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Sang, sexe et sadisme Zurich Opernhaus 05/26/2013 - et 29 mai, 1er, 4, 7*, 9, 14, 20, 22, 25, 27 juin 2013 Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, K. 527 Peter Mattei (Don Giovanni), Marina Rebeka (Donna Anna), Pavol Breslik (Don Ottavio), Rafal Siwek (Il Commendatore), Julia Kleiter*/Malin Hartelius (Donna Elvira), Ruben Drole (Leporello), Anna Goryachova (Zerlina), Erik Anstine (Masetto)
Chor der Oper Zürich, Jürg Hämmerli (préparation), Orchestra La Scintilla, Robin Ticciati/Fabio Luisi* (direction musicale)
Sebastian Baumgarten (mise en scène), Barbara Ehnes (décors), Tabea Braun (costumes), Franck Evin (lumières), Chris Kondek (vidéo), Werner Hintze (dramaturgie)
(© Monika Rittershaus)
Au début de la nouvelle production zurichoise de Don Giovanni, Donna Anna apparaît en lingerie fine, une cravache à la main. Elle est suivie par Don Giovanni déguisé en gorille, avant que surgisse Don Ottavio en petite tenue. On imagine aisément que les trois personnages sont des adeptes des pratiques SM. Cette première séquence donne le ton de la mise en scène imaginée par l’Allemand Sebastian Baumgarten, qui voit dans le héros de Mozart un homme prêt à tout pour donner libre cours à ses instincts et s’opposer à l’ordre établi et à la morale chrétienne. La religion est d’ailleurs bien présente tout au long du spectacle puisqu’une partie du décor suggère l’intérieur d’une église. Le séducteur se mue ensuite en gourou d’une secte qui n’est pas sans rappeler les Amish. Lorsque Leporello entonne le célèbre air du catalogue, un écran vidéo projette l’image de deux fesses se faisant taper par une main à chaque évocation d’un pays dans lequel Don Giovanni a sévi, les fesses devenant de plus en plus rouges. L’écran est aussi utilisé pour illustrer les sept pêchés capitaux ou encore pour égréner les noms de libertins célèbres, tels que Casanova ou le marquis de Sade. Lors de la scène finale, lorsque Don Giovanni se met à table avant l’arrivée du Commandeur, un sexe masculin géant trône en bonne place à côté de victuailles et de bouteilles de vin. Le sang est aussi un élément important de la production, des dizaines de litres de (fausse) hémoglobine coulant à flot tout au long de la soirée. C’en était trop pour une bonne partie du public de la première, qui n’a pas hésité à copieusement siffler et huer le metteur en scène. S’il contient quelques idées intéressantes, le spectacle n’en est pas moins totalement décousu et incohérent, laissant au spectateur la désagréable impression d’assister à une sorte de fourre-tout dans lequel le metteur en scène a laissé aller ses fantasmes et ses divagations.
Le jeune chef britannique Robin Ticciati a dû, lui aussi, essuyer les foudres du public de la première, passablement remonté, semble-t-il, contre des décalages importants entre la fosse et la scène. L’étoile montante de la baguette a déclaré forfait après la deuxième représentation, prétextant qu’il ne pouvait s’identifier au concept du spectacle, un comportement qui dénote un manque flagrant de professionnalisme. Quoi qu’il en soit, personne n’est dupe, le chef est parti à la suite de la réaction hostile des spectateurs. Fort heureusement, Fabio Luisi, directeur musical de l’Opernhaus, a accepté de remplacer son collègue au pied levé. Il a visiblement dû faire travailler l’orchestre car aucun décalage n’était perceptible au cours de la représentation du 7 juin, la cinquième de la série. La Scintilla est la formation sur instruments d’époque du théâtre lyrique zurichois. Certes, les traits orchestraux sont plus prononcés, mais le son paraît bien aride et sec. Une question de goût, sans doute.
Fort heureusement, la distribution est d’un très bon niveau et fait oublier le ratage de la mise en scène. Après avoir chanté Donna Anna à Berlin et à New York, Marina Rebeka fait forte impression à Zurich, avec sa belle voix ample et bien projetée, un nom à retenir. Julia Kleiter incarne une Donna Elvira décidée et autoritaire, proche de l’hystérie, alors qu’Anna Goryachova prête à Zerlina sa voix sombre et corsée, qui change quelque peu l’optique du personnage. Peter Mattei campe un Don Giovanni très sûr de lui et parfaitement à son aise dans les déguisements et les postures imposés par la mise en scène. Ruben Drole est un Leporello gauche et comique, alors que Pavol Breslik incarne un Don Ottavio aux accents nuancés et raffinés, même si l’extrême aigu est parfois un peu tendu.
Claudio Poloni
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