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Doublet Ravel/Zemlinsky : les couleurs de la cruauté

Lyon
Opéra
05/19/2012 -  et 21, 23, 25*, 27, 29 mai 2012
Maurice Ravel : L’Enfant et les sortilèges
Pauline Sikirdju (L’Enfant), Majdouline Zerari (Maman/La Tasse chinoise/La Libellule), Heather Newhouse (La Princesse/La Bergère/La Chauve-Souris), Mercedes Arcuri (Le Feu/Le Rossignol), Antoinette Dennefeld (La Chatte/L’Ecureuil), Elise Chauvin (La Chouette/La Pastourelle), Joanna Curelaru (Un Pâtre), Simon Neal (Le Fauteuil/L’Arbre), Jean-Gabriel Saint-Martin (L’Horloge comtoise/Le Chat), François Piolino (La Théière/La Petit Vieillard/La Rainette)
Alexander von Zemlinsky : Der Zwerg, opus 17
Karen Vourc’h (Donna Clara), Lisa Karen Houben (Ghita), Simon Neal (Don Estoban), Robert Wörle (Le Nain), Mercedes Arcuri (Première camériste), Heather Newhouse (Deuxième camériste), Majdouline Zerari (Troisième camériste), Sharona Applebaum (Première jeune fille), Marie-Eve Gouin (Deuxième jeune fille)
Solistes du Studio de l’Opéra de Lyon, Chœurs de l’Opéra de Lyon, Alan Woodbridge (direction des chœurs), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Martyn Brabbins (direction musicale)
Grzegorz Jarzyna (mise en scène), Magda Maciejewska (décors), Anna Nykowska Duszynska (costumes), Jacqueline Sobiszewski (lumières), Bartek Macias (vidéo)


Le Nain (© Stofleth)


Le double bill proposé par l’Opéra de Lyon fait partie de ceux consacrés par une certaine tradition, et dans sa mise en scène, Grzegorz Jarzyna, joue sur une certaine continuité entre les deux ouvrages: les troncs de la forêt de L’Enfant et les sortilèges parsèment le jardin de l’Infante dans Le Nain, reliant les deux intrigues en une probable continuité chronologique de la cruauté juvénile.


La transsubstantiation de la chambre de l’enfant en une caravane cinématographique au début de l’opus ravélien permet de grossir les traits du protagoniste en une sorte de voyeurisme censé peut-être évoquer la tutelle de la surveillance de la maman dont le héros veut s’affranchir. S’il a une efficacité herméneutique certaine, le procédé ne se distingue pas par son originalité. Il faut attendre que l’argument de Colette s’évade dans les sous-bois pour qu’il emmène enfin l’imagination du metteur en scène polonais vers une poésie délicate et émouvante. Les éclairages de Magda Maciejewska apportent en particulier une perspective subtile, transfigurant les milieux en même temps que les couleurs.


Enfant très caractérisé, Pauline Sikirdju privilégie l’idiome de la couleur à celui de la langue. La vraisemblance chronobiologique prend parfois l’ascendant sur l’intelligibilité de la diction, que l’on aimerait impeccable dans ce répertoire. La galerie de rôles satellites qui tournent autour du personnage central réserve de sympathiques incarnations, souvent sapides. Retenons la Maman d’une tendre autorité de Majdouline Zerari, la Bergère d’Heather Newhouse qui compose avec le Fauteuil de Simon Neal une paire mobilière amusante où vient s’immiscer l’Horloge comtoise de Jean-Gabriel Saint-Martin, le Rossignol gazouillant de Mercedes Arcuri, ou encore la Chatte d’Antoinette Dennefeld. Mentionnons l’attachant couple pastoral du pâtre plein d’une fraîcheur un peu verte de Joanna Curelaru et de la Pastourelle d’Elise Chauvin. Ajoutons François Piolino, aimable Théière autant qu’en Rainette.


Sans préliminaires extra-théâtraux, la scénographie de l’opus de Zemlinsky nous installe d’emblée dans l’atmosphère de la cour de Donna Clara. Les couleurs vives et franches de son jardin et des comparses contrastent avec le noir uniforme qui revêt le Nain, comme la médisance courtisane avec la sincérité. Cette grande réussite visuelle consonne ainsi parfaitement avec l’opéra du compositeur autrichien, subtilement tissé de pastiches et de parodies. L’évocation du dragon rappelle évidemment le deuxième acte de Siegfried tandis que le quintette féminin a les atours des filles-fleurs de celui de Parsifal. Mais il serait réducteur de ne voir dans Le Nain qu’un descendant du wagnérisme. On surprend parfois des harmonies que Puccini n’aurait point reniées – on jurerait même reconnaître une citation de Gianni Schicchi, ce qui n’a rien d’inconcevable puisque l’ouvrage du compositeur italien venait d’être créé quelques années auparavant. Loin d’altérer l’originalité de l’écriture de Zemlinsky, ce jeu de pistes syncrétique en fait toute la saveur et l’identité inimitable.


Réputé inchantable, le rôle-titre bénéficie en Robert Wörle d’une incarnation captivante de sincérité. Son endurance s’avère remarquable, même si l’intégrité de l’amorce des aigus ne se montre pas toujours d’une aisance sans faille. D’un personnage si beau de cœur, on se demande cependant si l’on ne pourrait pas l’affranchir de l’ingratitude du timbre censée être le miroir de celle de son physique et de sa souffrance. Karen Vourc’h démontre un tempérament convaincant en Donna Clara. Lady Macbeth controversée à Bordeaux, Lisa Karen Houben réussit infiniment mieux en Ghita, acide comme il le faut. Simon Neal se révèle un Don Esteban à la componction idéale. La cour de l’Infante complète convenablement le tableau – Majdouline Zerari, Heather Newhouse et Mercedes Arcuri en caméristes espiègles, Sharona Applebaum et Marie-Eve Gouin en jeunes filles qui ne le sont pas moins.


A la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, Martyn Brabbins semble aussi à l’aise dans le détail chambriste de l’onirisme de l’orchestration ravélienne que dans les richesses de la partition de Zemlinsky. Toujours égal à lui-même, le chœur de la maison démontre une fois de plus son savoir-faire, sous la férule de son directeur, Alan Woodbridge.



Gilles Charlassier

 

 

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