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Bizet patauge

Strasbourg
Opéra national du Rhin
05/17/2013 -  et 21*, 23, 26 28, 30 mai (Strasbourg), 7, 9 juin (Mulhouse) 2013
Georges Bizet : Les Pêcheurs de perles
Annick Massis (Leïla), Sébastien Guèze (Nadir), Etienne Dupuis (Zurga), Jean Teitgen (Nourabad)
Chœurs de l'Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Patrick Davin (direction)
Vincent Boussard (mise en scène), Vincent Lemaire (décors), Christian Lacroix (costumes), Guido Levi (lumières), Barbara Weigel (dramaturgie et vidéo )


A. Massis (© Alain Kaiser)


Les rapports qu’entretiennent Vincent Boussard, Vincent Lemaire et Guido Levi avec l’opéra romantique sont singuliers. Leurs visions poétiques contournent volontiers le premier degré des livrets et cultivent des ambiances d’une sensibilité particulière. Au risque toutefois du bizarre voire du ratage, leurs travaux ayant la manie de s’engoncer dans des dispositifs scéniques métaphoriques étriqués, ce que les ouvrages gagnent en originalité ne compensant pas toujours ce qu’il perdent en simple efficacité et lisibilité au cours de l’opération. On a déjà vu ce système à l’œuvre pour une Ophélie qui se noyait dans une baignoire (Hamlet d’Ambroise Thomas, à Nice puis Strasbourg), pour une Giulietta rêveusement perchée accroupie sur un lavabo (I Capuleti e I Montecchi de Bellini, à Munich), et voilà à présent une Leïla longuement plantée sur le couvercle d’un piano, dont elle ne peut descendre qu’en se mouillant les pieds sur une scène inondée. A chaque fois l’idée se révèle saisissante de prime abord - surtout quand c’est Guido Levi qui éclaire, avec son art très particulier de doter le sujet principal d’une aura un peu magique - et puis ensuite elle tourne en rond : trop longuement exposée, trop répétitive, trop peu renouvelée... Et même si on garde de ces productions un souvenir plutôt indulgent une fois le dernier rideau tombé, force est aussi de rappeler qu’on s’y est souvent ennuyé.


Le livret des Pêcheurs de perles est d’un orientalisme factice difficile à gérer aujourd’hui, et les situations fortes y paraissent alignées davantage comme des prétextes émotionnels que comme les péripéties d’une histoire véritablement crédible. L’écueil n’est de loin pas nouveau, mais la musique du jeune Bizet, d’une étonnante souplesse de facture et d’un bonheur mélodique inépuisable, fait fonctionner cet ouvrage avec tant de limpidité qu’une vision scénique même conventionnelle ne l’asphyxie pas forcément. On garde de bons souvenirs de productions de René Terrasson ou Pier Luigi Pizzi, anciennes désormais, mais où les personnages, même sans véritable épaisseur, parvenaient à exister sans grand problème. En s’évertuant à gommer presque toute référence à un orient de fantaisie, en figeant terriblement l’action sur un plateau bourré de pièges (un étroit piano-piédestal, un sol-mer où tout le monde patauge à grand renfort de bruyants flics flacs, les balcons d’un théâtre à l’italienne où les choeurs doivent se bousculer sur une faible profondeur...), Boussard et Monteil ne vident-ils pas trop de sa substance (modeste mais réelle) un ouvrage fragile ? Et pour raconter en définitive quelle histoire ? Celle d’un Zurga auquel on donne la dégaine d’un Bizet assis derrière son piano, regardant longuement évoluer un couple d’amoureux devenu simple archétype d’opéra. Ce n’est ni clair ni édifiant, et c’est même souvent maladroit. Mais les éclairages sont beaux, les costumes de Christian Lacroix, désappointants parfois (Annick Massis n’est guère mise en valeur), sont en général de belle facture, les projections vidéo de Barbara Weigel sont d’une réelle poésie... Alors à défaut d’une mise en scène qui assume et traite le sujet tel qu’il est, on assiste au moins à un joli spectacle, occasionnellement irritant (beaucoup de bruits parasites) mais qui ne dérange pas l’écoute. C’est toujours mieux qu’une version de concert, même si parfois ici, en termes de statisme et de neutralité, on n’en est vraiment pas loin.


Place donc à la musique de Bizet : ces Pêcheurs de perles au charme délicieux, dont même les défauts nous touchent par leur grâce juvénile et par le charme de thèmes d’un naturel désarmant. Patrick Davin, futur directeur musical de l’Orchestre de Mulhouse, choisit de privilégier pour l’instant la netteté des lignes et la précision de la mise en place, au détriment d’un certain confort sonore et de nuances plus variées, que sa phalange peinerait de toute façon à restituer dans son état actuel. En tout cas les chanteurs sont bien soutenus et le plateau est d’une haute valeur, à commencer par la parfaite Leïla d’Annick Massis qui nous délivre une véritable leçon de beau chant. Très convaincant aussi le Zurga du jeune canadien Etienne Dupuis, français impeccable et beau timbre de baryton plutôt corsé. Quant à Sébastien Guèze, si on renâcle toujours autant devant cette voix ingrate et encombrante, force est de constater que le rôle de Nadir lui convient, avec même une efficace gestion de l’aigu grâce à une sorte de voix mixte pour le moins bizarrement dosée mais juste. Les choeurs, maladroitement répartis dans l’espace disponible et manquant d’homogénéité, impressionnent moins, et c’est dommage car Bizet leur a confié maints beaux passages. En tout cas voilà des Pêcheurs de perles auxquels on a accordé beaucoup d’attention et de vrais soins de réalisation. Et ils le méritent bien !



Laurent Barthel

 

 

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