite Sirène seul, auteur tout à la fois de la chorégraphie, des costumes, du concept scénique et des éclairages, le tout avec une très grande habileté. On retiendra en particulier le dépouillement de l’ensemble, avec cette surface de la mer évoquée simplement par quelques lignes ondulantes lumineuses suspendues dont la hauteur peut varier à vue. Une idée toute rudimentaire mais qui structure à merveille le dispositif.


Quant à la musique de Lena Auerbach, compositrice d’origine russe, âgée aujourd’hui d’une quarantaine d’années, on peine à la trouver véritablement inspirée mais elle possède des facettes attachantes, malgré ses banalités apparentes. En tout cas elle fournit à la danse des numéros d’une bonne fermeté rythmique, voire quelques beaux épanchement lyriques, soulignés, pour le rôle de la petite sirène, par les phrases ondulantes d’un instrument que l’on peine d’abord à identifier, à mi-chemin entre ondes Martenot (la ressemblance est forte mais pas totale) et scie musicale. Finalement le programme de soirée nous apprend qu’il s’agit d’un Theremin, instrument électronique développé par un ingénieur russe dans les années vingt, et certainement plus connu en Europe orientale, dans un emploi similaire, que nos françaises ondes Martenot. Poétiquement, de surcroît, le fait que l’interprète en joue sans aucun contact, simplement en perturbant par les mouvements de son corps le champ électromagnétique émis par l’instrument, est un concept d’une immatérialité séduisante, idéal pour incarner l’étrangeté d’une voix de sirène.


Les déplacements annuels du Ballet de Hambourg à Baden-Baden, traditionnels depuis la saison inaugurale même du Festspielhaus il a y a 15 ans, bénéficient toujours de mises au point sur place d’une grande qualité, ainsi que de distributions optimales. Cette soirée prestigieuse, à laquelle John Neumeier assiste personnellement comme à son habitude à Baden-Baden, ne fait pas exception : Carsten Jung, danseur toujours aussi puissamment «physique» dans le rôle du Prince, Lloyd Riggins, probable futur directeur de la compagnie, dans le rôle du Poète, et puis surtout la formidable Silvia Azzoni, distinguée en 2008 par un Prix Benois de la danse pour son interprétation du rôle-titre de La Petite Sirène, et qui y demeure totalement bouleversante.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com