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Pères sans repères Saint-Céré Théâtre de l’Usine 08/05/2012 - et 18, 25, 30 juillet (Figeac), 8, 14* août (Saint-Céré), 17, 18, 19 (Rennes), 20 (Montluçon) octobre, 23 novembre (Clermont-Ferrand) 2012, 17 (Le Puy-en-Velay), 25 (Issoire), 26 (Moissac) janvier, 7, 8 (Dijon), 12 (Macon) février, 21 (Lempdes), 26, 27, 28, 29, 30 (Lyon) mars, 10 (Cahors), 11 (Figeac), 12 (Ambert), 13 (Aurillac) avril 2013 Kurt Weill : Lost in the Stars
Jean-Loup Pagésy (Stephen Kumalo), Eric Vignau (Leader), Anandha Seethanen (Irina, Mme Mkise), Dalila Khatir (Linda, Grace Kumalo), Joël O’Cangha (Absalon Kumalo, William), Christophe Lacassagne (James Jarvis, Le contremaître), Josselin Michalon (Johannes Paroufi, John Kumalo), Alexandre Charlet (Arthur Jarvis, Eland, Juge), Geraude Ayeva Derman (Nita, Rose, La domestique, Danseuse), Sonia Fakhir (Sutty, Hlabeni), Mathias Labelle (Edward Jarvis, Burton, Danseur), Yassine Benameur (Matthew Kumalo, Paulus)
Ensemble instrumental d’Opéra éclaté, Gaspard Brécourt (piano et direction musicale)
Olivier Desbordes (mise en scène), Patrice Gouron (scénographie, lumières), Jean-Michel Angays, Stéphane Laverne (costumes)
Les deux nouvelles productions à l’affiche du festival de Saint-Céré cette année, musicalement très différentes, n’en partagent pas moins des traits communs: comme Madame Butterfly, Lost in the Stars (1949), en association avec l’Orchestre de Dijon-Bourgogne et le Centre lyrique Clermont-Auvergne, illustre le drame de l’incompréhension et de la domination entre le Blanc et l’Autre, entre le «civilisé» et l’indigène, mais aussi entre le riche et le pauvre.
Pasteur anglican à Ndotsheni, petit village du Natal, Stephen Kumalo se lance à la recherche de son fils Absalon, parti travailler dans les mines à Johannesburg mais dont il est sans nouvelles depuis de longs mois. Il rencontre d’abord Irina, la femme dont Absalon attend un enfant, et ne le retrouve que juste après qu’il a assassiné, au cours d’un cambriolage ayant mal tourné, un avocat originaire de son village. Celui-ci, ironie du sort, se trouve être, à la différence de son père, le planteur James Jarvis, l’un des rares Blancs agissant en faveur de l’égalité entre les races. Contrairement à ses deux complices, acquittés, Absalon, expliquant son geste par la peur, plaide coupable et est condamné à mort. Décidé à quitter le village et doutant de sa foi, le pasteur renonce à son sacerdoce et, durant la nuit précédant l’exécution, la douleur partagée rapproche les deux pères.
Comment un tel sujet n’aurait-il pas parlé à Kurt Weill (1900-1950), Juif ayant fui en France puis aux Etats-Unis la folie meurtrière du IIIe Reich? Avec son librettiste Maxwell Anderson (1888-1959), qu’il avait rencontré dix ans plus tôt pour la comédie musicale Knickerbocker Holiday, il s’était assuré la possibilité d’adapter, avant même sa parution chez l’éditeur de Hemingway et Fitzgerald, Pleure, ô pays bien-aimé (1946), premier roman d’Alan Paton (1903-1988); alors responsable d’un centre pour mineurs délinquants, l’écrivain devait fonder en 1953 le parti libéral, dissous en 1968 en raison de son caractère multiracial. Weill ne put toutefois en conserver le titre, optant pour celui d’un des airs, au demeurant l’un des quatre numéros écrits dès 1939 pour Ulysse l’Africain, un projet également conçu avec Anderson mais qui n’aboutit finalement pas. Rien de glamour dans ces «étoiles», par conséquent, mais la perdition de deux pères privés de leurs repères, l’un de ses croyances en Dieu et en l’homme, l’autre de ses certitudes suprémacistes.
Weill confirme ici, après Street Scene et un peu à la manière de Mozart et Schikaneder dans La Flûte enchantée, sa volonté de faire émerger aux Etats-Unis, en dehors des institutions traditionnelles (notamment le Met), un genre lyrique à la fois populaire et sérieux, assumant sa filiation avec Porgy and Bess – quatorze ans plus tôt, deux des créateurs de Lost in the Stars étaient de la première de l’opéra de Gershwin, Todd Duncan (le rôle-titre) et Warren Coleman. De fait, même si quelques éléments s’inscrivent dans la tradition de Broadway, il n’a pas intitulé son œuvre «comédie musicale» mais «tragédie musicale en deux actes». Fondée sur un livre paru quelques mois avant l’instauration de l’apartheid, la pièce ne pouvait évidemment aussi que venir en écho aux préoccupations de la société américaine d’alors – la ville corruptrice face à la campagne protectrice – mais surtout à ses souffrances, huit ans avant l’opposition tragique de deux communautés dans West Side Story et cinq ans avant que le Met ne renonce à exclure de la scène les chanteurs afro-américains – la tournée nationale fut d’ailleurs annulée parce que ceux-ci n’étaient pas autorisés à descendre dans les mêmes hôtels que les autres membres de la distribution.
Optant pour une version française (où subsiste, dans la partie proprement musicale, un peu d’anglais) réalisée par Hilla Maria Heintz, Olivier Desbordes prend garde, comme dans Puccini, à ne pas sombrer dans les facilités du mélo. Adoptant la distance et l’objectivité qui ont toujours été les siennes, Weill l’y aide, avec une partition sobrement orchestrée pour un effectif restreint – ici, trois musiciens jouant chacun de plusieurs instruments à anche (clarinettes, saxophones), trompette, cordes graves (deux altos, violoncelle, contrebasse) et piano. Sans aucune allusion illusoire à la couleur locale, les numéros se caractérisent par un style polymorphe: on ne réentend que furtivement l’ironie et le mordant du compositeur de L’Opéra de quat’sous – comme dans le chœur «Fear» – et les concessions aux habitudes de Broadway restent limitées – mais non moins séduisantes, à l’image du rythmé «Train to Johannesburg» ou de l’endiablé «Who’ll buy?». Pour le reste, le climat est austère, évoquant parfois Copland ou Gershwin et, sur les deux heures un quart de spectacle, les dialogues parlés tiennent une place centrale, en particulier dans la progression de l’action. Dès lors, la musique contribue avant tout à ponctuer et à commenter le développement du drame et la place réservée au chœur est importante – pas seulement le collectif, mais aussi une sorte de chœur antique, dénommé «leader» et incarné par le ténor Eric Vignau.
Evitant autant que possible un ton sentencieux et les bons sentiments, le propos se déploie sans artifice ni paillettes: les costumes de Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne campent avec précision les personnages et caractères, tandis que le principal élément de la scénographie de Patrice Gouron consiste en différentes lampes (et même une boule à facettes) qui, descendant du cadre entourant le plateau, suffisent à suggérer les lieux (maison, atelier, tripot, poste de police, prétoire, ...). A l’arrière-scène, Gaspard Brécourt dirige efficacement, depuis son piano (droit), huit musiciens parmi lesquels s’illustre l’impeccable trompettiste Marie Bedat. Dans le théâtre musical, il ne faut pas demander aux chanteurs de jouer aussi bien que des comédiens ni à ceux-ci de chanter aussi bien que des artistes lyriques: sous ces réserves, chacun des protagonistes tient au mieux son emploi mais il faut avant tout saluer Jean-Loup Pagésy, qui, dans le rôle écrasant de Stephen Kumalo, fait valoir la richesse de son registre grave, Anandha Seethanen en Irina, Christophe Lacassagne en James Jarvis et Dalila Khatir qui, quand elle n’est pas l’épouse du pasteur, fait un joli show de music-hall.
Le site de la Fondation Kurt Weill pour la musique
Le site d’Anandha Seethanen
Le site de Christophe Lacassagne
Simon Corley
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