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Si c’était bien chanté...

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
12/10/2012 -  et 12, 14, 16 décembre 2021
Luigi Cherubini : Médée
Nadja Michael (Médée), John Tessier (Jason), Elodie Kimmel (Dircé), Vincent Le Texier (Créon), Varduhi Abrahamyan (Néris), Ekaterina Isachenko (Première servante), Anne-Fleur Inizan (Seconde servante)
Chœur de Radio France, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène)


V. Le Texier, N. Michael (© Vincent Pontet/WikiSpectacle)


Le Sacre en 1913, Déserts de Varèse en 1954... Les Champs-Elysées en ont vu d’autres. Certes, au deuxième acte, des échanges peu amènes entre partisans et adversaires de Krzysztof Warlikowski interrompent la représentation. Pendant quelques minutes seulement : on attendra ensuite la fin pour manifester, les bravos l’emportant vite sur les huées. Une fois de plus, l’iconoclaste metteur en scène polonais a fait des siennes. La Médée de Cherubini, déjà présentée deux fois – un DVD existe – à la Monnaie ? Une sorte d’Amy Winehouse, archétype de l’étrangère en soi suspecte, victime d’un mari qui veut se ranger avec une oie blanche de la jet set détestée d’avance par les enfants du premier lit. Et comme un beau mariage vaut bien une messe, il ira à l’église, oublieux des crimes commis par amour pour lui. Warlikowski n’en finit plus de régler ses comptes avec une société des paillettes et du paraître, qui passe des bondieuseries d’un catholicisme bouffon au bodybuilding des salles de gym. Bref, avec son propre pays, confit, selon lui, en xénophobie bigote. S’il a, observent les mauvaises langues, oublié les lavabos, il n’a pas renoncé à la projection de films des années soixante, où l’on voit des mariages, des enfants des écoles, des soirées chic – les garçons de Médée, avant le lever du rideau, dansent sur la musique de l’époque. Il n’a pas davantage renoncé aux grands miroirs rappelant Iphigénie en Tauride, qui nous font les complices voyeurs de la tragédie. Le mythe se dégrade en fait divers à la fois trivial et symbolique : l’histoire de Médée devient celle de l’exclusion, s’ancre dans le hic et nunc d’une humanité à la cruauté policée.


On peut trouver la production parfois un peu éclatée, moins aboutie que d’autres réalisations de Warlikowski. On peut aussi apprécier assez peu les dialogues de remplacement – la version originale française est ici présentée : leur actualisation (« bordel », « sperme ») a déchaîné le mini-scandale du deuxième acte. Quitte à oser, l’iconoclaste Polonais va jusqu’au bout. Impossible cependant ne pas être concerné, secoué, interrogé par cette mise en scène puissante et inventive, réalisée de main de maître. De ne pas épouser la haine et l’amour d’une Médée qui n’a peur ni des mots ni du sexe, avec des côtés Lulu, excitant même ceux qu’elle semble repousser, à commencer par Créon, finissant misérablement seule, star déchue et alcoolique, hystérique et criminelle. De ne pas garder l’image finale, où, des vêtements ensanglantés de ses enfants, elle se fait un ventre de femme enceinte pour remonter le temps du bonheur… Surtout après avoir, trois jours avant, subi l’affligeante Carmen de Bastille.


L’ennui est que c’est mal, parfois horriblement mal chanté, alors que l’on tenait là un des spectacles les plus forts de ce début de saison, le dernier, après Charpentier et Dusapin, de la trilogie Médée. Que Nadja Michael, il n’y a pas si longtemps superbe Salomé par exemple, soit une comédienne phénoménale n’excuse en rien le traitement qu’elle inflige à la magicienne : émission instable, registres totalement dessoudés, médium sans soutien, aigus durs et arrachés, phrasé improbable, ligne chaotique. La folie la plus délirante ne s’accommode pas d’un chant aussi désordonné. Vincent Le Texier, après un air d’entrée sans faille, se met de son côté, sous prétexte de violence, à éructer son Créon au lieu de le phraser. Voix peu amène, vocalises scolaires, la Dircé d’Elodie Kimmel ne restera pas dans les souvenirs, pas plus que la Néris pâteuse de Varduhi Abrahamyan, à laquelle on a connu legato plus affiné. Heureusement, malgré un vibrato un peu serré, il y a le Jason de John Tessier, le seul à avoir idée de ce qu’on doit faire dans ce répertoire. Christophe Rousset a le sens du théâtre et de la nuance raffinée, situe bien la partition aux frontières du néoclassicisme et du premier romantisme. Les couleurs de l’orchestre font merveille dans les évocations pittoresques, dans les violences de l’Ouverture ou de la Tempête du troisième acte. On aimerait cependant des sonorités plus généreuses, moins sèches aussi parfois.



Didier van Moere

 

 

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