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Wagner sans Wagner ?

Geneva
Victoria Hall
10/06/2013 -  et 8*, 10 octobre 2013
Ernest Reyer : Sigurd
Andrea Carè (Sigurd), Boris Pinkhasovich (Gunter), Tijl Faveyts (Hagen), Anna Caterina Antonacci (Brunehild), Anne Sophie Duprels (Hilda), Marie-Ange Todorovitch (Uta), Khachik Matevosyan (Un prêtre d’Odin), Nicolas Courjal (Un barde), Nicolas Carré (Rudiger)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Ching-Lien Wu (direction), Orchestre de la Suisse Romande, Frédéric Chaslin (direction)


(© GTG/Vincent Lepresle)


Un jeune homme courageux et héroïque n’hésite pas à braver un cercle de flammes pour réveiller une vierge de son sommeil enchanté. Instantanément, la passion naît entre eux... Siegfried de Wagner ? Non, Sigurd de Reyer ! En cette année du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner et en préambule à La Walkyrie, qui sera à l’affiche au mois de novembre, il faut savoir gré au Grand Théâtre de Genève de sortir des sentiers battus et d’oser programmer un opéra français largement méconnu, inspiré des mêmes légendes médiévales – germaniques et nordiques – que Le Ring.


Ernest Reyer (Rey était son vrai nom, mais il a ajouté les deux dernières lettres en hommage à Wagner) a commencé la composition de Sigurd en 1862. Quand bien même la première version a été achevée en 1867 déjà, l'œuvre a dû attendre de nombreuses années avant de pouvoir être jouée en intégralité. En effet, le projet de monter l'ouvrage à l'Opéra de Paris ayant échoué, Sigurd a été créé au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles en janvier 1884. Dans l'année qui a suivi, il a été représenté avec beaucoup de succès à Covent Garden, à Lyon, à Monte-Carlo et, finalement, à Paris en juin 1885, avant La Nouvelle-Orléans et la Scala. Il faudra attendre 1896 pour le voir entrer au répertoire du Grand Théâtre de Genève, avec trente représentations jusqu’en 1912. Les trois soirées qui viennent d’être données au Victoria Hall en version de concert comblent donc une absence de cent ans. Même s’il puise aux mêmes sources d’inspiration que le Ring, Sigurd ne s’apparente guère à la musique de Wagner et s’inscrit davantage dans la lignée du répertoire français du XIXe siècle ; on pense à Berlioz (autre compositeur vénéré par Reyer) et à ses Troyens, mais aussi à Gluck, voire à Weber. Quoique de facture très inégale, avec un côté pompeux, survolté et « bruyant », la partition n’en recèle pas moins des pages originales et de toute beauté, parcourue qu’elle est par un immense souffle épique. Le chœur occupe une place majeure, et celui du Grand Théâtre de Genève a, une nouvelle fois, livré une magnifique prestation.


L’intervention – courte mais lumineuse – de Nicolas Courjal en barde au début de la représentation, avec sa diction impeccable, l’intensité de son chant ainsi que ses accents lyriques et impérieux, a fait amèrement regretter que le Grand Théâtre n’ait pas été capable de confier l’ensemble des rôles à des chanteurs francophones. Si seulement tous avaient chanté comme lui ! Pour les personnages secondaires, il a malheureusement fallu se contenter d’interprètes des pays de l’Est, qui, s’ils disposent de moyens vocaux impressionnants, avec des graves sonores et percutants, n’en sont pas moins totalement hors de propos ici, avec leur timbre engorgé et leur français exotique. Dommage !


Même si sa prononciation n’est pas des plus idiomatiques, Andrea Carè a au moins eu le mérite d’affronter avec vaillance le rôle-titre et sa tessiture impossible, qui sollicite constamment l’aigu. Mais la voix est belle et lyrique, et l’interprète sait aussi faire preuve de nuances. La Brunehild très attendue d’Anna Caterina Antonacci éblouit par sa grande voix ample et son sens de la phrase, donnant vie à chaque mot. La chanteuse a besoin de temps pour se chauffer, mais, véritable tragédienne, bête de scène au charisme incroyable, elle confère à la soirée un grand moment d’intensité dans son air du dernier acte puis dans le duo avec sa sœur, lorsqu’elle se rend compte de la vérité et découvre enfin l’identité de son libérateur. On relèvera aussi le grave corsé et ambré de Marie-Ange Todorovitch en Uta et les élans fragiles et émouvants d‘Anne Sophie Duprels en Hilda, sans oublier le Rudiger de grande classe de Nicolas Carré.


A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Frédéric Chaslin empoigne la partition à bras-le-corps pour en faire ressortir le caractère imposant et épique, n’hésitant pas à forcer sur les décibels, au détriment parfois des chanteurs. Même si, globalement, la soirée laisse des impressions mitigées, on ne remerciera jamais assez le Grand Théâtre de Genève pour l’exhumation de cet ouvrage si rare.



Claudio Poloni

 

 

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