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Bienvenue à la maison...

Baden-Baden
Festspielhaus
03/23/2013 -  

Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte, K. 620

Pavol Breslik (Tamino), Kate Royal (Pamina), Dimitri Ivaschenko (Sarastro), Ana Durlovski (La Reine de la nuit), Michael Nagy (Papageno), Regula Mühlemann (Papagena), James Elliott (Monostatos), Annick Massis (Première Dame), Magdalena Kozená (Deuxième Dame), Nathalie Stutzmann (Troisième Dame), José van Dam (L’Orateur), David Rother (Premier Garçon), Cedric Schmitt (Deuxième Garçon), Joshua Augustin (Troisième garçon), Andreas Schager (Premier prêtre), Jonathan Lemalu (Second prêtre), Benjamin Hulett (Premier homme armé), David Jerusalem (Second homme armé), Rundfunkchor Berlin, Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)
Robert Carsen (mise en scène), Michael Levine (décors), Petra Reinhardt (costumes), Robert Carsen et Peter van Praet (lumières), Martin Eidenberger (vidéo), Ian Burton (dramaturgie)


24 mars (Festspielhaus)
Gustav Mahler : Symphonie n° 2 «Résurrection»
Kate Royal (soprano), Magdalena Kozená (mezzo-soprano)
Rundfunkchor Berlin, Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)


25 mars (Festspielhaus)
Richard Wagner : Tannhäuser: Ouverture
Johannes Brahms : Concerto pour violon, opus 77
Claude Debussy : La Mer
Maurice Ravel : La Valse
Maxim Vengerov (violon)
Berliner Philharmoniker, Andris Nelsons (direction)


28 mars (Festspielhaus)
Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 1, opus 15
Anton Bruckner : Symphonie n° 9

Krystian Zimerman (piano)
Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)


La Flûte enchantée (© Andrea Kremper)


Après presque un demi-siècle de présence immuable à Salzbourg pendant la période qui va du week-end des Rameaux au Lundi de Pâques, l’Orchestre philharmonique de Berlin et son chef ont définitivement abandonné les rives de la Salzach. Et bien que Christian Thielemann et la Staastkapelle de Dresde se soient immédiatement emparés de cet espace laissé vacant, quelque chose d’important dans la géographie festivalière du monde germanophone vient de basculer, avec un centre de gravité qui s’est nettement déplacé vers l’Ouest.


Pour s’en tenir à l’offre de cette période printanière, il est en effet difficile de comparer un Festival de Pâques de Salzbourg devenu succursale du Semperoper de Dresde pour quelques jours - grâce au concours d’une Staatskapelle certes légendaire mais aussi d’un directeur musical diversement apprécié - avec l’effervescence que viennent de déclencher Sir Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker lors de leur premier séjour prolongé à Baden-Baden. Ici souffle un vent de nouveauté fort stimulant, à la fois pour un public accouru en masse (30000 visiteurs recensés) et pour des musiciens manifestement ravis d’être hébergés dans une ambiance d’hospitalité aussi chaleureuse. A tous égards une première édition concluante pour ce nouveau Festival de Pâques, en dépit de températures restées hivernales, grâce aussi à la logistique impeccable assurée par l’équipe de collaborateurs de l’intendant Andreas Mölich-Zebhauser, qui n’a pas son pareil pour mettre à l'aise ses hôtes de passage.


En l’occurrence le calendrier est chargé, enrichi d’une belle série de concerts de musique de chambre mettant en valeur séparément les musiciens de l’orchestre dans divers lieux de la ville. Trente événements en tout, dont des manifestations dédiées à un public plus jeune... On s’éloigne là du rituel luxueux mais parcimonieux institué naguère par Herbert von Karajan, au tempo d'une Salzbourg traditionnellement frileuse voire léthargique à cette époque de l’année. Le nombre de représentations lyriques semble aussi en nette augmentation, avec ce printemps quatre soirées pour La Flûte enchantée, et l’année prochaine trois soirées annoncées pour la Manon Lescaut de Puccini.


Premiers pas mesurés en revanche sur un plan strictement scénique, le nom de Robert Carsen garantissant d’emblée un spectacle exempt des excès du Regietheater en vogue. Une production de La Flûte enchantée au demeurant très particulière dans son économie, techniquement impeccable mais qui donne peu à voir, au point parfois de perdre son intelligibilité. Pas vraiment de décor mais plutôt deux ambiances nettement individualisées : en haut une forêt, et en bas un environnement sépulcral creusé par Sarastro et ses prêtres, fossoyeurs armés de pelles. L’illusion de passage d’un niveau à l’autre s’entretient sans machinerie verticale (les capacités techniques du Festspielhaus ne sont quand même pas celles du Met), grâce à quelques beaux artifices optiques créées par plusieurs rideaux-écrans mobiles à diverses profondeurs. L’effet majeur reste la projection en fond de scène d’une très large vidéo, paysage de forêt qui se modifie imperceptiblement au fil des saisons qui passent. Somme toute l’équipe réunie autour de Robert Carsen vient de nous réinventer le principe du décor en toile peinte transversale, recyclable à l’infini en modifiant les projections choisies. En ces temps d’économies drastiques l’idée est à suivre : il suffit de changer le revêtement de sol et le programme des vidéo-projecteurs pour inviter là tout le répertoire lyrique, dans un confort visuel certes minimal mais cohérent. La gageure visée par Carsen reste évidemment de jouer ce dépouillement jusqu’au bout, donc de vider La Flûte enchantée de tout son contenu anecdotique au profit d’une polarisation unique : l’initiation d’une jeune génération à l’angoisse de la mort, passage obligé vers la maturité. Donc plus de magie scénique, ou du moins un merveilleux d’une subtilité tellement prudente qu’il se réduit effectivement à presque rien, mais une succession de mises en conditions morbides, à peine teintées d’un rien d’humour tendre, quand même nécessaire. Conformément à une idée déjà défendue par Carsen dans une production plus ancienne de l’ouvrage, la Reine de la nuit n’est qu’une complice de Sarastro dans le processus initiatique, et non plus une ennemie agissante. Un souci d’homogénéité louable mais qui ne fait que remplacer certaines incohérences par d’autres et rend finalement le propos encore plus obscur. A force de tout évacuer il ne reste plus grand chose de l’ouvrage original, avec simplement une succession de personnages peu caractérisés qui viennent traîner là leurs aspirations nébuleuses. On peut se laisser séduire par cette absence de parti pris et de hiérarchies ou s’inquiéter de cette curieuse névrose du politiquement correct généralisé. En tout cas l’ensemble paraît déficitaire par rapport à une Flûte enchantée conventionnelle, en principe beaucoup plus riche, y compris des dysfonctionnements patents de son livret, sources de questionnements qu’il n’est pas forcément utile ni même justifié de gommer.


Si elle donne peu à voir, la production ne dérange pas trop et laisse tout loisir de se concentrer sur la magie des timbres d’un orchestre de rêve, dirigé de façon relativement conventionnelle, avec toutefois de la part de Simon Rattle un goût bizarre pour les tempi inattendus voire des embrayages brutaux au cours des airs. De quoi déstabiliser même trois Dames de l’envergure de Annick Massis, Magdalena Kozená et Nathalie Stutzmann, distribution de gala pour un trio passablement chahuté qui peine à s’accorder. L’orateur de José van Dam, toujours solide voire d’une santé vocale insolente, complète le luxe d’une affiche occupée par ailleurs surtout par de jeunes voix en devenir. Hormis Pavol Breslik, parfait Tamino à ce stade de sa carrière, tout le monde paraît perfectible, ou en tout cas moyennement aidé par la direction d’orchestre. On discerne de vrais potentiels (une Reine de la Nuit un peu verte mais bourrée de qualités, un Sarastro d’un format déjà conséquent, un Papageno qui ne demande qu’à s’épanouir mais qui paraît bridé par des tempi trop lents) et aussi de probables impasses (Kate Royal déploie des efforts réels pour nous toucher dans Pamina, mais sa voix large n’a pas l’expressivité mozartienne requise et ne l’aura vraisemblablement jamais). La soirée, même d’un prestige indéniable et d’une intelligence prégnante, laisse le public sur sa faim : somme toute le syndrome déficitaire d’un restaurant gastronomique trop perfectionniste, où il n’y a plus en fin de compte assez de choses consistantes à manger dans les assiettes.



(© manolo press)


On peut filer la métaphore culinaire le lendemain, pour un concert Mahler auquel un célèbre guide rouge pourrait décerner cette fois ses trois étoiles. Regarder de près les Philharmoniker au travail vaut en définitive toutes les mises en scène, la perfection du jeu instrumental s’érigeant ici en véritable spectacle, la beauté des gestes et la subtilité des coordinations au service de sonorités irradiantes devenant source d’émotions indicibles. Quel orchestre ! Sans égal aujourd’hui probablement à ce niveau d’excellence, et en dépit des mérites incontestables de bien des formations rivales. Peut-être moins de personnalité intrinsèque qu’ailleurs mais à ce niveau de perfection des rouages, et aussi de flexibilité, sans rien d’écrasant ni de mécanique, l’auditeur ne peut sortir du concert qu’ébloui et conquis, au point de rendre tout autre commentaire superflu. Y compris d’ailleurs sur la direction de Simon Rattle, dont les tempi modérés et parfois l’absence de démarche volontariste peuvent se discuter, mais qui laisse les flux s’épancher en coordonnant les équilibres avec beaucoup de minutie et parvient à des résultats inouïs. On peut se laisser ainsi emporter, à un rythme en général plutôt lent, vers une péroraison chorale incroyable, véritable décollage en apesanteur. L’excellent Chœur de la Radio de Berlin et même des solistes un peu neutres mais d’une tenue irréprochable concourent à cette sorte de miracle, le mot ne paraissant pas excessif. Succès fracassant et standing ovation de rigueur pour des Philharmoniker perceptiblement contents : un hommage pleinement mérité.



M. Vengerov, A. Nelsons (© Stephanie Schweigert)


Atmosphère plus conventionnelle le lendemain, Simon Rattle cédant la baguette à Andris Nelsons, dont la gesticulation (le terme gestique ne paraît pas bien adapté à cette réalité bizarre) reste davantage comique qu’inspirée. On constate quelques progrès (la main gauche fonctionne mieux et s’agrippe moins systématiquement à la rampe du podium) mais ces dépenses d’énergie restent un peu vaines. A tout prendre, pour en rester dans le domaine des jeunes chefs dynamiques du moment, on préfère nettement l’enthousiasme de Yannick Nézet-Séguin, capable de susciter par exemple dans La Valse un tourbillon cauchemardesque que Nelsons, avec un orchestre pourtant parfait, ne parvient pas du tout à faire lever, en restant au stade d’un fracas relativement creux. La Mer de Debussy ne convainc pas non plus, rutilante succession de miniatures où la baguette semble fouiller les pupitres à la recherches d’éclats scintillants qui tirent le propos davantage vers la picturalité descriptive d’un Kandinsky première manière que vers le paysagisme d’un Monet. Reste la beauté du matériel sonore, évidemment grisante, surtout avec un Albrecht Mayer au hautbois ou un Andreas Blau à la flûte (curieusement pas Emmanuel Pahud, qui aurait été peut-être plus immédiatement logique dans ce répertoire, mais que l’on a retenu, lui, en fosse pour La Flûte enchantée). Globalement Andris Nelson se tire mieux d’une première partie allemande élégante, avec un beau parcours dans une Ouverture de Tannhäuser aux cuivres distingués mais aussi aux cordes impeccablement lyriques, et dans un accompagnement très attentif du Concerto pour violon de Brahms où brille Maxim Vengerov, devenu moins turbulent que naguère et qui a reconquis une forme technique impressionnante.


Troisième programme fleuve pour terminer le cycle, avec un concert d’ailleurs intitulé «deux titans». Pas de quatrième mouvement reconstitué pour la Neuvième Symphonie de Bruckner, contrairement à l’enregistrement récent de Simon Rattle publié par EMI, mais cet ajout aurait fini par rendre le menu indigeste. Les trois mouvements officiels suffisent d’ailleurs à rendre le temps un peu long, surtout dans un Adagio dont on attendrait davantage qu’une belle cathédrale de sons. On a certes l’impression de faire un peu la fine bouche, mais pour que ce Bruckner là prenne vraiment forme il faut peut-être un charisme dont la simple approche sculpturale de Simon Rattle fait trop l’économie. Quitte à enfoncer quelques portes ouvertes rappelons qu’il faut pour interpréter ce Bruckner-là une foi véritable, ou du moins une foi en quelque chose de plus élevé que sa propre valeur personnelle. Une notion de transcendance bien en phase pour un Jeudi saint, mais qui reste ici davantage effleurée qu’investie. On aura été bien davantage touché par un Premier Concerto pour piano de Brahms notablement alourdi par Krystian Zimerman, d’une emphase peut-être inadaptée en théorie à cette œuvre romantique d’un compositeur jeune et probablement fougueux, mais dont la clarté technique et surtout la symbiose avec les sonorités ineffables de l’orchestre laisse maints souvenirs inoubliables. Dans l’Adagio certains alliages de timbres plan par plan, chaque mesure apportant un éclairage nouveau par adjonction d’un pupitre supplémentaire, relèvent de la pure magie. A l’issue du concert on quitte à grand regret l’orchestre, qui ne s’éternise guère lors des saluts.


Willkommen zu Hause (Bienvenue à la maison !) affichent fièrement des calicots un peu partout dans Baden-Baden : ici les Berliner Philharmoniker sont maintenant chez eux, et pour cinq ans au moins, renouvelables. La prochaine édition de ce Festival de Pâques nouvelle formule, du 12 au 21 avril 2014, est déjà attendue avec impatience.



Laurent Barthel

 

 

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