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Les rares Due Foscari de Verdi magnifiés par le magicien Muti

Roma
Teatro dell’Opera
03/06/2013 -  et 8, 10, 12, 14, 16 mars 2013
Giuseppe Verdi : I due Foscari
Luca Salsi (Francesco Foscari), Francesco Meli (Jacopo Foscari), Tatiana Serjan (Lucrezia Contarini), Luca Dall’Amico (Jacopo Loredano), Antonello Ceron (Barbarigo), Asude Karayavuz (Pisana)
Chœur du Teatro dell’Opera, Roberto Gabbiani (chef de chœur), Orchestre du Teatro dell’Opera, Riccardo Muti (direction)
Werner Herzog (mise en scène), Maurizio Balo (décors et costumes), Vincenzo Raponi (lumières)


T. Serjan, F. Meli (© Silvia Lelli/Teatro dell’Opera)


Tandis que La Scala vient juste de monter une nouvelle production de Nabucco (voir ici), c’est un autre des premiers opéras de Verdi que propose en ce moment le Teatro dell’Opera de Rome, les rares Due Foscari, conçus pour le Teatro Argentina, un des principaux de la Ville éternelle (toujours en activité). Comme à Milan, la mise en scène, signée par le fameux cinéaste et homme de théâtre allemand Werner Herzog, a déçu, quand au contraire la distribution vocale réunie par Riccardo Muti, directeur musical de l’institution romaine, a fait chavirer les cœurs d’un public venu de l’Europe entière.


De tous les opéras de jeunesse de Verdi qui ont longtemps séjourné dans les oubliettes de l’histoire lyrique, I due Foscari est certainement celui qui mérite le plus de revenir à l’affiche. Sa musique est inspirée de bout en bout: l’écriture des chœurs, airs et ensembles nous incite constamment à établir des comparaisons flatteuses avec les chefs-d’œuvre à venir. Cela dit, l’écriture vocale reste encore attachée à l’école belcantiste; les cavatines presque belliniennes, les cabalettes les plus ardues, les airs pour les chœurs et les concertati les plus véhéments s’enchaînent sans laisser à l’auditoire le temps de respirer. On retrouve par ailleurs dans le livret quelques-uns des thèmes chers au compositeur, comme l’amour de la patrie, l’opposition entre le destin individuel et la raison d’état, ou encore les relations père-fille (ici, en fait, la belle-fille). On y décèle surtout les grandes figures de la maturité: le vieux Foscari dépossédé brutalement de son fils et de son trône, écrasé par le pouvoir et en proie aux sentiments les plus contradictoires, n’annoncent t-ils pas déjà Simon Boccanegra ou Philippe II?


Le Teatro dell’Opera a donc confié la proposition scénique à Werner Herzog. Si visuellement certaines options ont de l’allure (monumental décor signé par son fidèle scénographe, Maurizio Balo), son recours au dépouillement et à la sobriété paraît systématique à la longue, et surtout n’aide pas à compenser le statisme de l’action de cette œuvre. Son spectacle s’avère finalement conventionnel, évoquant une Venise nocturne et hivernale, d’où sourdent certes le danger et l’oppression, mais si souvent plongé dans l’obscurité, que le procédé finit par lasser. Hors le rouge des tentures d’un baldaquin et les ors d’un polyptique, tout – décors et costumes – est noir ou gris (à l’instar, soit dit en passant, du Nabucco milanais), l’ensemble laissant le spectateur de marbre, sans jamais éveiller son imagination et/ou sa réflexion. Et comment défendre une direction d’acteur figée, qui paralyse un peu plus le drame et finit par rendre le déroulement de l’opéra singulièrement monotone, avec, qui plus est, des chanteurs relégués systématiquement à trois mètres les uns des autres, même dans certaines scènes d’épanchement?


Fort heureusement, l’équipe vocale compense largement les insuffisances de la scène. Entendu le mois dernier dans le rôle de Germont à Monte-Carlo, Luca Salsi a quelque mal à trouver ses marques au début, ne mettant que progressivement en valeur les qualités d’un baryton ample sans forcer, et au timbre rond. Un peu raide scéniquement dans ses hésitations entre l’amour paternel et les devoirs étatiques, son Francesco Foscari est un homme adulte, et non un vieillard octogénaire comme le veut l’histoire, vision du personnage qui fausse quelque peu les rapports. La magistrale scène finale – avec le sublime air («Quel bronzo ferale») qui lui est dévolu – lui vaut néanmoins une ovation de la part du public.


Son fils Jacopo est incarné par le jeune Francesco Meli, qui ravit d’emblée par la générosité et la séduction de son timbre souple, rond et gorgé de soleil. La voix du ténor italien s’est considérablement épanouie depuis quelque temps, et il sait exploiter avec maestria les moments lyriques de son rôle d’exilé malheureux, comme dans le magnifique «Non maledirmi, o prode» au deuxième acte. Si la cabalette de son premier air le pousse à l’extrémité de ses moyens actuels, il parvient à faire passer ce léger problème pour l’expression d’une violente émotion. On ne peut qu’admirer son sens du legato, son incroyable tenue du souffle, son arrogance dans l’émission et son art des trilles, des messe di voce et autres portamenti.


La palme de la soirée revient néanmoins à la magnifique Lucrezia Contarini de Tatiana Serjan, soprano favorite de Riccardo Muti depuis quelques années (avec Csilla Boross, prévue en seconde distribution). La cantatrice pétersbourgeoise enchante d’abord par la beauté du timbre et impressionne ensuite par la puissance et le rayonnement de la voix, dans un rôle particulièrement exposé, à la tessiture presque aussi meurtrière que celle d’Abigaille dans Nabucco. Serjan ne fait pourtant qu’une bouchée de sa partie: elle affronte crânement les écarts de registre, les cabalettes vertigineuses et sauvages, ainsi que des aigus qu’elle darde comme des javelots, tel dans son redoutable air d’entrée «Tu al cui sguardo». Si elle électrise dans les passages dramatiques, elle n’enthousiasme pas moins dans le chant piano, notamment dans le grand plaidoyer auprès du Doge, «Queste lagrime innocenti», où elle exprime son désespoir avec une noblesse d’accent, une élégance dans le phrasé et un contrôle du souffle, qui bouleversent.


La basse italienne Luca Dell’Amico possède la noirceur qui sied au «méchant» Loredano, se rachetant en seconde partie de spectacle de quelques problèmes d’intonation dont son chant souffre au début; les autres comprimari ont été parfaitement choisis. Quant au chœur (une centaine sur le plateau!), très sollicité pendant les trois actes, il se hausse au statut de protagoniste à part entière et fascine en donnant une leçon d’intelligence musicale et d’homogénéité.


Comme toujours quand maestro Muti dirige du Verdi, c’est un bonheur sans partage que distille sa baguette. Il livre ce soir une lecture au souffle haletant, au rythme serré, aux contrastes particulièrement fouillés, au phrasé orchestral impeccable et sait tenir son plateau avec l’énergie qu’on lui connaît, et une tension dans l’accent qui le place – si tant est qu’il en ait dans ce répertoire – au-dessus de ses rivaux.



Emmanuel Andrieu

 

 

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