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La grande tradition

Paris
Salle Pleyel
11/11/2013 -  et 12* (Paris), 14 (Luxembourg), 17 (Köln), 21 (Wien) novembre 2013
Ludwig van Beethoven : Messe en ut majeur, opus 86 - Symphonie n° 4 en si bémol majeur, opus 60
Dmitri Chostakovitch : Symphonie n°6 en si mineur, opus 54 - Symphonie n°8 en ut mineur, opus 65

Luba Orgonasova (soprano), Kelley O’Connor (mezzo-soprano), Herbert Lippert (ténor), Ruben Drole (basse)
The Cleveland Orchestra Chorus, The Cleveland Orchestra, Franz Welser-Möst (direction)


F. Welser-Möst (© Carl Juste/Iris Collective)


Après Leipzig, Cleveland : la saison orchestrale, à Pleyel, est toujours aussi luxueuse. Depuis la mort de George Szell, l’illustre phalange américaine reste une formidable machine, aux pupitres aussi homogènes que caractérisés, aux sonorités d’un incroyable fondu. Les cordes, par exemple, ont-elles beaucoup à envier à celles de Vienne ou de Berlin ? Franz Welser-Möst entretient ce niveau d’exigence et d’excellence avec un soin scrupuleux de Kapellmeister aux gestes nets et sans apprêt. C’est en effet un chef de tradition, un peu comme un Sawallisch. On n’attendra pas de lui qu’il nous révèle des horizons nouveaux, seulement qu’il perpétue un héritage. Mais il le fait à la fois humblement et magnifiquement, comme l’ont montré ces deux concerts consacrés à Beethoven et Chostakovitch – l’un n’est-il pas, ici aussi, l’héritier de l’autre ?


La Messe en ut majeur n’est pas la Missa solemnis, même si elle l’annonce parfois, alors qu’elle se situe aussi dans le sillage de Haydn – une commande du prince Esterházy, d’ailleurs, pour la fête de sa femme, comme auparavant certaines Messes de l’auteur des Saisons. Le chef autrichien, s’il n’a aucunement délesté l’effectif, évite toute monumentalité – lourdeur ou légèreté ne dépendent guère, de toute façon, du nombre d’exécutants. Cela sonne clair, avance, dans une grande justesse de tempos, avec ce qu’il faut d’énergie et de dramatisation, notamment le « Credo ». Le « Sanctus » et l’« Agnus dei » apportent à la fin quelque chose de plus : un supplément d’âme, une inspiration, qui faisaient jusque là un peu défaut. Côté voix, le chœur, très nombreux, est à l’unisson de l’orchestre, alors que le quatuor soliste n’est que bon.


Bis généreux, une superbe Ouverture Léonore III laisse présager ce que sera, le lendemain, la Quatrième Symphonie, jouée cette fois par des musiciens moins nombreux. Le travail sur la dynamique et la sonorité atteint un degré de précision, de perfection, assez peu commun, de l’Adagio introductif au finale, dont la vivacité exalte – et met presque au bord de la rupture – la virtuosité de l’orchestre. Une lecture cursive, pleine d’alacrité et d’élégance, avec un mouvement lent très construit, où l’émotion garde une sorte de pudeur, un Scherzo à dessein plus élégant qu’éruptif.


Tout cela convient-il à Chostakovitch ? On sait bien, à vrai dire, que deux approches font autorité, depuis que les orchestres occidentaux, à commencer par les américains, se sont emparés de son œuvre – autrement dit depuis le début. D’un côté les Russes, tels Kondrachine ou Mravinski hier, Gergiev aujourd’hui, qui soulignent l’âpreté, la désespérance, la noirceur sarcastique, de l’autre ceux qui, tels Haitink ou Jansons, l’inscrivent dans une tradition très allemande, où la musique reste avant tout forme pure, déconnectée des conditions de sa création – la spécificité des sonorités des orchestres accroît encore cette différence. On se doute aisément que Welser-Möst, quand il dirige Chostakovitch, ne se renie pas. Le premier jour, l’atypique et brève Sixième Symphonie, avec son Largo déchiré suivi d’un scherzo facétieux et d’un Presto d’une piquante légèreté, joue d’abord sur la clarté de la polyphonie, la plasticité de la pâte, dès le Largo où la rigueur de la pensée sublime l’intensité du lyrisme. Le finale tient plus de la parodie que de la grimace, le chef lorgnant à juste titre vers Johann Strauss ou Offenbach. Comment, de toute façon, résister à de telles splendeurs, notamment dans le scherzo Allegro, où la mécanique orchestrale semble presque diabolique ? Le diable, ici, ne se cache peut-être pas là d’où le débusquait Chostakovitch...


Certains, justement, le cherchent en vain dans la Huitième telle que la conçoit Welser-Möst. Certes, on s’y est souvent trompé : cette Symphonie de 1943 n’est pas moins liée aux horreurs et aux douleurs de la guerre – qu’on pourrait aussi bien identifier à celles du stalinisme – que la célèbre Septième « Leningrad ». Loin de célébrer la victoire en fanfare, elle est même plus tragique, avec cette fin chambriste, empreinte d’une sérénité qu’on ne sait trop comment interpréter. Ici encore, le contexte semble s’effacer au profit de la structure. On se gardera bien d’en faire grief à une direction qui nous rappelle que nous tenons là une des partitions les plus élaborées de Chostakovitch, les plus intégrées formellement, les plus fidèles à la leçon beethovénienne, au fond – la Septième péchait par un finale assez convenu. L’Allegro non troppo, par exemple, perd-il tellement de sa terrifiante sauvagerie ? La machine est-elle trop huilée ? Elle tourne, en tout cas, à plein régime, comme la partition elle-même, avec de superbes solos instrumentaux. Si ce n’est peut-être pas pour les bonnes raisons, on n’en sort pas moins fasciné, assommé. Pas de bis : cela vaut mieux, finalement.



Didier van Moere

 

 

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