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Claire de lune de carte postale Toulouse Théâtre du Capitole 11/14/2000 - 16, 19, 22 et 26 novembre 2000 Jules Massenet : Werther
Marcelo Alvarez (Werther) ; Carmen Oprisanu (Charlotte) ; Jean-François Lapointe (Albert) ; Patricia Petibon (Sophie) ; Jean-Philippe Courtis (Le Bailli) Chœurs et orchestre du Capitole, Julius Rudel (direction), Nicolas Joël (mise en scène) Il y quelques années, de cela, cette mise en scène de Werther par Nicolas Joël s’était attiré un beau succès par la réunion de tempéraments dramatiques aussi exceptionnels que Roberto Alagna et Béatrice Uria-Monzon. On pouvait se demander ce qu’il en resterait lors d’une reprise avec des chanteurs ne disposant pas d’un tel charisme. La réponse est : pas grand-chose. Nicolas Joël semble avoir cédé ici à sa manie décorative, où beaux décors et jolis costumes, bien dans le goût toulousain pour un certain réalisme ornemental, distraient l’œil sans jamais s’intégrer à l’action. Évoluant dans un univers pour “Maisons et jardins” tendance 1800, les personnages paraissent sans consistance et sans passions. Seuls des acteurs possédant une forte personnalité pourraient faire oublier cet océan de convention figée. Hélas, ni Marcelo Alvarez ni Carmen Oprisanu ne semblent vouloir véritablement incarner leur personnage ou se défaire des attitudes compassées imposées par une scénographie surannée. Certes, le public du Capitole, majoritairement âgé, peut ainsi retrouver sans trouble ses impressions du temps passé, mais une mise en scène aussi privée d’invention ne fait qu’accentuer la désuétude d’un livret qui confine bien souvent au ridicule et dont le romantisme de salon paraît aujourd’hui dérisoire. On était en droit d’attendre beaucoup de la prestation de Marcelo Alvarez qui avait si bien brillé il y a deux ans dans Lucia di Lamermoor. Las! le ténor argentin ne semble pas avoir été au mieux de sa forme dans un rôle étranger à sa vocalité. Visiblement gêné au premier acte par des problèmes d’émission, il faut dire qu’il avait été souffrant le dimanche précédent, le ténor a inspiré quelques inquiétudes dans son “Je ne sais si je veille”. Voulant nuancer son chant à l’extrême, Alvarez a paru maintes fois au bord du couac, quelques graillons venant encombrer sa voix. S’il se rattrapait au second acte et mourait assez bien au quatrième, il imposait cependant une curieuse image de son Werther, toujours retenu et plus attentif à la ligne qu’au mot, jusque dans un “Pourquoi me réveiller” quasi susurré. De plus, la couleur de la voix, si éclatante dans Donizetti, manquait de creux dans un rôle plutôt central. Quoique ce chanteur ait été très applaudi, il semble que ce rôle soit tout de même un -relatif- faux-pas, d’autant que son absence de talent dramatique et une attitude scénique souvent gauche, jointe à un chant précautionneux, n’aidait guère à rendre son personnage crédible et donnait l’impression parfois pénible d’être au concert plutôt qu’à l’opéra. On peut espérer que les représentations de L’Elisir d’amore en juin le montreront davantage dans son élément naturel. Carmen Oprisanu, sa Charlotte ne s’est pas montrée beaucoup plus dramatique. Dotée d’une voix sans caractère remarquable, chantant dans une langue presque totalement inintelligible, guère concernée par son rôle, elle a paru, pour tout dire, anodine. La Sophie de Patricia Petibon ne manquait pas de piquant, elle, mais comme un citron imparfaitement mûri, tant son timbre perçant paraît avoir a un effet astringent ("Qui a la propriété de déterminer une sorte de crispation" selon Littré) sur la trompe d’Eustache. Jean-François Lapointe, seul, donnait quelque relief au personnage qu’il incarnait, et son Albert s’imposait par l’autorité et la conviction de son jeu autant que par la voix. Julius Rudel, hué à la première pour avoir couvert les chanteurs par un accompagnement bruyant, semblait avoir voulu rectifier les équilibres, au point que sa direction anesthésiée ne déroulait qu’un tapis sonore, certes impeccable techniquement, mais sans la moindre aspérité. Un Werther pastel sur papier glacé, joli et guère dérangeant, mais pas davantage émouvant, bien tiède en fait, et l’arrière-goût d’une déception pour la prise de rôle si attendue de Marcelo Alvarez.
Laurent Marty
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