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Un Prologue prometteur

Barcelona
Gran Teatre del Liceu
04/20/2013 -  et 22, 23, 25*, 26, 28, 29 avril, 2 mai 2013
Richard Wagner : Das Rheingold

Albert Dohmen/Jason Howard* (Wotan), Ralf Lukas (Donner), Willem van der Heyden (Froh), Kurt Streit/Francisco Vas* (Loge), Andrew Shore/Oleg Bryjak* (Alberich), Mijail Vekua (Mime), Ain Anger/Fridemann Röhlig* (Fasolt), Ante Jerkunica/Bjarni Thor Kristinsson* (Fafner), Mihoko Fujimura/Katarina Karnéus* (Fricka), Erika Wueschner/Sonja Gornik* (Freia), Ewa Podles/Nadine Weissmann* (Erda), Lisette Bolle (Woglinde), Maria Hinojosa (Wellgunde), Inès Moraleda (Flosshilde)
Orquestra simfònica del Gran Teatre del Liceu, Josep Pons (direction)
Robert Carsen (mise en scène), Patrick Kinmonth (scénographie et costumes), Darko Petrovich (assistant à la scénographie), Manfred Voss (lumières)


(© Antoni Bofill)


Après avoir fait les beaux jours de l’Opéra de Cologne, où elle revient régulièrement à l’affiche depuis 2000, cette production du Ring, signée par le prolifique et talentueux Robert Carsen, accoste sur les bords de la Méditerranée, au Liceu de Barcelone. Contre seulement deux jours, sur un week-end, à l’Oper der Stadt Köln, il sera échelonné sur quatre ans ici, soucis budgétaires obligent, mais le Prologue du poème-fleuve de Richard Wagner a d’ores et déjà conquis le public catalan, à en croire la formidable ovation finale qui est venue saluer l’ensemble de l’équipe artistique.


Le début de l’opéra commence fort: alors que résonnent les premiers accords, joués à rideau ouvert, on voit des hommes en habits contemporains traverser la scène de jardin à cour (dans une magnifique lumière tamisée signée Manfred Voss) en mâchant des fruits ou en buvant des canettes, qu’ils jettent ensuite négligemment sur le plateau, avant de le quitter. Au fur et à mesure que le Prélude avance, une foule de plus en plus nombreuse l’investit, en marchant de plus en plus vite, jusqu’à courir à perdre haleine, en se débarrassant au passage d’une multitude d’objets du quotidien, qui finissent par encombrer la scène. En un tour de machinerie, ce sont les Filles du Rhin qui apparaissent, revêtues de loques et barbouillées de mazout; elles évoluent dans une décharge où croupissent vieux téléviseurs, machines à laver et autres pneus usagés. Egalement clochardisé, Alberich les rejoint bientôt en rampant, pour ne se relever qu’une fois l’or dérobé, déjà forgé sous forme d’anneau.


C’est donc une lecture écologique du Ring que le metteur en scène canadien propose, un monde menacé par l’activité industrielle et la logique du profit. Cela dit, les scènes suivantes prennent une couleur plus politique, avec Wotan en général d’armée se faisant construire une somptueuse résidence. Comme tout homme de pouvoir, il lutte pour le conserver, par tous les moyens, sans penser aux conséquences de ses décisions et de ses actes: c’est l’ambition et le cynisme qui prévalent. La scène finale montre Wotan et sa petite cour de nantis (les autres dieux) accéder à leur nouvelle résidence en smoking et élégantes robes de soirée, suivis par une horde de larbins, serviteurs tenant de magnifiques candélabres en argent pour éclairer leur chemin, et déménageurs en salopette orange transportant le mobilier nécessaire pour équiper le palais érigé par les Géants.


A trois (petites) exceptions près, la distribution réunie ce soir – nous avons entendue la seconde équipe vocale, souvent plus homogène que la première, nous avons pu moult fois le constater au Liceu – s’est avéré exemplaire, tant vocalement que scéniquement. La palme revient à l’impressionnant Wotan du baryton gallois Jason Howard, imposant d’aplomb scénique et d’autorité vocale. Dans le rôle d’Alberich, le baryton kazakh Oleg Bryjak ne le lui cède en rien avec une voix idéalement mordante et un jeu d’une grande intensité dramatique. Mijail Vekua est un Mime fort bien chantant, tandis que les trois dieux déçoivent un peu, Willem van der Weyden (Froh) à cause de sa voix encore verte, Ralf Lukas (Donner), à l’inverse, à cause d’un organe désormais fatigué, et le ténor espagnol Francisco Vas (Loge) du fait qu’il manque de l’éclat tant vocal que scénique que tout Loge se doit de posséder. On remonte néanmoins le niveau, chez les hommes, avec les Géants de Friedemann Röhlig (Fasolt) et de Bjarni Thor Kristinsson (Fafner), qui convainquent autant par leur registre grave nourri que par leur phrasé scrupuleusement contrôlé.


Côté femmes, la Fricka de la soprano suédoise Katarina Karnéus est une déesse jeune, au timbre débarrassé de toute graisse inutile, et son chant se pare souvent d’une sensualité bienvenue, qui rend le personnage presque attachant. La soprano Sonja Gornik incarne une vibrante Freia, au timbre chaleureux et à l’aigu épanoui. Quant à l’Erda de Nadine Weissmann, elle possède un timbre plutôt fringant, magnifique de pugnacité dans son avertissement à Wotan. Enfin, les Filles du Rhin (Lisette Bolle, Maria Hinojosa et Inès Moraleda) forment au départ un trio qui a de la peine à trouver ses marques, mais dont les interventions dans le finale, d’un parfait équilibre vocal, rachètent la prestation première.


Nouveau directeur musical du Liceu, le Catalan Josep Pons opte pour une approche essentiellement fluide du discours musical: les cuivres paraissent ainsi un peu réservés (dans le crescendo final par exemple) tandis que les effets spectaculaires prévus dans la partition sont bien souvent escamotés. Mais ce que l’auditeur perd en grandeur sonore, il le gagne en limpidité, en lisibilité, d’autant que les voix des chanteurs, en même temps que le texte, passent la rampe sans peine aucune. Un Wagner aussi lyrique a peut-être de quoi désarçonner au début, mais l’exceptionnel degré de fusion du drame et de la musique démontre rapidement le bien-fondé d’un semblable parti pris, même si ce n’est pas forcément le meilleur.


Le lecteur l’aura compris, cet Or du Rhin constitue un prologue convaincant à ce Ring catalan, qui se poursuivra en 2014 avec La Walkyrie, puis Siegfried en 2015 et Le Crépuscule des dieux en 2016, avant un cycle complet (sauf nouvelles restrictions budgétaires) prévu pour la saison 2016-2017.



Emmanuel Andrieu

 

 

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