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Délice vocal, délire scénique

Salzburg
Haus für Mozart
05/25/2012 -  et 27* mai 2012
Georg Friedrich Händel: Giulio Cesare in Egitto
Andreas Scholl (Giulio Cesare), Cecilia Bartoli (Cleopatra), Anne Sofie von Otter (Cornelia), Philippe Jaroussky (Sesto), Christophe Dumaux (Tolomeo), Jochen Kowalski (Nireno), Ruben Drole (Achilla), Peter Kálmán (Curio)
Il Giardino Armonico, Giovanni Antonini (direction musicale)
Moshe Leiser, Patrice Caurier (mise en scène), Christian Fenouillat (décors), Agostino Cavalca (costumes), Christophe Forey (lumières)


C. Bartoli et A. Scholl (© SF/Hans Jörg Michel)





Cecilia Bartoli a été particulièrement fidèle à Zurich pendant l’ère d’Alexander Pereira, réservant des années durant ses seules apparitions scéniques à l’Opernhaus. Rien d’étonnant donc qu’une fois nommé à Salzbourg, le nouveau directeur ait proposé à la chanteuse de prendre les rênes artistiques du Festival de Pentecôte, un mandat laissé vacant par Riccardo Muti. La première édition placée sous la houlette de la diva a été un franc succès, grâce notamment à une programmation intelligente et attrayante axée sur la figure de Cléopâtre. La pièce maîtresse de l’affiche a été un Giulio Cesare réunissant une distribution vocale superlative.


A tout seigneur tout honneur, c’est Cecilia Bartoli elle–même qu’il faut citer en premier lieu, dans le rôle de la Reine d’Egypte: ses deux airs «Se pietà non senti» et «Piangerò» ont constitué les moments forts d’une soirée exceptionnelle, riche en pépites vocales. On sait la chanteuse éblouissante dans les vocalises, et elle le fut ici aussi, mais c’est indubitablement dans les lamenti que son art fait merveille, avec des mezza voce à couper le souffle, saluées par un «gigante», cri du cœur d’un spectateur particulièrement ému et enthousiaste. Jouant la vamp aux décolletés vertigineux et aux talons aiguilles, tantôt noiraude tantôt blonde, des plumes dans le dos, elle n’a pas hésité à se laisser transporter par une fusée plusieurs mètres au-dessus de la scène, sous les rires et les applaudissements du public.


Même si sa voix, intrinsèquement, n’est pas des plus belles, Andreas Scholl est époustouflant d’aisance et de virtuosité dans les passages de bravoure. Scéniquement, son Jules César n’a rien d’impérial, le personnage apparaissant ici plus comme un spectateur qu’un acteur des événements, se laissant facilement manipuler par son entourage. Son costume bleu avec son collier d’étoiles jaunes en guise de médailles le fait passer pour un Européen venu annexer l’Afrique. Le Sesto à la voix séraphique et éthérée, comme irréelle, de Philippe Jaroussky est un pur bonheur. L’orphelin en culottes courtes constamment dans le tablier de sa mère se transforme en kamikaze à la ceinture d’explosifs. Ses duos avec la Cornelia d’Anne Sofie von Otter – veuve éplorée particulièrement digne dans la douleur et le malheur - ont été autant de grands moments d’émotion. Le contre-ténor Christophe Dumaux n’a rien à envier vocalement à ses collègues plus connus. Visiblement, il a pris beaucoup de plaisir à incarner un Tolomeo particulièrement pervers et sadique, qui n’hésite pas à violer sa sœur et à se livrer à ses fantasmes en se masturbant devant une revue pornographique. Jochen Kowalski, le quatrième contre-ténor de la distribution, est inénarrable en vieille servante truculente. Cette distribution de haut vol a été fort bien complétée par Ruben Drole et Peter Kálmán, deux chanteurs faisant partie de la troupe de l’Opernhaus de Zurich.


A la tête de son Giardino Armonico, Giovanni Antonini a adopté des tempi alanguis. Très attentif aux chanteurs, il a fait passer les musiciens au second plan, mais n’a pas moins livré une lecture claire et transparente, particulièrement dynamique et différenciée, avec des interventions précises des instrumentistes et, pour une fois, des cors qui sonnaient juste. Pour la partie scénique du spectacle, Cecilia Bartoli a fait appel à Patrice Caurier et Moshe Leiser, qu’elle connaît bien pour avoir déjà travaillé avec eux notamment à Zurich (on pense à l’Otello de Rossini cet hiver, mais aussi au Comte Ory ou encore à la très rare Clari). On sentait la diva très en confiance, pour qu’elle accepte de chanter assise sur une fusée au-dessus de la scène, d’interpréter «Piangerò», le sommet de l’opéra, la tête enfouie sous une cagoule, ou encore pour mimer une scène d’inceste. Si le duo de metteurs en scène a finement caractérisé chaque personnage, l’impression d’ensemble est nettement moins aboutie. Leur spectacle est anecdotique, vulgaire et provocateur au pire, terriblement kitsch au mieux, se résumant à un cortège de gags plus ou moins réussis. Oscillant entre tragédie et comédie, entre réalisme et onirisme, il manque cruellement de consistance et de profondeur, même s’il n’est pas dépourvu d’humour et d’ironie féroce. Le public plutôt conservateur de Salzbourg n’a visiblement pas apprécié, gratifiant les deux metteurs en scène de sifflets sonores au rideau final. Le spectacle sera repris pour cinq représentations cet été. Une occasion unique, pour tous ceux qui l’auraient raté, d’assister à une grandiose fête des voix et de la musique, quitte à fermer les yeux.


L’édition 2012 du Festival de Pentecôte n’avait pas encore commencé que déjà était annoncée la programmation de 2013: Cecilia Bartoli chantera Norma, un de ses grands rêves, et aussi, mais c’est beaucoup plus inattendu... le Requiem allemand!



Claudio Poloni

 

 

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