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Carmen dans le Désert des Martyrs

Israel
Théâtre antique de Masada
06/07/2012 -  & 9, 10, 11, 12 juin 2012
Georges Bizet: Carmen
Nancy Fabiola Herrera & Anna Malavasi (Carmen), Marco Berti (Don José), María Agresta (Micaëla), Darío Solar (Escamillo), Ayala Zimbler (Mercedes), Hila Baggio (Frasquita), Carlo Striuli (Zuniga), Noah Briger (Moralès), Yosef Aridan (Remendado), Guy Mannheim (Dancaïro)
Chœur de l’Opéra d’Israël & Chœur d’enfants Ankor, Yishai Steckler (chef du chœur), Orchestre symphonique d’Israël Rishon Le Zion, Daniel Oren (direction musicale)
Giancarlo del Monaco (mise en scène), William Orlandi (décors), Jesús Ruiz (costumes), Avi-Yona Bueno (Bambi) (lumières), Carlos Vilan (chorégraphie)


(© Yossi Zwecker)


Voici la troisième édition du festival d’Opéra de Masada, 400 mètres au-dessous du niveau de la mer. Après Nabucco (2009) et Aïda (2011), deux opéras dont les actions se déroulent dans cette région même, le festival fait un changement important: avec le plateau des martyrs en arrière-plan (de sorte que l’histoire conservée par Flavius Josephus et revisitée par Lion Feuchtwänger est toujours présente), l’énorme scène de Masada accueille une histoire passionnelle très épicée à laquelle on donne parfois, et très injustement, le nom d’« espagnolade », succession de lieux communs se rapportant à l’Andalousie qui nourrit l’imaginaire de nombreux voyageurs français en Espagne au cours du XIXe siècle, mais aussi les écrivains amis des Espagnols comme Prosper Mérimée, dont la pittoresque nouvelle éponyme est une belle narration ne se hissant toutefois pas au niveau des grands écrivains du siècle (Balzac, Stendhal, Flaubert, Maupassant...) et qui sous la plume de Bizet devient l’une des œuvres les plus belles du répertoire avec l’un des caractères féminins les plus forts et les plus attirants.


C’est Gian Carlo del Monaco qui signe une mise en scène très chorégraphiée, avec des mouvements de chœurs, des danseurs, et des figurants très impressionnants. Une superproduction digne des meilleurs films d’Hollywood.


Tout comme Karajan dans sa version « pittoresque » pour la télévision, la production de Masada inclut une chorégraphie à la « saveur espagnole », sans pour autant emprunter au reste de l’œuvre de Bizet. Del Monaco travaille tout particulièrement avec Carlos Vilan et les danseurs espagnols. La danse est abondante : bulerias (danse de fête) notamment au début du quatrième tableau. Tout est bon ici pour être dansé à l’espagnole et le corps de ballet sert l’action tout au long de l’ouvrage donnant ainsi du mouvement et de la vie à une production et ne tombe pas dans le travers du manque de mobilité. Del Monaco est brillant, aves les belles batas de cola des danseuses, des danses qui permettent de respirer, et un décor qui se confond avec le paysage du désert. Et le metteur en scène gagne son pari. Del Monaco n’est jamais révolutionnaire, mais il ne fait pas dans le conservatisme non plus, et reste toujours au service du texte. Il est vrai que tout devient plus facile lorsque l’espace et le budget sont quasiment illimités...


Hélas, le désert s’est souvent invité à la soirée, malmenant parfois la gorge des chanteurs. L’Espagnole Nancy Fabiola Herrera n’était pas prévue (c’est la Géorgienne Anita Rachvelishvili qui devait chanter le rôle-titre). Elle chante très bien son premier acte, mais souffre des conditions climatiques éprouvantes, notamment pendant le deuxième acte, dans la taverne de Lillas Pastia. Elle y laissera sa voix et sera remplacée pour les deux derniers tableaux par la très jeune et efficace mezzo italienne Anna Malavasi. Si Nancy Fabiola Herrera, une habituée de ce rôle, avec sa large tessiture et la couleur obscure de ses graves rend justice au personnage, Malavasi, avec de beaux graves et un solide médium possède un bel avenir devant elle; malgré sa jeunesse, elle a déjà chanté des rôles comme Azucena et Santuzza. Malavasi possède également un physique qui lui permet de donner l’illusion scénique à pas mal de rôles du répertoire, et on la verra sans doute un jour dans le rôle d’Eboli.


Très efficace, Marco Berti, exécute une très beau «La fleur que tu m’avais jetée... » et résiste bravement au désert ainsi qu’au changement de partenaire. María Agresta et Darío Solar sont brillants dans les deux rôles toujours très gratifiants de Micaëla et Escamillo. Mention « très satisfaisant » pour les comprimari, pour le chœur et l’orchestre placés sous la direction de Daniel Oren.


Mais ici le plus intéressant est le spectacle naturel qu'offre Masada, ce plateau chargé d’histoire douloureuse, tout comme Israël, pays encerclé dont la réussite déchaîne la rancune et d’inépuisables hostilités, une blessure politique toujours ouverte, toujours nourrie, toujours prête à saillir. On dirait que cette Carmen contribue à l’essai de normalisation du pays, au moment où, ailleurs, les perspectives économiques ne sont pas réjouissantes. Israël est un des pays les plus mélomanes du monde, le cycle de la Philharmonie est massif, compte tenu de la faible population du pays (il ne faut pas oublier qu’à l’exposition de « musique dégénérée » de Düsseldorf en 1938 les musiciens juifs étaient en vedette, pour leur malheur : encore la haine contre la réussite).


Masada est un peu la continuation de la très belle saison de l’Opéra d’Israël. En 2012-2013, on pourra entendre donnera un Wozzeck, un Tour d’écrou, un Boris, un Otello, l’Onéguine de Tcherniakov, ainsi que le frappant La Passagère de Weinberg. En 2013, Masada donnera Turandot dans une production de Michal Znaiecki, toujours sous la houlette de Daniel Oren.


Avant le spectacle, le président Shimon Peres a prononcé quelques mots - sans allusion politique - sur Masada et sur Carmen. Dans sa très brève allocution le président a suggéré que la culture était une façon de construire la paix, comparant le martyre de Masada avec le refus de Carmen devant les menaces de Don José. Pour l’heure, Israël poursuit son festival du désert, de la mer Morte, celui de la mémoire des zélotes immolés à Masada au temps de Titus (celui de la Clémence, justement). Et il ne s’agit pas de propagande, mais d’un pari pour la culture où 30 000 spectateurs ont vu les cinq représentations de cette Carmen, française pour les uns, espagnole pour les autres, mais universelle pour tous.


Le site du Festival de Masada
Le site de l’Opéra d’Israël



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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