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Drôle de soirée

Marseille
Opéra municipal
07/12/2013 -  et 15* juillet 2013
Hector Berlioz : Les Troyens

Béatrice Uria-Monzon (Cassandre, Didon), Roberto Alagna (Enée), Marc Barrard (Chorèbe), Clémentine Margaine (Anna), Marie Kalinine (Ascagne), Nicolas Courjal (Narbal, Priam, Ombre d’Hector), Alexandre Duhamel (Panthée, Mercure), Anne-Marguerite Werster (Hécube, Polyxène), Gregory Warren (Iopas, Hylas), Bernard Imbert (Un chef grec, Première sentinelle), Antoine Garcin (Prêtre de Pluton, Seconde sentinelle), Wilfried Tissot (Helenus)
Chœur de l’Opéra de Marseille, Pierre Iodice (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Marseille, Lawrence Foster (direction)


(© Christian Dresse)


C’était un événement (très) attendu par tous les mélomanes français (voire internationaux) que ces Troyens de Berlioz donnés à l’Opéra de Marseille pour deux soirées, en version de concert, en collaboration avec Marseille Provence 2013. Et l’événement n’était pas tant la rareté et la majesté du titre... que la prise du rôle d’Enée par notre ténor national, Roberto Alagna.


A tout seigneur tout honneur, nous commencerons donc notre recension par l’illustre chanteur qui aura fait des siennes le soir de cette seconde représentation. Et disons-le d’emblée, le premier Enée de Roberto Alagna nous laisse franchement partagé. Certes, on est heureux d’entendre dans ce rôle si exigeant, non l’habituel ténor wagnérien à qui on le distribue si souvent, mais une voix plus latine, de surcroît dans le français impeccable qu’on lui connaît. Malgré tout, on se montrera plus réservé sur le style assez débraillé, tant musical – attaques peu soignées, absence quasi totale de liaisons, etc. – que corporel – ces éternels gestes de «chanteur» avec les mains! –, sans parler d’une caractérisation assez sommaire, une vaillance vocale quasi généralisée visant manifestement à suggérer la dimension héroïque du personnage. On est pourtant d’abord assez impressionné par la santé dont il fait preuve, avec une émission haute et claire et des aigus certes trop forts mais assez glorieux.


Mais la soirée est longue, notamment parce qu’on a eu la mauvaise idée de faire trois entractes, et cela se gâte un peu en seconde partie, dans Les Troyens à Carthage, le ténor peinant de plus en plus à soutenir cette tessiture si tendue. La stupeur est à son comble quand il ose chanter en complet falsetto tout le sublime duo concluant l’acte IV («Nuit d’ivresse et d’extase infinie»)... Il semblerait qu’à la première, il l’ait donné à pleine voix et que certains lui aient reproché de couvrir sa partenaire... C’était sans doute vrai – un document sur Youtube en témoigne – mais était-ce une raison pour donner cette fois l’impression, comme dans la «Romance» de son récent Nadir à Pleyel, de «marquer»? Le problème est aussi que dans les deux cas, cet Enée semble tout aussi peu soucieux de sa partenaire, ce duo amoureux se résumant ici à la juxtaposition de deux monologues. Pour son grand air du V, enfin, il retrouve une émission robuste, mais la fatigue commençant à se faire sentir, il frôle plus d’une fois l’accident dans l’aigu. En fin de compte, si l’on peut s’interroger sur l’adéquation de cette partie, en termes de largeur et de tessiture, avec les moyens actuels du ténor, reste que cette prise de rôle ne méritait certes pas les quelques – rares – huées qui l’ont accueilli au rideau final. On s’étonne néanmoins – on s’en offusque même un peu – qu’un chanteur de cette renommée et de cette expérience prenne la chose tant à cœur, jusqu’à prendre à parti ses détracteurs, et laisser en plan ses collègues sur le plateau pour descendre au premier rang discuter avec un spectateur mécontent! Et que penser de l’annulation dès le lendemain matin du récital qu’il devait donner quelques jours plus tard aux Chorégies d’Orange au côté d’Anna Caterina Antonacci? On lui souhaite en tout cas davantage de sérénité pour ses prochains – et premiers – Enée sur scène, ce sera à la Deutsche Oper de Berlin en 2014.


Décidément incontournable à Marseille (sans qu’on s’en plaigne ces derniers temps), Béatrice Uria-Monzon («BUM»), magnifique Cléopâtre (de Massenet) le mois dernier in loco, chante le double rôle de Cassandre et Didon. Comme nous le pressentions, la tessiture assez basse de Cassandre lui convient moins bien que la projection lumineuse et souveraine de la reine de Carthage; «Malheureux roi», par exemple, souligne quelques notes sourdes et le tableau final dans son entier accentue notre malaise. Mais il s’agit essentiellement de quelques difficultés de passage plus que d’une réelle absence de projection dans cette zone du registre. Et puis son chant noble et royal – même si la diction pèche en début de parcours vocal, pour s’améliorer ensuite –, fait merveille en Didon, rendant justice à cette déclamation tragique inspirée de Gluck, caractéristique de l’écriture de Berlioz. Enfin, son superbe tempérament de tragédienne donne à son «Adieu fière cité» une grandeur tragique que nous garderons longtemps en mémoire.


Le reste de la distribution, entièrement française – à une exception près, par ailleurs vilain petit canard de la soirée –, porte très haut les couleurs et l’école du chant français. A commencer par la sublime Clémentine Margaine, que les scènes internationales commencent à s’arracher sans malheureusement susciter le même engouement dans nos théâtres, et qui, dans le rôle d’Anna, subjugue par le velouté du timbre, l’opulence des moyens, la perfection du style comme de la diction, au point d’éclipser «BUM» dans leurs duos. Sur les mêmes sommets se situe le chant de Nicolas Courjal (Narbal et Priam) et l’on ne sait que louer le plus chez cette jeune basse: l’autorité du timbre, la palette de nuances, la puissance phénoménale, la clarté de la prononciation ou la beauté du phrasé.


Autre espoir du chant français, le baryton Alexandre Duhamel (Panthée et Mercure) délivre un chant particulièrement séduisant et superbement stylé tandis que la belle Marie Kalinine n’enchante pas moins dans le rôle d’Ascagne. Baryton très apprécié à Marseille, le Nîmois Marc Barrard s’avère splendide en Chorèbe, avec sa diction précise, ses accents nobles et son phrasé scrupuleux. Enfin, seule erreur parmi un casting irréprochable, le ténor américain Gregory Warren (Iopas et Hylas) déçoit avec son timbre ingrat, ses aigus escamotés et une diction approximative... alors que les bons ténors français ne manquent pourtant pas! (Guèze, Barbeyrac, Borras, ...).


Directeur musical de la phalange phocéenne, Lawrence Foster dirige la partition de Berlioz avec beaucoup d’enthousiasme et d’ardeur, mais les deux premiers actes souffrent néanmoins d’un manque de souplesse et de précision. A partir du III, le chef américain se reprend et propose alors une direction plus maîtrisée, qui respire, qui s’emporte rarement, finalement plus poétique que dramatique. On lui reprochera, en revanche, de n’avoir gardé que le plus bel intermède symphonique de la partition, le fameux «Chasse royale et orage», supprimant les autres, tels les ballets de l’acte IV. Quant au Chœur de l’Opéra de Marseille, il fait preuve d’une belle homogénéité, même si l(on souhaiterait plus de dynamique et des attaques plus tranchantes.


A quand une nouvelle version scénique en France du chef-d’œuvre de Berlioz?


Ecouter le concert sur le site de France Musique



Emmanuel Andrieu

 

 

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