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Zinman, le coloriste Paris Théâtre du Châtelet 04/18/2013 - Jean Sibelius : Concerto pour violon en ré mineur, opus 47
Antonín Dvorák : Symphonie n° 6 en ré majeur, opus 60, B. 112
Alina Pogostkina (violon)
Orchestre national de France, David Zinman (direction)
D. Zinman (© Prisca Ketterer)
Nouveau concert au Théâtre du Châtelet donné ce soir par l’Orchestre National de France et consacré à un répertoire des contrées du Nord et de l’Est pourrait-on dire… Car ce sont des couleurs immédiatement reconnaissables que celles du Finlandais Jean Sibelius (1865-1957) et du Tchèque Antonín Dvorák (1841-1904), qui privilégient les fondus et les clairs-obscurs sur les taches trop vives, qui risqueraient d’être trop violentes, et qui demandent donc à être interprétés avec toute la délicatesse possible.
A ce jeu-là, la seule tenue de la jeune violoniste Alina Pogostkina, une longue robe bustier d’un bleu diaphane, laissait augurer d’un très beau résultat. Ayant commencé le violon avec son père à l’âge de quatre ans avant d’avoir donné son premier concert seulement un an plus tard, elle remporta le fameux concours d’Helsinki en 2005 avec, justement, ce Concerto de Sibelius (1905), qu’elle a par ailleurs donné à Hambourg et à Lübeck à la fin du mois de mars dernier sous la direction de Sakari Oramo. Autant dire qu’elle est là en terrain connu. Même s’il ne l’a pas joué fréquemment, ce concerto n’est pas davantage une découverte pour le National qui, ces dernières années, a accompagné aussi bien Viktor Tretiakov en mai 2001 que Valeriy Sokolov en décembre 2010 dans cette œuvre magistrale.
Le résultat de cette confrontation, avec David Zinman qui ne cesse de faire admirablement le lien entre soliste et orchestre, est extrêmement convaincant. Dès les premiers trémolos de l’Allegro moderato, les pupitres des violons offrent un magnifique tapis à la jeune soliste dont les premiers sons se fondent avec soin dans l’atmosphère ainsi instaurée. Même si l’on aurait aimé qu’elle joue parfois un peu plus fort (à moins que ce ne soit l’orchestre qui aurait dû l’être un peu moins...), le climat pastel qu’elle dégage est idéal, les sonorités de son stradivarius se fondant avec naturel dans un ensemble aux couleurs savamment dosées. Si le National est techniquement et musicalement au rendez-vous, on regrette toutefois que celui-ci ne manque parfois de dynamisme dans certains tutti, d’arêtes tranchantes, voire violentes: la mélancolie inhérente à ce premier mouvement ne doit pas pour autant masquer la rage qui ne demande parfois qu’à exploser. Quelle finesse également que le jeu d’Alina Pogostkina dans le mouvement lent (Adagio di molto), où la discrétion de l’orchestre fait ici merveille. David Zinman aborde enfin l’ostinato ouvrant le troisième mouvement à un rythme assez rapide, mais sans la violence implacable qu’on aurait préféré entendre; là encore, le pupitre de contrebasses, emmené avec fougue par Maria Chirokoliyska, est impressionnant, à l’image de la cohésion qu’offrent les presque soixante cordes présentes sur scène. Alina Pogostkina conclut l’œuvre avec maestria, gagnant en assurance au fur et à mesure de l’œuvre, n’hésitant pas, même, à légèrement brusquer son jeu vers la fin.
A n’en pas douter, elle devrait s’affirmer dans les années à venir comme une très grande soliste: il lui faut néanmoins encore se fortifier pour ajouter à la finesse incomparable de son jeu une capacité à pleinement se confronter à un orchestre. En bis, elle donna un magnifique morceau de seulement vingt-six mesures composé par un tout jeune Sibelius (vers 1881 selon Marc Vignal, Sibelius, Fayard, p. 67), durant trente secondes à peine: Vattendroppar («Gouttes d’eau»). La délicatesse des échanges entre le violoncelliste du National, Raphaël Perraud, et Alina Pogostkina illustrait parfaitement, encore une fois et pour conclure, les sentiments dégagés par le jeu de la violoniste.
«Je suis persuadé qu’à présent il n’y a pas une note de trop» aurait affirmé, péremptoire, Dvorák après avoir révisé le deuxième mouvement de sa Sixième Symphonie (1884-1885), qui devait lui permettre de connaître un véritable triomphe, lors de sa création à Londres, au mois d’avril 1885. Dans un climat souvent proche de Brahms (en entendant les premier et quatrième mouvements, on pense irrésistiblement à la Deuxième Symphonie du compositeur allemand), David Zinman et le National offrirent une excellente interprétation de cette œuvre si célèbre pour son troisième mouvement («Furiant»). Là encore, l’emportement des cordes, la précision des bois (une fois encore, quel Patrick Messina!), la noblesse des cors et l’éclat des trompettes donnèrent toute leur mesure, jouant avec soin sur les coloris extrêmement contrastés de cette symphonie malheureusement trop peu souvent donnée en concert. Mais nous ne pouvons conclure ce commentaire sans tresser des louanges spécifiques à l’adresse du timbalier François Desforges qui, notamment dans le «Furiant», fut tout bonnement exceptionnel et s’en donna à cœur joie.
Très justement salué par le public et les musiciens du National, David Zinman, qui fêtera en 2015 ses vingt ans à la tête de l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich (c’est à ce moment-là, d’ailleurs, qu’il quittera ses fonctions de directeur musical pour être remplacé par Lionel Bringuier), a encore une fois fait montre de ses prouesses comme chef d’orchestre: qu’il revienne très vite à Paris!
Le site de David Zinman
Le site d’Alina Pogostkina
Sébastien Gauthier
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