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Salomé dans le bordelais

Bordeaux
Auditorium
03/21/2013 -  et 24, 27, 29 mars 2013
Richard Strauss : Salome, opus 54

Mireille Delunsch (Salomé), Nmon Ford (Jochanaan), Roman Sadnik (Herodes), Hedwig Fassbender (Herodias), Jean-Noël Briend (Narraboth), Aude Extrémo (Le Page), Thomas Dear (Premier soldat), Jean-Vincent Blot (Second soldat), Eric Huchet (Premier Juif), Vincent Delhoume (Deuxième Juif), Xavier Mauconduit (Troisième Juif), Vincent Ordonneau (Quatrième Juif), Antoine Garcin (Cinquième Juif), Roger Joakim (Premier Nazaréen), Pirerre Guillou (Second Nazaréen), Pascal Wintzner (Un Cappadocien), Gaëlle Flores (Une esclave)
Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Kwamé Ryan (direction)
Dominique Pitoiset (mise en scène et scénographie), Stephen Taylor (assistant mise en scène), Axel Aust (costumes), Christophe Pitoiset (lumières et assistant scénographie), Emmanuelle Grizot (collaboration chorégraphique)


M. Delunsch (© Frédéric Desmesure)


Inauguré le mois dernier après un beau concert d’ouverture, le magnifique Auditorium de Bordeaux accueille maintenant sa première production lyrique, la fameuse Salomé, type d’ouvrage qui, à cause de l’effectif orchestral requis, ne pouvait jusqu’alors être programmé à Bordeaux, du moins au Grand Théâtre.


Opéra de la transgression et de la luxure, le chef-d’œuvre de Richard Strauss, depuis sa création en 1905, en a vu de toutes les couleurs, livret et musique se prêtant admirablement aux plus folles élucubrations de metteurs en scène avides d’y projeter leurs fantasmes les plus secrets. Dominique Pitoiset, au contraire, tout en jouant la carte de la transposition dans le temps et l’espace, privilégie la lisibilité de l’histoire. Le travail du directeur du Centre dramatique national local s’appuie avant tout sur l’immense décor unique qu’il a lui-même signé. Il présente un chai contemporain carrelé de blanc (évoquant aussi une morgue) et étagé sur deux niveaux réunis par deux échelles, elles-mêmes encadrées par trois énormes cuves métalliques: clin d’œil au vin qui a fait la richesse de la ville, bien sûr, mais qui sert aussi habilement de prison à Jochanaan puisque, dans le livret, ce dernier est enfermé dans une «citerne»; le lien était tout trouvé. La fameuse «Danse des sept voiles», intelligemment traitée, reste la scène la plus forte de la soirée: nulle danse dénudée ici, remplacée par la projection d’images vidéo qui sont sans ambiguïtés sur le fait qu’Hérode a abusé de Salomé pendant son enfance. Cela posé, Dominique Pitoiset ne fait finalement guère qu’illustrer l’œuvre d’Oscar Wilde, sans jamais vraiment l’approfondir. Il la prive surtout, avec son dispositif scénique froid et clinique, de cette sensualité trouble qui en est l’essence, et sa lecture visuelle se trouve par ailleurs fréquemment en décalée avec la musique.


Dans un rôle où on ne l’attendait pas vraiment, Mireille Delunsch, artiste associée de l’Opéra de Bordeaux cette année, compense une fois de plus, par l’intelligence de son jeu et son aura, ce que la voix peut avoir comme limites. Nous avons toujours, à titre personnel, trouvé son timbre ingrat et avare de couleurs, ses aigus (trop souvent) stridents ou criés et son registre grave peu étoffé, mais reconnaissons que l’artiste s’avère, ce soir et comme chaque fois, dramatiquement crédible, distillant tour à tour sensualité et perversité à son personnage, et s’imposant avec maestria dans une scène finale plein d’éclat et d’intensité.


Le baryton-basse américain Nmon Ford est un Jochanaan imposant, d’une stature scénique écrasante et d’une puissance vocale à tout épreuve (peut-être parfois trop). Ses réponses aux appels désespérés de Salomé ont la force du tonnerre et la rage de la foudre. Remarquable d’agressive autorité, la mezzo allemande Hedwig Fassbender, déjà présente aux côtés de Mireille Delunsch il y a trois saisons in loco dans Jenůfa, campe une Hérodiade à la fois alcoolique et boulimique et impressionne, vocalement parlant, par une percutante violence d’accents. Son Hérode, inquiétant et libidineux à souhait, est superbement caractérisé par le ténor autrichien Roman Sadnik, qui s’avère, grâce à sa voix sonore et superbement projetée, le chanteur le plus enthousiasmant de la soirée. Jean-Noël Briend apporte un généreux et chaleureux lyrisme à Narraboth tandis qu’Aude Extrémo fait valoir une belle pâte vocale et un intense engagement émotionnel. Tous les autres rôles sont bien tenus, avec une mention particulière pour les graves ronds et chauds de la basse monégasque Thomas Dear, dans le rôle du Premier soldat.


Au pupitre, Kwamé Ryan, directeur musical de la phalange girondine, ne mesure pas toujours la généreuse acoustique de la salle ni le volume sonore produit par la centaine de musiciens réunie dans la fosse, érigeant parfois un mur du son entre les chanteurs et les spectateurs assis à l’orchestre. Il n’en est pas moins vrai que sa lecture, ample, sonore et symphonique à la fois, sait aussi faire ressortir la sensualité débordante et le jeu érotique cachés derrière chaque note de la sublime partition de Strauss.



Emmanuel Andrieu

 

 

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