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Le cas Gruberová

Baden-Baden
Festspielhaus
11/29/2013 -  
Lieder et Mélodies de Mozart, Schubert, Dvorák et Rachmaninov.
Wolfgang Amadeus Mozart : Le nozze di Figaro, K. 492: «Hai gia vinta la causa» – Der Schauspieldirektor, K. 486: Ouverture – Die Entführung aus dem Serail, K. 384: «Traurigkeit» & «Martern aller Arten» – Idomeneo, K. 366: Gavotte, Passacaille et «D’Oreste, d’Aiace»

Edita Gruberová (soprano), Richard Sveda (baryton), Alexander Schmalcz (piano)
L’arte del mondo, Werner Ehrhardt (direction)


E. Gruberova (© Andrea Kremper)


Chaque automne voit la nomination d’un nouveau bénéficiaire du Prix Herbert von Karajan, distinction décernée par le Festival de Baden-Baden. Sont honorées ainsi des personnalités marquantes de la musique voire de la danse, à charge pour elles en principe de redistribuer le montant de ce prix à des projets qui leur tiennent à cœur, souvent pédagogiques ou de soutien à de jeunes artistes en devenir. Eventuellement le récipiendaire peut avoir eu quelques parcelles de carrière commune avec le défunt Herbert von Karajan, mais évidemment au fil des années ce profil devient de plus en plus en rare.


Pour Edita Gruberová ce fut brièvement le cas. Alors toute jeune soprano émigrée de Slovaquie et quelque peu sous-employée dans la troupe du Staatsoper de Vienne, elle fut auditionnée par le maestro et engagée comme doublure pour une Flûte enchantée à Salzbourg. Finalement la titulaire (la soprano canadienne Louise Lebrun) déclara forfait le soir de la première, qui fut donc assurée par Edita Gruberová. Pour mémoire, cette Flûte enchantée était mise en scène par Giorgio Strehler et l’échec de la production fut tellement cuisant (pour des raisons aujourd’hui obscures) qu’elle ne fut jamais reprise.


Plus de 45 ans de carrière et toujours présente : on pourrait résumer ainsi le profil actuel d’Edita Gruberová, avec aussi ce que cela peut comporter de péjoratif. Car cette façon d’occuper le terrain en dépit des outrages du temps ne laisse pas d’intriguer. Mais quoi que l’on puisse en penser le public suit, continue de s’agglutiner en interminables files d’attente dès qu’une apparition de la diva est annoncée, pour un concert ou un opéra qui seront donnés invariablement, du moins dans le monde germanique, à guichets fermés. Et la ronde sans fin continue : acclamations, standing ovations, petits et gros bouquets lancés par des groupies extasié(e)s... Ce soir-là à Baden-Baden un grand calicot suspendu au balcon d’un loge latérale affiche «Edita Gruberová, votre voix est un cadeau !». Assurément le phénomène Gruberová est à prendre pour ce qu’il est : affectif voire sociétal, davantage sans doute, aujourd’hui, qu’artistique.


En première partie la diva ose rien moins qu’un récital de Lieder avec piano. Escortée d’un pianiste quelconque mais très attentif à sa partenaire (Alexander Schmalcz, apte au besoin à camoufler même quelques incertitudes de mesure voire fugitifs trous de mémoire), l’apparition de la star de la soirée cultive l’intemporel : robe ajustée et scintillante, brushing monumental, posture cambrée et menton conquérant. Mais la voix, malheureusement, abuse bien moins l’oreille que de loin ces grandes manières ne leurrent l’œil. Seul l‘aigu, toujours tranchant, paraît préservé. Le medium existe mais sans substance, et les graves sont émis péniblement, feulements énormes, parfois monstrueux. Récital pour inconditionnels amoureux ou caricature bientôt digne d’un Festival Hoffnung ? On hésite constamment entre ces deux extrêmes, au hasard de phrases péniblement fausses (Suleika II et Delphine de Schubert, grand moment d’errance), de minaudages ridicules (Das Veilchen de Mozart !), mais aussi ça ou là de lignes d’une véritable musicalité, voire de tours de passe-passe vocaux très personnels (une curieuse façon de chanter piano, en fermant presque la bouche et en avalant, au sens propre, le son). Des Dvorák et des Rachmaninov fortement bariolés de couleur locale et d’effets d’un goût parfois moyen, nous rappellent en tout cas les indiscutables aptitudes linguistiques de la diva slovaque, nantie au demeurant d’un charmant accent Mitteleuropa résiduel au cours de son discours de remerciement.


En seconde partie L’arte del mondo s’installe sur le plateau : phalange d’esprit baroque, d’un abord sonore rude et d’une cohésion perfectible, sous la direction à l’emporte-pièce de Werner Ehrhardt. Apparaît d’abord le baryton Richard Sveda, 27 ans, en troupe à Düsseldorf, l’un des artistes qu’Edita Gruberová va soutenir avec le montant du prix qui lui a été décerné. Honnête prestation dans un air du Comte Almaviva des Nozze di Figaro qui paraît cependant relativement terne et court de souffle, en tout cas vite oublié. Edita Gruberová se lance ensuite imperturbablement dans trois airs (deux de Konstanze de L’Enlèvement au sérail et un d’Elettra d’Idomenée) dont les écueils, qu’elle connaît pour en avoir négocié si souvent le moindre contour et la plus petite arête, ne lui posent toujours pas de problème criant. On n’aura pas l’impertinence de comparer ces exploits d’aujourd’hui avec les souvenirs de naguère, mais force est de constater qu’ils demeurent dignes. Duretés d’émission, tensions de tous ordres, disparités de registre, voire franches bizarreries (les ricanements d’Elettra émis comme des aboiements) sont évidemment légion, mais cette fois on a envie de rester quelque peu ébahi par ce qui reste une authentique performance. Bis imprudent (l’air de Suzanne Deh vieni non tardar, dont les graves, plus extrêmes qu’il n’y paraît, brisent cruellement la ligne de chant) à l’issue de cette soirée longuement acclamée par un public aux anges.



Laurent Barthel

 

 

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